Les manifestants étaient venus hier de tout le pays pour protester contre les propos de l'ex-Premier ministre. «Les Chaouis n'accepteront jamais les excuses de celui qui a méprisé leur histoire et leur akhenfouf (honneur, en chaoui, ndlr). L'Aurès a des hommes mais aussi des femmes qui ont enfanté la Kahina et ont hérité de son courage et de sa bravoure. Nous sommes ici pour nous indigner et demander à ce que Sellal soit traduit en justice pour ses propos injurieux. Non aux hommes d'Etat qui dénigrent le peuple algérien !», s'emporte une manifestante. Mais au mot d'ordre d'origine, lancé par le Mouvement citoyen des arouch de l'Aurès contre la mauvaise blague de Abdelmalek Sellal sur les Chaouis, se sont ajoutés d'autres motifs de mécontentement. Chaque groupe avait ses propres slogans. Au son d'une chanson de Matoub Lounès, des jeunes glissent à la tête du véhicule pour scander : «Pour une république démocratique et unie !» «Nous sommes là pour dire que nous n'acceptons pas qu'une région de l'Algérie se fasse attaquer par quiconque. Ce n'est que le début d'un élan de solidarité né à Batna», promettent ces jeunes, venus de Kabylie. Juste après eux, défile un autre groupe composé de jeunes, filles et garçons. Ils sont venus de l'ouest du pays, exactement de Sidi Bel Abbès, ils brandissaient une banderole sur laquelle on pouvait lire : «La wilaya de Sidi Bel Abbès soutient les Chaouis». «On est tous Algériens et nous n'acceptons pas d'être touchés dans notre dignité», affirme l'un d'entre eux. Parmi les slogans scandés tout au long de la marche : «Djich, chaâb, maak ya Zeroual. L'armée et le peuple sont avec Zeroual», «Non au 4e mandat», «Yaskout ennidham, pour la chute du système», «Ya Sellal ya haqir, faqou bik el faqaqir, Sellal le vil, vous avez été démasqué par les faqaqir» ou même «Pour le rejet de l'élection». Policiers dépassés D'autres mouvements ont pris part à la manifestation comme le mouvement Barakat de Batna, B'zayed, le Mouvement des libres de l'Aurès et d'autres encore dont plusieurs intellectuels et artistes de la wilaya. Parmi eux Saïd Berkane, connu ici sous le nom de Don Quichotte. Les policiers, dépêchés pour l'encadrement de la marche, ont été dépassés par le nombre des manifestants. Malgré les tentatives pour orienter l'itinéraire et éviter que les marcheurs ne rejoignent la maison de Liamine Zeroual, les policiers n'ont pu faire barrage. Ameur Derradji, un youtuber qui fait le buzz avec ses vidéos comiques est reconnu. Applaudissements. «Nous voulons nous débarrasser de cette machine humaine qui pille les richesses du peuple algérien. Pour que Bouteflika, Saïd, Sellal et tous ceux qui leur ressemblent quittent le pouvoir !, s'emporte Ameur Derradji, poète, comique et activiste politique. Je suis ici pour m'indigner et demander le départ de tout le système. Nous voulons une IIe République. Nous voulons enfin respirer et espérer un avenir meilleur pour notre chère patrie, l'Algérie.» A 13h, une conférence de presse a été animée par les représentants des arouch en présence d'un membre de Sétif à l'hôtel Chilia du centre-ville. Satisfaits par l'ampleur de la marche, ils se sont fixé un autre rendez-vous samedi à 11h à Khenchela et Biskra. «Nous ne nous arrêterons pas là, le combat continue», promet Fateh Achoura, président du Mouvement citoyen des arouch de l'Aurès. Des réunions des arouch de plusieurs wilayas s'organisent aussi dans la foulée. «Nous préparons la réunion des arouch de l'Aurès qui aura lieu lundi prochain (24 mars) à Timgad dans la wilaya de Batna. Celle des arouch de 44 wilayas se tiendra aussi à Timgad le jeudi 27», conclut Fateh Achoura. Zeroual, star de Batna La lettre adressée au peuple algérien par l'ex-président Liamine Zeroual a pimenté la marche organisée hier à Batna. Son nom a été scandé tout au long de la manifestation. Les protestataires n'ont pas arrêté de crier : «Djich Chaab, maak ya Zeroual. L'armée et le peuple sont avec Zeroual». Lors de la conférence de presse animée à l'hôtel Chilia par l'ensemble des mouvements qui ont pris part à la manifestation, le président du Mouvement citoyen des arouch de l'Aurès a tenu à remercier Zeroual pour être sorti de son silence. «La lettre était claire et nous la considérons comme soutien à notre action. Nous le remercions au nom du mouvement pour sa prise de position, notamment, dans ce moment crucial», a déclaré Fateh Achoura, le président. Dans la rue, les avis divergent entre nostalgiques du père de la concorde civile et ceux qui ne voient pas la nécessité d'une telle prise de position après tant d'années de mutisme. Rencontré sur le boulevard Mustapha Ben Boulaïd, Kamel, ex-militant du FLN, appelle aujourd'hui à mettre l'ancien parti unique au musée et regrette l'époque de Liamine Zéroual. «Seul Zeroual a l'aptitude de mener à bien le pays. Je partage absolument tout ce qu'il a dit. Malheureusement, nous sommes gouvernés par des gens qui ont fait de la Constitution un torchon avec lequel ils s'essuient chaque matin. Zeroual avait limité le nombre de mandats à deux. Pourquoi, Bouteflika l'a-t-il ouvert ?» s'indigne Kamel, 40 ans, universitaire. Hamza et Hocine, la trentaine, ne voient, actuellement, aucune issue à la crise. «La vérité, je ne m'intéresse pas à la politique car nous restons sous un système qui ne cesse de clochardiser le peuple algérien, explique Hamza, ingénieur en électronique. Quant à Zeroual, rien ne m'intéresse de ce qu'il a déclaré, car les paroles ne peuvent pas à elles seules constituer une solution à nos problèmes. On a beaucoup parlé et peu agi», ajoute-t-il. Parmi les personnes rencontrées et qui ne partagent pas le texte de Zeroual, Gaya, 32 ans, militant de gauche, affirme : «Il n'y a rien de nouveau par rapport à tout ce qui a été dit auparavant. Son texte est usé. Ce n'est que la couleur du manteau qui a changé. Car en fin de compte, il vise la pérennité du système.» Certains vont plus loin en expliquant que Zeroual soutient en réalité Benflis. «Si Zeroual est contre le 4e mandat en appelant à un vote massif, c'est qu'il est pour un autre candidat qui ne peut être à mon avis que Ali Benflis», affirme Moussa, 28 ans, enseignant dans une école primaire de la ville.