-Des historiens notent qu'avec la disparition des derniers témoins de cette époque, des parts importantes de l'histoire, non dites, s'envolent aussi. Que pensez-vous qu'Aussaresses ait emporté avec lui ? Je pense que le général Aussaresses a à peu près tout dit. C'était d'ailleurs le sens de son dernier livre. Il a été le seul officier supérieur à reconnaître vraiment les exactions commises par l'armée française, notamment pendant la Bataille d'Alger. Les autres, comme le général Massu, l'ont fait du bout des lèvres. Je pense que Paul Aussaresses a dit la plupart des choses. Sans doute reste-t-il une part de mystère, notamment sur l'affaire Audin… -Justement, il a toujours refusé au nom d'un pacte de silence de révéler les secrets de la disparition de Maurice Audin. Dans votre livre, il laisse entendre qu'il connaît la vérité. Vous en a-t-il parlé ? Y a-t-il des choses qui n'ont pas été écrites ? Oui, bien sûr, il y a des choses qui ont été dites et pas écrites. C'est encore un peu tôt pour en parler, mais sur l'affaire Audin, des révélations devraient apparaître dans les prochains jours ou les prochaines semaines. Je pense avoir une partie de l'histoire, mais je suis journaliste, si des révélations doivent être faites, elles seront étayées par des éléments concrets et incontestables. J'ai un peu avancé sur cette enquête, j'ai des pistes, mais pas encore suffisamment de preuves. Peut-être que cela sortira dans quelque temps. -Pourquoi Paul Aussaresses a-t-il eu ce besoin d'écriture dans les dix dernières années de sa vie ? Etait-ce une confession ? Un besoin de soulager sa conscience ? Il y a un peu de tout ça. Contrairement à d'autres militaires, Paul Aussaresses était un intellectuel. Il pensait beaucoup, tout ça le travaillait même s'il ne le disait pas forcément. Souvent, il se référait à ce qu'avait confié Abdelaziz Bouteflika à Jean-Pierre Elkabbach, lors du voyage de Jacques Chirac à Alger. Il avait dit que c'était tout à l'honneur de Paul Aussaresses d'avoir parlé. -Se voyait-il comme un bouc-émissaire, lâché à partir des années 2000, alors qu'il était l'un des officiers les plus décorés de l'armée française ? Exactement. Les Bigeard, Massu, Schmitt ont dit qu'il avait déshonoré l'armée française. Mais tout ce qu'il a raconté sur la Bataille d'Alger était vrai ! Ca a été confirmé par des historiens ! Aujourd'hui, qui conteste la torture, la gégène ? Aussaresses a eu le tort de dire tout haut ce que tout le monde savait et cachait. Il a été puni pas pour ce qu'il avait fait, mais pour ce qu'il avait dit. C'est la chanson de Guy Béart : «Le premier qui dit la vérité. Il doit être exécuté.» Aussaresses finira aux oubliettes de l'histoire, qualifié de tortionnaire, alors que Massu, qui donnait les ordres et était responsable de tout ça, a eu droit aux honneurs militaires à sa mort. -Sur le plateau de France 2 le 23 novembre 2000, Paul Aussaresses disait avoir des regrets, mais pas de remords. Quels étaient-ils ? Il disait : «Je porte ça avec moi et je porterai ça avec moi jusqu'au dernier.» Implicitement, cela veut dire que ça lui a rongé la vie. Après la Bataille d'Alger, sa carrière de militaire n'était plus ce qu'elle aurait dû être. C'est une énigme, ce garçon. Lui, un intellectuel plutôt ouvert, brillant, littéraire, tolérant, pourquoi est-il allé jusque-là ? C'est un mystère. -En 1941, Paul Aussaresse avait commencé par la Résistance. Plus tard, il refuse ce terme aux militants du FLN et les qualifie, jusque récemment, de terroristes. A-t-il jamais expliqué ce paradoxe ? Sur le terme «terroriste», Paul Aussaresses ne faisait que reprendre les termes du pouvoir politique, qui parlait de maintien de l'ordre et des événements d'Algérie, alors que c'était une guerre d'indépendance. Aussaresses était dans cette logique. Qui plus est, il fait partie de cette génération marquée par la guerre d'Indochine. Il disait : «On s'est fait avoir en Indochine, on ne se fera pas avoir en Algérie.» Pour lui, en 45, c'est la troisième guerre mondiale qui commence. Il voyait dans le soutien des communistes aux fellagas une manœuvre de l'URSS. Paul Aussaresses pensait que derrière le FLN, c'était l'œil de Moscou.