Très tôt s'est éveillé en Mohammed Dib, et pour toute la vie s'est conforté, le « sentiment » militant, voire nationaliste, aussi nécessaire à un écrivain que son expérience vécue. Dès la moitié des années quarante (surtout après les événements du 8Mai 1945), notre romancier et poète, évoque, dans ses poèmes, l'apparition de ce « sentiment », cet irrésistible désir de militer, par l'écriture, d'être indispensable, utile à ses proches, à ses compatriotes, à son pays natal. De sa foi militante, de la connaissance du monde, du sentiment d'être concerné par quelque chose d'extrêmement important, d'utile, de pur, a éclos la maîtrise qui caractérise sa trilogie Algérie (La Grande Maison, L'Incendie et Le Métier à tisser). Faisant une confidence - ô combien importante - Mohammed Dib, (peu bavard surtout quand il s'agit de son œuvre) a dit à son ami d'enfance, le défunt Mohamed Gumanè !che (1) : « J'avais, dès mes premiers écrits, mon petit secret : l'exaltation de taire ma préparation incessante, minutieuse, à l'œuvre qui, j'en étais persuadé, m'attendait et serait indispensable à l'homme simple, au pauvre à travers ma sincérité, notre ''vérité'' (les souffrances du peuple algérien colonisé) dont les nuances, la complexité et les raisons se confondront, dans ma triologie, avec des chants, la tristesse et le militantisme de mes personnages romanesques. » De tous les écrits de Mohammed Dib, la trilogie Algérie est certainement la plus « objective », par la manière et le style qu'a utilisé le romancier. Il l'a rédigée avec la maturité, la conviction de la portée de son expérience, de ses réflexions. Natif de Tlemcen, ville de Messali Hadj, le père du Mouvement national, et appartenant à une famille nationaliste, Mohammed Dib a été dès son adolescence « accaparé par les idées des militants de l'Etoile nord-africaine puis du PPA (Parti du peuple algérien). Nous constatons, notamment dans L'Incendie, que le romancier excelle, à sa manière, dans son style très personnel, à exprimer la vérité de la « vie des Algériens », aussi dure et implacable soit-elle. Malgré son expérience poétique, Mohammed Dib évite, dans ses trois premiers romans, de trop se rapprocher de la poésie, fuit les phrases « chantantes ». Dès La Grande Maison, il opte pour un style réaliste, sec et un peu « balzacien ». Les rares élans poétiques dans « la trilogie » de notre romancier sont fonction des sentiments que ses « héros » expriment, qu'il exprime lui-même dans sa narration : beauté, allégresse, douleur humaine. Dans ses réflexions narratives, Mohammed Dib ne se laisse pas aller à la tristesse et à la rancœur. Son souci majeur est de parler de ceux-là « qui n'ont jamais goûté du bon pain », qui voient avec des yeux toujours plus tristes le ciel caressant de leur Algérie. « Aïni », cette mère-courage, cette mémé chenue aux frêles jambes tièdes est le plus grand symbole que Dib a créé pour décrire l'Algérie des années trente. « Omar » le fils de « Aïni » semble être l'espoir, l'avenir de tout un peuple. Par les situations qu'elle décrit et le destin de l'homme qui se trouve au centre de la narration, « la triologie » de Dib a été le premier grand roman algérien qui s'est distinguée par sa vision nationaliste claire.