Au rez-de-chaussée d'un immeuble aux murs lépreux, à quelques encablures du ministère du Travail, au centre d'Alger, des moutons bêlent. Les gens essaient de se frayer un chemin au milieu d'une foule compacte. Une forte odeur nauséabonde agresse les narines. Elle se dégage du fond de l'immeuble transformé en une sorte d'étable. Des bouts de foin couvrent le trottoir, des excréments sont écrasés allégrement par les souliers des passants, des urines stagnent à côté d'un avaloir bouché. Des bergers veillent scrupuleusement sur le troupeau qui représente un bon paquet d'argent. Des voix fusent de partout, demandant le prix de tel ou tel mouton. Le maquignon répond : « Chacun a son prix. » Le plus petit coûte 21 000 DA, le plus grand est à 29 000 DA. Des prix jugés par ce vendeur comme raisonnables. « Certains restent négociables », rassure-t-il les chalands, qui semblent déjà échaudés par les prix. A quelques jets de pierres de là, un autre « point de vente » est improvisé : une pizzeria reconvertie à cette activité des plus fructueuses. A l'entrée, des eaux pestilentielles stagnent. Même décor et mêmes prix. « Ils s'entendent entre eux, ces maquignons. Ils pratiquent tous les mêmes prix pour que les gens soient obligés d'acheter à ce prix-là. Un mouton à 28 000 DA n'est pas à la portée de tout le monde », se plaint un citoyen, se désolant au passage de l'absence d'endroits aménagés pour de telles circonstances. Même décor à Alger-Centre, précisément dans le quartier ex-Meissonier. Plusieurs magasins et hangars sont aménagés en étables, juste pour la circonstance, rendant l'atmosphère presque irrespirable. Ce triste décor, qui s'ajoute à la saleté habituelle, renseigne bien sur l'approche de la fête de l'Aïd El Kébir. Un étranger n'aurait aucune difficulté à le constater. En cette occasion, comme chaque année, Alger devient une vaste prairie, les moutons pacageant entre les immeubles. Les autres villes du pays aussi. Ainsi, des cités se transforment en prairies. L'on voit trôner sur les balcons de plusieurs immeubles du centre-ville des bottes de foin. Ce décor, bien que déplorable, ne semble pas déranger outre mesure ceux qui sont censés protéger les villes et leur environnement. Les autorités locales, encore une fois, laissent faire. Pourtant, l'Aïd El Kébir est une fête annuelle. Mais voilà que l'on retrouve à chaque fois les mêmes pratiques qui portent atteinte à l'environnement et surtout à l'aspect urbanistique de nos villes, déjà sales et défigurées par les nombreuses extensions anarchiques. Certes, des endroits ont été réservés dans chaque commune, mais ils s'avèrent insuffisants. Les maquignons ne se gênent nullement pour s'installer dans des locaux commerciaux, des appartements, à l'intérieur même des cités, sans aucune norme d'hygiène et surtout sans être inquiétés. Certains d'entre eux trouvent même amusant et rentable (grâce aux paris) d'organiser des combats de moutons. Une pratique répréhensible qui existe depuis de longues années. Côté prix, c'est la flambée. A deux jours seulement de la fête du sacrifice, les camions chargés de moutons continuent d'affluer vers les villes. Et leurs prix augmentent à force que le jour J approche. A certains endroits d'Alger et d'autres grandes villes, on trouve des moutons à 45 000 DA. Cela s'explique par la forte spéculation exercée par les maquignons. Pour s'offrir un mouton d'un « gabarit » acceptable, il faut débourser 30 000 DA. Le ministère de l'Agriculture et du Développement rural a pourtant assuré que la production nationale répondait largement à la demande. La production ovine a même enregistré une augmentation de 5% par rapport à l'année dernière. Le cheptel est évalué à 21 millions de têtes, ce qui semble être largement suffisant pour les besoins de l'Aïd El Kébir. Il est ainsi du devoir de l'Etat de réguler le marché, comme il doit mettre la logistique nécessaire pour que cet événement ne porte plus atteinte à l'environnement.