Le Soir d'Alg�rie : Votre second roman s'enfonce un peu plus encore dans une vision d�sesp�r�e de l'Alg�rie. A quelles pr�occupations r�pond votre d�marche d'�criture ? Yahia Belaskri : ma d�marche est totalement tendue par cette pr�occupation : comment l��tre humain peut �tre face � l�Histoire. Comment se construire dans une soci�t� o� la barbarie a pour pr�tention d�outrager le beau ? Si tu cherches la pluie, elle vient d�en haut n�est pas une vision d�sesp�r�e de l�Alg�rie ; c�est un focus sur une s�quence de l�Histoire r�cente de l�Alg�rie. Dans le texte, nulle part je nomme les pays, les villes o� se d�roule le r�cit. Mais bien entendu, je parle d�un lieu : l�Alg�rie. Pourrais-je parler d�autre chose ? Peut-�tre. Pour l�instant, c�est d�Alg�rie que je parle. Et ce roman je le porte depuis longtemps ; les ann�es quatre-vingt-dix ont �t� d�une violence inou�e pour les Alg�riens et je me suis nourri du v�cu de celles et ceux qui l�ont subie. L�, � cet instant, j�ai une pens�e particuli�re pour Alloua A�t- Mebarek, d�c�d� sous les d�combres de la maison de la presse, cibl�e par un attentat, en f�vrier 1996, durant lequel plusieurs journalistes du Soir d�Alg�rie ont trouv� la mort. Entre imaginaire et r�alit�, le d�bat n�est pas termin�. Pour ma part, pour paraphraser Dany Laferri�re, plus c�est vrai, plus je suis dans l�imaginaire. Vous optez pour une �criture r�solument noire qui est aussi celle de la contestation. L'�crivain alg�rien aujourd'hui peut-il, selon vous, faire l'impasse de la contestation, quelle qu'en soit la forme? Depuis Sartre et sa sentence �un �crivain ne doit pas parler pour ne rien dire�, la litt�rature a �volu� dans sa mani�re d�appr�hender la soci�t� et les questions qu�elle soul�ve. Pour Soljenitsyne, c�est �faire pr�valoir une vision universelle de l'homme�, pour Milan Kundera, c�est �la d�fense de la libert� par la fiction�. Comment pourrait se situer l��crivain alg�rien ? De diverses mani�res, bien entendu. Tout comme le reste des �crivains, il est en prise avec la r�alit�. C�est quoi la r�alit� ? C�est un monde brutal, fait de tumulte et de violence. Et l��crivain alg�rien, me semble-t-il, ne peut faire l�impasse sur cette r�alit�. Et chacun va l�appr�hender � sa mani�re. Pour moi, la contestation est consubstantielle � l�acte d��crire ; il n�est nul besoin de l�affirmer, l�agiter. Vous choisissez, de fa�on g�n�rale, de ne pas nommer les lieux. Quelle est la port�e de ce choix ? Pour �tre honn�te, ce n�est pas un choix d�lib�r�, pens�, r�fl�chi. En �crivant mon premier roman Le Bus dans la ville, l�anonymat des lieux s�est impos� de lui-m�me. J�ai continu� ainsi pour Si tu cherches la pluie, elle vient d�en haut. Et pourtant, le r�cit permet de situer les lieux. Le roman est partag� entre l�Italie et l�Alg�rie. Quand je parle du destin de Badil �dans une petite ville du bout du bout de la botte�, il est �vident que je parle de la Sicile. L�, c�est un �v�nement qui a eu lieu en 1996, � Portopalo, qui m�a inspir�. Les p�cheurs siciliens remontaient dans leurs filets les corps d�immigr�s qui avaient p�ri dans un naufrage. Au lieu de rep�cher les corps afin de les identifier et les remettre � leurs familles pour qu�elles fassent le deuil, ils les rejetaient � la mer !! Dans ce cas, il n�y avait nul besoin de nommer le lieu tant notre humanit� est capable des pires choses. Quelles seraient les conditions qui feraient qu'un jour vous puissiez d�livrer un message d'espoir � travers vos romans ? Mais l�espoir existe dans mes romans. Il est �vident : c�est l�amour, c�est la beaut�. L�amour � donner, � partager avec l�autre, les autres, quelquelles que soient leurs couleurs, leurs religions ou croyances. La beaut� car, selon Lacan, elle est la �barri�re extr�me � interdire l�acc�s � une horreur fondamentale�. La beaut� c�est une peinture du Caravage ou de Khadda, c�est un roman comme Nedjma de Kateb ou encore Terrasse � Rome de Pascal Quignard. C�est aussi un sourire, un geste. J�ai vu, un jour, un spectacle d�une immense beaut� : une femme croise un SDF, lui dit bonjour et continue son chemin ; cinq minutes apr�s, elle revient vers lui et lui tend un sac o� il y avait un poulet r�ti et une portion de pommes de terre. Il la remerciait, �tonn�, elle �tait d�j� partie. C�est cela le beau. Dans mes romans, il y a la po�sie. Ces po�tes que je cite, Kateb, S�nac, Ren� Char et bien d�autres, c�est un appel au beau pour conjurer la barbarie. Propos recueillis par Meriem Nour Belaskri bio Journaliste, collaborateur pour Les Lettres fran�aises, Tartuffe, L�Anacoluthe, Cultures Sud. Ecrivain, � Romans - Le Bus dans la ville, roman, �ditions Vents d�ailleurs, mars 2008 ; �ditions Apic, Alger, 2009 ; - Si tu cherches la pluie, elle vient d�en haut, �d. Vents d�ailleurs, 2010. � Nouvelles - Histoire fausse, nouvelle in Derni�res nouvelles de la Fran�afrique ; �ditions Vents d�ailleurs oct. 2003 ; - La fen�tre bleue, nouvelle in Fen�tres sur M�diterran�e ; sept. 2006; - Le Retour, nouvelle, in Ancrage africain, �d. Apic, Alger 2009 ; - Blanc et Noir, nouvelle in Nouvelles d�Afrique, nouvelles de foot. Enfants de la balle, �d. J. C. Latt�s, Paris 2010 � Essais - L�Islamisme et l�Europe sociale in Extr�mismes en Europe (ouvrage collectif sous la direction de Jean-Yves Camus), �ditions de l�Aube - CERA 1999 ; - L��preuve d�une d�cennie. Alg�rie, art et culture 1992-2002 (ouvrage collectif sous la dir. de, avec Christiane Chaulet- Achour), co�dition APCV- Paris- M�diterran�e, Paris 2004 ; - Les Franco-Maghr�bins et la R�publique ; ouvrage collectif ; �ditions APCV, Paris 2007. Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut Dehia, Adel, Djibril. Trois personnages. Trois trag�dies. Avec un bus dans la ville (Vent d'ailleurs, 2008), le premier roman de Yahia Belaskri, on pensait avoir atteint le paroxysme du tourment. Mais l'auteur nous avait averti : �La col�re est toujours l�, elle grossit. Le tourment aussi.� Dans ce second roman, Si tu cherches la pluie elle vient d'en haut (Vent d'ailleurs, 2010), la pluie se d�verse toujours par trombes sur la ville maudite et les �l�ments furieux se d�cha�nent contre les hommes. Si les lieux ne sont pas explicitement d�sign�s � ce qui leur conf�re un caract�re intemporel, voire universel �, on en devine l'origine. Dehia et Adel, mari�s depuis dix ans, ont en commun leurs blessures : �Tous deux issus du m�me ventre, le ventre aride d'une terre qui a rompu avec ses anc�tres.� R�fugi�s dans un pays qui ressemble � l'Italie, �une terre fertile o� l'homme est consid�r� dans son int�grit�, sa dignit� �, ils tentent de se reconstruire. Ils d�ambulent, s'�merveillent, lisent, rient surtout. Parfois une ville, un lieu �voquent les images d'antan. La narration contrast�e alterne le pr�sent et le pass�, ici et l�-bas, le murmure de l'eau et la cacophonie brutale de la rue, la douceur de vivre et la violence extr�me. Quel est ce monde qu'il a fallu fuir ? Le monde de la haine de soi et de l'amn�sie, de l'intol�rance et de l'obscurantisme. Celui de la corruption, du n�potisme et de la terreur. Ce monde o� les fils frappent et assassinent leur m�re, o� les p�res deviennent fous. Le monde du chaos, du sang et des chairs � vif. Dans ce monde o� les parents vendent leurs enfants perdus entre mendicit� et d�linquance, le plus faible est l'objet d'actes de barbarie. Badil, le jeune fr�re d'Adel, est un enfant perdu, humili�, viol�, victime de la cruaut� de tous : d�tenus, gardiens de prison, employeur. Condamn� � la marginalit�, la peur gouverne sa vie. Son cri se perd dans l'indiff�rence qui le pousse au geste extr�me de la mutilation. Seul espoir, quitter la ville par la mer. Mais la fuite elle-m�me est inutile, comme la barque des candidats � l'exil, le pays tout entier chavire et le pass� ne s'oublie pas. Roman noir par sa port�e contestataire et dans son approche d'une r�alit� sociale tragique. Yahia Belaskri heurte, d�range car la v�rit� est sans tabou. Il ne d�sarme pas, il cible avec pugnacit� toutes les plaies de notre soci�t�. Le syst�me �ducatif, l'universit�, l'entreprise, l'arm�e, l'h�pital, la famille sont pass�s au crible de sa plume acerbe. Ses personnages sont pr�textes � cette d�nonciation, et c'est l'ampleur du drame qui leur conf�re leur densit�. Dehia enseigne � l'universit�, son courage � ne pas se laisser corrompre, sa lutte contre la bigoterie et l'ignorance, sa clairvoyante analyse des carences de l'�ducation susciteront les haines qui d�truiront les siens. C'est ce m�me refus du mensonge qui pousse Adel, jeune cadre enthousiaste et plein de projets, � r�sister � la corruption g�n�ralis�e. L'auteur d�crit avec justesse le monde de l'entreprise qu'il conna�t bien : �Les cadres sont d�nigr�s, accus�s d'�tre des boulets ou, supr�me insulte, des complices de la main de l'�tranger.� Contraint aux l�chet�s, Adel �c�de, plie, compose, accepte. � La ville, comme dans son premier roman, est un personnage � part enti�re. Grise, sale, cacophonique, indiff�rente � la mis�re, elle refl�te toute les turpitudes de la soci�t�. Comme le po�te auquel souvent il se r�f�re, Yahia Belaskri, au plus profond de sa col�re, continue par le verbe � se battre pour ses r�ves. M. N. Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut, Yahia Belaskri, ed. Vent d'ailleurs, 2010 SIGNET Noir Il existe une litt�rature noire. C�est celle de la nuit, de l�encre, du d�sespoir. C�est un peu celle que pratique Yahia Belaskri. Dans le sillage des �crivains d�sesp�r�s, il trouve encore de la beaut� � puiser dans le chaos. C�est la force des mots. De la po�sie. De la cr�ation. Ce roman de notre confr�re est un faux noir puisque il luit au fond du d�sespoir qu�il montre des �clats d�espoir et m�me de bonheur � venir. Le�on num�ro un : ne jamais d�sesp�rer. Et puis comment le faire quand on voit un �crivain tracer son sillon, laisser entendre sa voix personnelle, originale ? Bon vent !