– Vous avez été ministre de la Communication, quel est votre avis sur la gestion de la publicité de l'Etat ? En rapport avec ma personnalité, je peux dire que je n'ai eu aucune difficulté particulière, parce qu'en février 1999, j'avais retiré le monopole de la publicité à l'ANEP. Après avoir soumis un rapport au chef de gouvernement, Smaïl Hamdani, nous avions convenu et décidé pour la première fois d'enlever le monopole de la publicité à l'ANEP et faire en sorte que les ministères et les entreprises soient seuls habilités à décider de l'affectation de leur budget pub. Pourquoi l'avoir fait, me diriez-vous, parce que j'estime que nul n'est mieux indiqué qu'un ministère ou une entreprise pour juger de l'impact d'une annonce publicitaire et du support dans lequel elle doit être. J'avais expliqué à l'époque qu'il fallait laisser tout latitude aux entreprises qui connaissent le marché et la clientèle de choisir où mettre leur publicité, un argument qui avait convaincu le Premier ministre à l'époque. Deuxième chose que j'avais proposée et qui avait été retenue par le gouvernement, c'était d'associer l'ANEP à une grosse entreprise de communication européenne, à l'époque, nous avions eu une offre d'Euro-RSCG de Jacques Seguela en personne qui était venu à Alger.
– Mais la situation aujourd'hui est telle que la manne publicitaire demeure sous monopole…
Parallèlement aux propositions que j'ai citées, j'avais proposé et fait voter par l'Assemblée nationale une loi sur la publicité. Elle a été votée en juin, puis bloquée au mois de septembre en deuxième lecture, elle est renvoyée par le Conseil de la nation. C'est d'ailleurs la seule loi renvoyée par le Conseil de la nation. Pourquoi ? Parce que cette loi qui existe propose de réglementer le secteur de la publicité. C'est un des rares secteurs qui n'est pas réglementé en Algérie et où n'importe qui fait n'importe quoi. Un secteur qui draine un argent fou. L'ANEP, c'est un minimum de 15 à 20 milliards de dinars aujourd'hui, même si elle ne représente pas l'essentiel de la pub en Algérie, qui est détenu par les opérateurs de téléphonie mobile, les concessionnaires et les grosses boîtes. Si vous me dites avec le recul, 14 ans après, comment l'ANEP est revenue à son monopole, et que la loi a été bloquée, je vous dirais que c'est parce que il y a des intérêts derrière la publicité institutionnelle. Il y a des intérêts politiques, cela ne me dérange pas que des politiques fassent de la politique, mais il y a surtout des intérêts privés et c'est ce qui me dérange.
– La manne publicitaire est donc une prime d'allégeance ?
Si seulement ce n'était que ça, la politique est le domaine du possible. Mais il s'agit d'une manne qui enrichit des gens indûment. Des titres sont créés pour recevoir de la pub et pas pour informer. On crée un titre, on lui donne 20 ou 30 millions de dinars par mois, il ne paye pas la rotative, puis disparaît au bout d'une année ou deux. Multipliez ça sur dix ans, vous avez au moins 1 milliard de dollars de pub passés par l'ANEP. Aujourd'hui, le budget de l'ANEP est estimé à 120 et 130 millions d'euros. Qu'est-ce qu'elle en fait ? Où est parti l'argent de l'ANEP ? La publicité a-t-elle réellement servi à mieux informer les Algériens, a-t-elle été un sponsor de la liberté d'expression comme devait être son rôle ? Assurément, elle ne l'a pas été. L'ANEP a été utilisée comme un moyen de pression contre les journaux, mais surtout un moyen d'enrichissement illicite, et c'est ce qui fait le plus mal. On la laisse à deux ou trois personnes, elles en font ce qu'elles veulent et donnent à qui elles veulent quand elles le veulent.
– Faut-il dissoudre l'ANEP pour mettre fin à ce trafic ?
On n'avait même pas besoin de dissoudre l'ANEP en 1999 parce qu'elle n'avait plus le monopole. Si l'ANEP avait saisi l'occasion qu'on lui avait offerte, et si le pouvoir politique, parce que c'est le Président qui décide, avait suivi ce qu'on lui avait proposé, on aurait fait de l'ANEP une grosse et la première boîte publicitaire en Algérie et pourquoi pas dans la région en l'associant avec d'autres partenaires comme ils l'ont fait pour les hôtels et la téléphonie mobile. On avait la possibilité d'avoir une très grosse agence de publicité, mais nous avons raté cette occasion parce qu'on avait des gens qui voulaient utiliser la manne. Une caisse dans laquelle on puise pour donner à qui on veut. Est-il normal qu'un concours d'accès à l'ENA soit publié dans des journaux au tirage de 500 exemplaires ? On viole un principe constitutionnel qui est celui de l'égal accès des Algériens à la Fonction publique. Une offre d'emploi qu'on donne dans un journal de 500 exemplaires, c'est ne pas permettre aux Algériens de se présenter au concours. J'attire aussi votre attention sur un autre aspect qui est le suivant : lorsque l'Etat a le monopole de la pub et prive Le Soir d'Algérie ou El Watan de la publicité étatique, ces même journaux se tournent vers les opérateurs de téléphonie mobile et les concessionnaires automobile pour chercher de la pub. C'est là une façon de mieux accuser ces journaux d'être des «hizb frança». Ils privent de publicité ces journaux et puis disent que ce sont les étrangers qui les font vivre avec de la pub.
– Justement qui profite de cet état de fait, qui décide de faire de la pub un moyen de pression sur les journaux ?
Je suis un pur produit de l'administration de la République algérienne, j'ai des chefs. Quand j'ai un problème, j'écris à mes responsables. Quand j'étais ambassadeur, j'écrivais au président de la République, et quand j'étais ministre, j'écrivais au chef du gouvernement. J'ai eu un chef de gouvernement qui avait accepté ma proposition, je n'ai donc pas eu de problème avec le DRS quand j'étais ministre.
– L'influence de la structure du DRS sur le secteur est tout de même avérée, un ministre de la Communication ne peut pas désigner un responsable d'un média public, les accréditations de la presse étrangère passent par eux, et la manne publicitaire aussi…
Je peux effectivement confirmer sur la question des désignations. Je peux témoigner que j'étais au Caire en mission quand M. Khomri avait été nommé DG de l'ANEP. Je n'étais pas au courant. J'avais compris que le message était celui de me dire : M. Rahabi vous n'avez rien à avoir avec l'ANEP, ne touchez pas à cette manne. Lorsque l'argent et la politique se rejoignent, voilà ce que ça donne. Quant au système des accréditations, ça ne dépend pas du seul ministère de la Communication. Dans tous les pays du monde, l'accréditation de la presse étrangère obéit à la même procédure qui relève d'une concertation entre le ministère de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères. Pourquoi, parce que ça pose des problèmes de résidence et de sécurité. Concernant toutefois la pub, vous avez tout à fait raison de soulever le problème et je doute que la démarche actuelle serve les intérêts de l'Algérie ou sa sécurité.