L'Afrique du Sud est revenue au devant de la scène avec la disparition de la figure emblématique du pays, Mandela. Ce grand pays reste fascinant pour tous ceux qui voient en lui le symbole de la richesse et du développement. Troy Blacklaws, dans son dernier roman, Un monde beau fou et cruel, retranscrit l'univers d'un pays aux contrastes vertigineux. Pour rappel, Troy Blacklaws est un écrivain sud-africain né en 1965 dans la province du Natal, et il enseigne actuellement au Luxembourg. Il s'est déjà fait remarquer par son précédent roman, Oranges sanguines. Ce nouveau texte, publié à la rentrée, porte sur les mouvements de migrations des populations vers le sud du continent africain et aborde la question du vivre-ensemble dans une société multiculturelle. Dès le départ, l'auteur invalide la thèse qui fait des pays du Nord le pôle le plus attractif du continent. Les différents personnages du roman ont des origines différentes et se distinguent par un cosmopolitisme qui donne le tournis. On a d'abord «Jérusalem» dont les parents sont un couple réunissant un juif et une musulmane. Il est désorienté dans ses repères au quotidien. La violence qu'il côtoie dans la ville de Cap Town, le rend morose et un peu flegmatique. Son père, «Zéro», lui impose de tenir un stand dans le marché de la ville pour gagner sa vie. Mais, lui rêve de musique car il est une sorte de musicien vagabond qui écume les petits bars pour s'adonner à sa pratique favorite. Son activité commerciale bat de l'aile et trouve une issue heureuse grâce à la rencontre du petit Buyu, venu de Tanzanie. «Jérusulem» se prend d'amitié pour ce petit immigré qui a traversé plusieurs pays au péril de sa vie pour atterrir en Afrique du Sud. A travers ce personnage, l'auteur nous fait prendre conscience des nouveaux dangers qui guettent l'Afrique suite aux exploitations sauvages et immodérées de la faune et la flore africaines. Buyu raconte une histoire édifiante sur les travers de certains gouvernements qui autorisent des multinationales à faire n'importe quoi sur leur sol. En effet, lui et sa famille vivaient à proximité du lac Victoria et son père exerçait comme pécheur pour nourrir sa famille. Un beau jour, une société étrangère débarque dans les environs pour faire de la pisciculture en introduisant la «perche du Nil». En prenant ses quartiers dans un milieu qui n'était pas le sien, ce gros poisson a mis fin à l'existence des petits poissons en rompant la chaîne alimentaire. Là-dessus, le père de Buyu a été assassiné par les vigiles de la société étrangère qui ne voulait pas qu'il vienne s'aventurer dans leur concession. L'auteur décrit bien les destructions que subissent les sociétés autochtones par l'irruption des multinationales mercantiles dans leur univers. Le long voyage de Buyu avait pour but d'aider sa mère, atteinte du sida, à acheter des médicaments. Dans la foulée du récit, le lecteur fait connaissance avec «Jabulani», respectable professeur d'anglais au Zimbabwe qui lui aussi se retrouve embarqué dans une histoire rocambolesque rappelant étrangement le roman de Kundera, La plaisanterie. Cet auguste enseignant s'est permis de dire dans la salle des professeurs et devant tous ses collègues réunis que «Mugabé était un clown car il avait des chemises bariolées». Le directeur auquel on a rapporté ces propos les a trouvés offensants à l'égard du vieux révolutionnaire, libérateur du pays du régime d'apartheid de Rhodésie. Licencié et humilié, Jabulani se retrouve sans aucune perspective professionnelle. Ce bannissement le met sur le chemin de l'exil pour pouvoir subvenir aux besoins de sa femme et de ses deux filles. La route vers l'Afrique du Sud n'est pas de tout repos. Elle montre que les histoires d'immigration forcées se ressemblent partout dans le monde, un peu comme le parcours des harraga en Afrique du Nord. Plus récemment encore, cette problématique des migrations a été évoquée par deux films très poignants, l'un cubain et l'autre mexicain. Le premier s'intitule Una noche et le second Rêves d'or. Le roman rejoint ces deux films dans le traitement inhumain et scandaleux qu'on réserve aux immigrants. Pour revenir au roman, Jabulani tombe entre les mains du propriétaire d'une ferme frontalière qui capture les candidats à l'exil et les fait travailler comme des esclaves dans la production de la marijuana. Il parvient quand même à s'enfuir comme le faisaient les esclaves marrons des Antilles qui peuplent les romans et les essais de Patrick Chamoiseau. Mais le propriétaire de la ferme, que l'auteur désigne comme le «le cow-boy fantôme», ne lâche pas sa proie et la traque jour et nuit. Troy Blacklaws dresse dans son roman un tableau très sombre du pays de Mandela. L'auteur évoque aussi les problèmes de cohabitation entre les nationalités qui vivent en Afrique du sud, chaque pays africain ayant son propre ghetto et son propre business. Les problèmes de discrimination marquent encore la société malgré leur disparition institutionnelle. Ce roman donne aussi des informations très utiles qu'on ne retrouve pas dans la presse internationale. Enfin, Jabulani comprend que l'Afrique du sud est un miroir aux alouettes. L'auteur montre à travers son roman que certaines dictatures africaines par leur aveuglement ne cessent de fabriquer du désespoir à profusion. Troy Blacklaws, «Un monde beau, fou et cruel». Ed. Flammarion, Paris, 2013.