En 2004, il a été recensé plus de 100 marchés informels dans la wilaya d'Alger. Bien qu'une soixantaine de marchés réglementaires soit réalisée dont une quarantaine de proximité. Cela n'empêche pas, pour autant, le négoce parallèle de se montrer plus tenace devant la puissance publique qui, en dépit du cadre législatif et réglementaire, peine à l'éliminer. En 2006, les pouvoirs publics avaient décidé de prendre le taureau par les cornes pour mettre fin à ce qu'on appelle, par fausse pudibonderie, le commerce informel qui accapare les espaces publics, mais le phénomène n'est pas, pour autant, éradiqué, encore moins réfréné. Les vendeurs qui échappent aux redevances fiscales investissent des tronçons de rues, étalant leurs éventaires non sans causer des désagréments aux piétons et aux automobilistes. On encombre même les halls d'immeubles. On occupe les espaces publics pour dresser son étal de fortune de fruits et légumes, la gamme de l'agroalimentaire, de la panoplie de cosmétiques et lingerie, de la fripe, de cigarettes et autres joyeusetés pour les bambins. Les propriétaires de magasins assujettis à l'imposition fiscale n'ont d'autre choix que de fermer l'œil devant ce négoce déloyal ou prendre de court les indus occupants pour les empêcher d'installer leurs étals aux abords de leurs locaux. « Tôt le matin, nous marquons l'endroit immédiat de nos magasins avec des caisses et cageots pour ne pas céder la place aux vendeurs informels », nous disent des commerçants qui gravitent autour du marché des Trois Horloges de Bab El Oued. Le soir, les éventaires sont alimentés en électricité, à partir des balcons des locataires, moyennant, il va sans dire, la thune. On n'hésite pas à pirater l'énergie électrique à partir des supports assurant l'éclairage public. Des câbles d'électricité parcourent, telles des lianes, ces espaces de négoce. Aussi, les esprits s'échauffent vite dans ces lieux fébriles où tout échappe au contrôle sanitaire. « Il ne se passe pas un jour où l'on n'assiste pas à des rixes et esclandres qui, parfois, dégénèrent en drames, notamment lors du mois de Ramadhan », soulignent des riverains qui peinent à rallier leur chez soi. « Tout est bouclé, chaque empan de trottoir est squatté et gare à celui qui s'avise à faire une remarque à ces petits nababs de la rue qui imposent leur diktat ! », renchérissent des habitants de l'ex-rue du Moulin conquise, tout au long de la journée, jusqu'à la Basetta. Et comme l'usage devient force de loi, les vendeurs illicites bombent le torse. Ils n'ont cure de la nuisance acoustique qu'ils causent au voisinage, tout en bravant les autorités de la DCA (Direction du commerce d'Alger) et le BHC (Bureau d'hygiène communal). D'ailleurs, l'exemple de l'aménagement du marché de la fripe de Zoudj Aâyoun affecté aux vendeurs qui squattaient la rue Bouzrina, est plus qu'illustratif. C'est comme le mythe de Sisyphe. Libérée manu militari, ladite rue n'a pas tardé à être réinvestie par de nouveaux « conquérants » pour engorger, de plus belle, et le passage piétons et la chaussée. A qui incombe la faute ? Aux jeunes chômeurs qui écoulent les produits de l'import-import à la faveur d'une économie de bazar ou à la puissance publique qui fait montre d'indigence ? Cette dernière s'essouffle à trouver une solution de rechange susceptible de canaliser le débordement d'une activité qui échappe au fisc et à l'autorité sanitaire. Difficile, en tout cas aux autorités de trancher le nœud gordien. Il en est de même du marché Ali-Ali, réalisé à coup de milliards de centimes. Cependant, les carreaux du marché restent pleins de vide aux trois quarts, car ceux qui occupent les abords et « racolent mieux les chalands et tirent de meilleurs dividendes qu'en exerçant dans un espace de commerce réglementaire », fait remarquer un vendeur de légumes. En voulant connaître la version d'un des édiles de La Casbah sur cette anarchie, ce dernier nous fait savoir que l'exécutif communal ne peut rien faire. « Nous n'avons pas les coudées franches pour intervenir », soutient-il à notre adresse. Devant ce casse-tête chinois, la puissance publique peine à trouver une alternative et semble se complaire, sommes-nous tenus de dire, à ménager le chou et la chèvre. Autrement dit, laisser les sans-emploi engorger l'espace public en leur permettant d'étaler, à leur guise, leurs ballots, pour en tirer leurs choux gras et d'intervenir par intermittence qu'en cas d'impérieuse nécessité pour désobstruer les rues.