Le sort du gouvernement est, semble-t-il, déjà scellé. Les trois composantes de la troïka ont admis la nécessité de le dissoudre. Toutefois, si la proposition des organisations de la société civile (la centrale ouvrière, UGTT, la centrale patronale, UTICA, l'Ordre des avocats et la LTDH) appelle à un gouvernement de technocrates pour présider aux destinées du pays en cette phase de transition, Ennahdha ne voit pas les choses de cette manière. Les islamistes appellent à un gouvernement d'union nationale. «Ridicule !», répond Faouzi Charfi, dirigeant d'Al Massar et membre du Front de salut national, constitué suite à la fronde au sein de l'ANC. «Rien ne nous unit comme l'attestent les divisions à l'Assemblée et ils veulent un gouvernement d'union nationale ! Et puis, l'échec du gouvernement est déjà consommé. Donc, il faut s'entendre sur une feuille de route, avec comme principales tâches la Constitution et la préparation des élections, à transmettre à un gouvernement de technocrates pour l'exécuter. Il ne peut y avoir mieux en cette phase de crise», explique ce médecin libéral syndicaliste. Par contre, les islamistes d'Ennahdha jouent sur plusieurs registres. Parmi ces ballons d'essai, il y a celui de garder Ali Laârayedh, comme président d'un gouvernement de technocrates. «L'organisation provisoire des pouvoirs, faisant office de Constitution provisoire, stipule que le plus grand parti nomme le chef du gouvernement. Il n'y a pas de raison de laisser tomber cet accord, issu d'élections populaires», riposte le président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi. «Nous pouvons toutefois élargir la base politique du gouvernement à d'autres formations si elles expriment le souhait», poursuit-il. Le ministre de l'Agriculture et dirigeant d'Ennahdha, Mohamed Ben Salem, affirme, pour sa part : «Toutes les options sont ouvertes, y compris la nomination d'un technocrate à la tête du gouvernement.» Réserves de l'opposition Pour l'ex-Premier ministre de la transition et homme fort de l'opposition, Béji Caïd Essebsi, «si le parti Ennahdha ne reconnaît pas l'échec de sa gouvernance, c'est qu'il n'essaie pas de tourner la page et d'ouvrir une autre étape». «Or, jusqu'à maintenant, Ennahdha n'a rien proposé à discuter», regrette-t-il. Concernant le maintien d'un islamiste à la tête du gouvernement, le porte-parole des constituants réfractaires, Samir Taïeb, pense : «Telles que les choses se sont passées avec Jebali et Laârayedh, la présidence du gouvernement grouille de conseillers et centralise les décisions importantes. Donc, si Ennahdha ne quitte pas la présidence du gouvernement, sa mainmise se poursuivra sur les rouages de l'Etat et nous ne saurons aspirer à des élections indépendantes, surtout que l'indépendance de la nouvelle instance des élections (ISIE) laisse à désirer.» Les nombreux sit-in, à travers la République, indiquent que le pays est traversé par la plus grave crise depuis la révolution du 17 décembre 2010 – 14 janvier 2011. Une large frange du peuple conteste la troïka gouvernante et sa manière de gérer le pays, en dépit de sa «légitimité» électorale. La classe politique et les organisations de la société civile se sont dressées contre la «dictature» de l'Assemblée nationale constituante (ANC), qui a largement traîné dans la rédaction de la Constitution. «Il n'y a pas que la légitimité des urnes, il y a également le devoir de résultats, surtout en pareille phase de transition. Il ne faut pas oublier que l'ANC a été élue le 23 octobre 2011 pour une année, afin de rédiger la Constitution et préparer de nouvelles élections. Rien de consistant n'a été réalisé en 20 mois. On ne saurait accorder à la Constituante un mandat indéterminé. A ceux qui disent que 90% de la mission de l'ANC ont été déjà réalisés, je réponds que les différends qui continuent à diviser la Constituante sont quasiment les mêmes que ceux du départ. Rappelez-vous les différents consensus auxquels nous sommes parvenus et sur lesquels les représentants d'Ennahdha sont revenus», s'indigne le dirigeant de Nidaa Tounes et ex-ministre du gouvernement de transition, Lazhar Akermi. «C'est pourquoi, il est impératif de dissoudre cette structure et de nommer des experts pour finaliser la Constitution, quitte à passer par un référendum», propose-t-il. Cette solution de référendum existe aussi dans la proposition de l'UGTT, si jamais l'ANC n'adopte pas la Constitution dans les temps délimités par le calendrier de la feuille de route. La situation politique est ouverte sur toutes les alternatives. «Les séquelles de cette crise vont sûrement se faire ressentir en Tunisie et la marquer au moins pour les deux prochaines années», avertit le président de l'Association des économistes tunisiens, Mohamed Haddar. «Mais la direction politique ne pense qu'aux moyens de se maintenir, semble-t-il», regrette-t-il.