Les amoureux des littératures d'Afrique et de la diaspora noire n'ont pas à s'en faire, la succession des Achebe, Gordimer et Kourouma est assurée. La preuve en est, cette rentrée littéraire hexagonale 2014 dans laquelle, la nouvelle génération d'auteurs plus talentueux les uns que les autres a la part belle. Sans pour autant faire de l'ombre à leurs aînés qui se distinguent encore et toujours par leurs productions étonnantes de puissance et d'inventivité. Avec les romans de Taiye Selasi, Fiston Mwanza Mujila, Chibundu Onuzo et Max Lobe programmés cet automne, la rentrée littéraire 2014 a mis le cap sur la nouvelle génération d'auteurs africains. Héritiers de la grande tradition de la fiction d'Afrique en langues européennes, ces nouveaux «afropolitains», terme par lequel ils aiment se désigner, donnent à lire des récits résolument modernes dont l'action se déroule entre l'Afrique d'où ils sont issus et l'Occident où ils battent le pavé à la recherche d'inspiration et de reconnaissance. Ils écrivent sans complexe dans les langues des anciens colonisateurs sans se plus poser les questions devenues aujourd'hui caduques sur le désespoir de devoir raconter «avec des mots de France ce cœur qui (leur) est venu du Sénégal» ! Shakespeare à Lagos Le désespoir des premières générations de romanciers et poètes a désormais cédé la place à la confiance, confiance retrouvée des écrivains africains dans leur art et leurs destins. Leurs récits sont engagés, comme eux, dans l'épopée du monde contemporain, en instance de mondialisation. Ils en brossent les contours, les failles et les promesses. C'est le devenir de ce monde que les sociologues qualifient volontiers de «post-post-colonial», qui est le thème du premier roman très attendu de Taiye Selasi Le ravissement des innocents (Gallimard). C'est un roman d'exils et d'immigrations heureuses où se croisent les destins faits de succès professionnels, de ruptures et de profonds sentiments de dislocations des différents membres d'une famille de Nigériano-Ghanéens, établie aux Etats-Unis. Conteuse hors pair, Selasi qui a grandi entre Londres et Massachusetts, mêle avec talent le passé et le présent, la géographie et l'histoire, la vie et la mort, comme peu de romanciers savent le faire dès leur premier livre. Tram 83 (Métailié) de Fiston Mwanja Mujila, est aussi un premier roman. Il puise dans la vitalité de sa langue et dans la férocité de l'envie de vivre du peuple congolais qu'il met en scène, sa force poétique et hallucinée. Cette force est manifeste dès les premières lignes qui campent le bordel éponyme au centre du récit. Le romancier en fait la métaphore du chavirement de tout un continent. «C'était le seul endroit du globe où l'on pouvait se pendre, déféquer, blasphémer, s'amouracher et dérober sans se soucier du moindre regard.» Ainsi va le monde, selon FMM, acronyme de ce romancier congolais bourré de talents. Francophone, poète et nouvelliste, Fiston Mwanja Mujila livre avec Tram 83 (Métailié) un premier roman prometteur, annonciateur du riche avenir de la fiction africaine. Ce roman fait partie de la dizaine des titres retenus par «Le Monde» pour la deuxième édition de son prix littéraire dont les lauréats seront proclamés en septembre. Parmi les autres romans sous la plume des écrivains africains de la génération montante paraissant cet automne, il faut citer La trinité bantoue (Ed. Zoé) du Camerounais Max Lobé et La fille du roi araignée (Les Escales) de la Nigériane Chibundu Onuzo. Installé en Suisse et lauréat du prix Roman des Romands (équivalent suisse du Goncourt des lycéens) pour son second roman 39, rue des Bernes, Lobé, 28 ans, explore avec humour et truculence, devenus sa marque de fabrique, la condition noire en Suisse où la prospérité n'a pas réussi à aplanir la violence des rapports sociaux entre riches et pauvres, natifs et immigrés, bourgeois bien-pensants et foule bigarrée des marginaux et des laissés-pour-compte. La société helvétique, que le Camerounais décrit avec un sens consommé du réalisme satirique, n'est pas très éloignée du Lagos des villas sécurisées et des bidonvilles où se déroule l'action du roman de la Nigériane Onuzo. Dans l'univers de cette toute jeune romancière de 23 ans, le mal cohabite avec le bien, la haine avec l'amour. Son roman raconte une histoire d'amour impossible entre une jeune fille des quartiers huppés de Lagos et un vendeur de glaces. C'est la version nigériane de la romance entravée de Roméo et Juliette, sur fond de chaos matériel et sentimental contemporain. Shakespeare n'aurait sans doute pas été trop