Publié en version numérique, Aujourd'hui, Meursault est mort est un «essai-fiction» qui place «Albert de Belcourt» devant ses silences et ses contradictions sur la colonisation en Algérie. Guemriche use de sa vaste érudition et de son humour imparable dans un texte iconoclaste qui tranche avec les hagiographies de rigueur en ce Centenaire de la naissance de Camus. Comme l'indique son titre, le livre débute là où s'achève L'Etranger. L'exécution du «meurtrier innocent», diffusée sur grand écran dans tout Alger, coïncide avec l'éclipse du soleil, l'astre qui «tue les questions», complice présumé du hasard dans le meurtre de l'Arabe, disparaît pour laisser Camus face à ses responsabilités. C'est Tal Mudarab, le fils de l'Arabe, qui se chargera de lui rappeler ses tergiversations et ses silences concernant une colonisation où il ne voyait qu'un problème d'injustice et de ségrégation. Un long dialogue implicite, procédé utilisé par Camus dans La Chute, s'engage avec un «Monsieur Albert» qui écoute patiemment les paroles de cet Arabe, réduit au silence dans ses romans. Citations à l'appui, Camus apparaît comme un être «ni vraiment solitaire, ni tout à fait solidaire» qui peine à choisir entre la justice et la fidélité aux siens. La lucidité qui l'amenait à combattre le fascisme et à s'éloigner du parti communiste lui fait défaut concernant une Algérie avec laquelle «une longue liaison (l)'empêche d'être clairvoyant». Sa difficulté à reconnaître «le premier mouvement» de la violence coloniale est confrontée aux positions plus tranchées d'un Montherlant anticolonialiste ou d'un Jean Sénac engagé pour l'indépendance algérienne. Si Camus tentait désespérément de se maintenir dans une délicate position de non-aligné avant l'heure, son dernier biographe en date, Michel Onfray, ira plus loin en affirmant que les Algériens «ont choisi la violence». Guemriche rappellera l'aveu de Camus reconnaissant que «la longue violence colonialiste explique celle de la rébellion». Aujourd'hui, Meursault est mort est aussi «un parler des pas perdus» où le dialogue se conjugue à une exploration passionnante du palimpseste de la ville d'Alger (dont Guemriche a écrit la biographie dans Alger la blanche sorti chez Barzakh). Parangon de «l'ingérence des genres littéraires», Salah Guemriche produit un récit carnavalesque et plein d'humour où la virtuosité étymologique nous emmène vers de savoureuses digressions. On apprend par exemple qu'un footballeur, prénommé Kader, traitait Camus, alors gardien de but du Racing Universitaire d'Alger, de «Moursou di Roumi» (morceau de Français). Une piste de plus à ajouter aux «Mer/Soleil» et autres «Meurt seul» dans les recherches onomastiques sur Meursault. Bien qu'il «accompagne le menteur jusqu'au seuil de sa porte» (proverbe algérien), l'auteur ne cache pas une certaine admiration, voire de la sympathie pour l'écrivain. Loin des réquisitoires idéologiques, à la manière d'Edward Saïd, Guemriche brise l'idole érigée par les hagiographes du Prix Nobel de littérature pour restituer l'image d'un «homme avec ses doutes et ses limites, avec son orgueil, aussi, et sa sincérité». Salah Guemriche, «Aujourd'hui, Meursault est mort», Amazone, juin 2013.