«Aucun texte n'impose au Président de se déclarer apte à marcher, parler ou faire du sport» : c'est un des conseillers du chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, qui réagit ainsi aux aveux de Belkhadem, le 17 mars, du Président, le 23 mars, et de Sellal, le 24 mars, sur sa maladie. Dans sa lettre aux Algériens, Bouteflika indique : «Les difficultés liées à ma santé physique actuelle ne semblent pas me disqualifier à vos yeux ou plaider en faveur de ma décharge des lourdes responsabilités qui ont eu raison d'une bonne partie de mes capacités.» Abdelaziz Belkhadem, ministre d'Etat et conseiller spécial, a reconnu que le président-candidat a encore besoin d'une rééducation des jambes, alors que le directeur de campagne, Abdelmalek Sellal, déclare à Blida que la santé du chef de l'Etat ne lui permettait pas de se porter candidat. «C'est une contradiction flagrante», réagit Fatiha Benabbou, professeur de droit et spécialiste de la Constitution, rappelant le déphasage entre un dossier de candidature validé par le Conseil constitutionnel et ces aveux. «Malheureusement, le Conseil constitutionnel est de nature politique, il n'est pas composé de juristes professionnels, mais de personnes nommées par le Président et qui entretiennent, donc, avec lui une relation d'interdépendance», souligne la constitutionnaliste. «Cette institution a été verrouillée», poursuit-elle quand on évoque la possibilité d'appliquer l'article 88 (proclamation de l'Etat d'empêchement). Mme Benabbou rappelle également qu'un médecin qui signe un faux certificat médical commet un délit. Mais là, la gravité de la chose dépasse de loin ce cadre. Selon elle, la charge de responsabilité de président de la République est trop lourde et nécessite un engagement complet : «Ce n'est pas par hasard que la prestation de serment du Président élu se fait en jurant sur le Coran et en prenant à témoin le peuple et les hautes instances de la nation, c'est une responsabilité importante.» El maâlam «A un moment, montrer de temps en temps le Président recevant, assis, aphone, des responsables de l'Etat ou des émissaires étrangers ne suffira plus à prouver qu'il est en plein exercice de ses fonctions», selon un ancien ministre de Bouteflika. «La fonction présidentielle exige une présence protocolaire, une charge de travail mais aussi une présence, même loin des caméras, pour maintenir l'autorité du boss, el maâlam, comme l'appellent ses gardes du corps de la DSPP : montrer qu'il y a quelqu'un qui tient la maison, et non pas quelqu'un qui a délégué ses pouvoirs et ses décisions capitales à un tiers», poursuit l'ancien ministre. «Le président est le pouvoir depuis Ben Bella et Boumediène. Il incarne l'Etat, c'est-à-dire l'Algérie en tant que nation, délimitation géographique, population et principes sacrés. Il est la voix de l'Algérie dans le concert des nations, le creuset d'une histoire de toute l'Algérie. Il a le devoir de garantir la continuité de l'Etat», rappelle un haut cadre de l'Etat. Dans le texte, l'article 70 de la Constitution décrète : «Le président de la République, chef de l'Etat, incarne l'unité de la nation. Il est garant de la Constitution. Il incarne l'Etat dans le pays et à l'étranger. Il s'adresse directement à la nation.» Crise C'est ce qui nourrit le plus d'inquiétudes, en fait, selon la professeure de droit : ce système très présidentialiste va très vite se retrouver dans une «crise de régime» inédite. Tout remonte vers le Président qui n'est comptable devant aucune institution. Même l'article 158 de la Constitution a été maintenu sans décret d'application, ce qui empêche par exemple d'actionner l'accusation de haute trahison, ou la composition de la Haute Cour, afin de laisser le chef de l'Etat libre de toute contrainte, et surtout de toute menace de destitution. «Si cette loi organique existait en 1991-1992, les décideurs n'avaient pas à inventer des subterfuges juridiques pour évincer Chadli», rappelle un ancien haut gradé militaire. «Le Premier ministre ou le gouvernement (qui peuvent servir de boucs émissaires en cas de crise) n'ont aucune responsabilité politique. C'est-à-dire que si des mouvements de rue éclatent, ils cibleront directement le tenant du pouvoir, celui que la Constitution (qui a une hantise de la pluralité des pouvoirs depuis 1963) considère comme le véritable centre du pouvoir : ça sera le slogan “irhal“ (dégage) ! Et c'est là que les pires scénarios peuvent être envisagés.» Car dans un système parlementaire, le Premier ministre, issu d'une majorité, donc pourvu de légitimité populaire, peut «sauter» en cas de crise de gouvernement, car il assume pleinement sa politique ; or dans le système présidentialiste algérien, le patron de l'Exécutif n'est que le coordinateur du gouvernement et doit appliquer le programme du chef de l'Etat. Bug «Le régime avec ses décideurs civils et militaires tiennent beaucoup à la légalité, non pas parce qu'il s'agit d'une culture d'Etat, mais pour sauver les apparences, c'est une obsession, confie le haut cadre de l'Etat. Pour évincer Chadli, les généraux Touati et Taghrirt ainsi que Ali Haroun ont minutieusement exploré les textes durant des nuits pour faire “passer'' le coup de force ; quand Zeroual a brutalement jeté l'éponge, on lui a demandé de sauver la face d'un mandat écourté.» Sauf que le régime est coincé entre la façade qu'il présente et les grosses crises qui le traversent : «Avant, on pouvait sauver les meubles, plus maintenant, avec un Président impotent, des institutions incapables de jouer le jeu, le système bug, et c'est très dangereux, même au DRS et à l'ANP, la cohésion a rompu les rangs», s'inquiète un haut gradé. Un analyste observe que le risque est très imminent de voir le système, résigné à s'agripper à un seul centre du pouvoir, s'effondrer et entraîner le pays dans la catastrophe. «D'autant qu'il n'y a plus de contrepoids à la Présidence, l'armée, qui a joué ce rôle même de manière informelle, étant neutralisée, poursuit notre source. Or, avec l'unique centre de pouvoir tenu par un homme malade, la situation va vers le pire des scénarios.»