dépaysé à Lagos ! Les anciens Si la jeune génération de romanciers africains fait l'événement cette année, on aurait tort d'ignorer les auteurs africains établis et expérimentés à qui nous devons quelques-uns des titres les plus remarquables de cette rentrée littéraire africaine. La pluie ébahie (Chandeigne) du Mozambicain Mia Couto est sans doute un des plus beaux textes de cette saison littéraire. C'est un livre d'une centaine de pages, plus proche de la fable et de l'allégorie que du roman à proprement parler. Des pages empreintes de poésie et de jubilation, représentatives de l'art de l'auteur de Terre somnambule (1992). L'écriture de Mia Couto procède par métaphores et silences, son objectif étant moins de dire le monde que de l'incarner à la manière des conteurs d'antan. Sans doute pour mieux en souligner la complexité. Remarquables aussi sont les titres que proposent André Brink et Karel Schoeman, deux maître de la littérature sud-africaine lus dans le monde entier. Leurs nouveaux romans – Philida (Actes Sud) de Brink et Des voix parmi les ombres (Phébus) de Schoemann – ont en commun leur obsession historique. A travers une exploration distanciée de l'histoire de leur pays, celle de l'esclavage pour le premier et celle de la guerre des Boers (1899-1902) pour le second, les deux auteurs réfléchissent aussi sur le présent et sur la persistance du passé qui ne passe pas. L'Histoire avec un grand «H» est aussi au cœur de Souveraine magnifique, le huitième roman du Camerounais Eugène Ebodé qui puise son inspiration dans les massacres qui se sont abattus sur le Rwanda en 1994, érigés en métaphore de la «déshumanisation» qui guette les hommes dans la brousse comme au cœur du monde «civilisé». Diaspora Finissons ce panorama des productions du monde noir en citant trois pointures de la diaspora africaine dont le retour en librairies de France et de Navarre rend cette rentrée particulièrement enthousiasmante. Commençons par la grande Maya Angelou, décédée en mai dernier, dont les éditions Buchet-Chastel publient en octobre Lady B, l'ultime volume de son autobiographie. Le premier volume de ses mémoires, «Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage», paru en anglais aux Etats-Unis en 1969, avait contribué à faire connaître Angelou dans le monde entier, à la fois en tant que poétesse, mais aussi en tant que militante pour les droits civiques. Amie et compagnon de route de Martin Luther King, elle avait reçu en 2011, la prestigieuse médaille de la Liberté des mains de Barack Obama. Dans ses mémoires, Angelou a retracé son parcours extraordinaire qui l'a conduite du fin fond des ghettos noirs jusqu'au plus haut sommet de prestige et de reconnaissance. Le dernier volume de ses mémoires, qui paraît en traduction française cette année, est centré autour de ses relations difficiles avec sa mère, à l'origine sans doute de la quête d'amour et de sens que fut la vie de cette grande dame du monde noir américain. Les deux autres pointures attendues cette année ont pour nom Dany Laferrière et Edwige Danticat. Ils sont Haïtiens tous les deux. Laferrière, immortel depuis peu puisqu'il fait désormais partie de l'Académie française, livre avec L'art presque perdu de ne rien faire (Grasset) un volume de chroniques où se mêlent réflexions (sur la sieste, la lenteur, le voyage), rencontres (Obama) et portraits des écrivains (Rilkes, Basho, Salinger, Hemingway, Borges...). Ces chroniques prononcées initialement à la radio dans le cadre des collaborations estivales, sont traversées par cet esprit très «laferriérien», fait de légèreté ludique, de sérieux et de cette connaissance profonde du monde née de longue fréquentation de livres et de littératures. Last but not least, Edwige Danticat, auteur entre autres de La Récolte douce des larmes (1999) et du Briseur de la rosée (2005) et lauréate du prestigieux National Book Critics Circle Award aux Etats-Unis pour son récit autobiographique Adieu mon frère. Dans son nouveau roman Pour l'amour de Claire, l'Haïtienne revisite ses thèmes favoris : identité, migration, condition féminine. Ils sont ici incarnés par le personnage éponyme du récit : Claire, 7 ans, fille de pêcheur et orpheline de mère. Le roman raconte la quête identitaire de la jeune fille, faisant son chemin entre abandon et tendresse, violences et résistance, portant comme talisman son nom en créole qui signifie «claire lumière de la mer». Un récit enchanteur et profond qui pourrait servir de mascotte pour a riche production d'Afrique et de la diaspora noire de cette rentrée littéraire africaine 2014.