Khaled Boussaid, le responsable de la CNDDC d'El Ménéa, celui qui a filmé des gendarmes braquant leurs kalachnikov sur des manifestants pacifiques et a publié la vidéo sur Internet, a été arrêté, quelques jours plus tard, à son domicile ainsi que plusieurs de ses camarades, soit 12 arrestations au total. Quatre autres arrestations ont été opérées et ce sont 16 accusés qui ont fait l'objet d'un procès, dont 12 devaient comparaître libres et se devaient, donc, de se présenter la veille de l'audience pour se constituer prisonniers tel que le prévoit la procédure. Seul Boualem Belekhal, s'y était plié. Les quatre détenus, en l'occurrence Youcef Benarouba, Cheikh Benhaoued, Mohamed Abdelmadjid Saidat et Khaled Boussaid, ont dû se trouver bien seuls dans la salle pratiquement vide. Personne n'était venu les soutenir. Khaled Boussaïd, le militant frêle et déterminé, celui qui a osé demander une wilaya à El Ménéa, un certain 14 mars 2013, le responsable de la coordination nationale de défense des droits des chômeurs CNDDC d'El Ménéa, vient donc d'écoper de trois ans de prison ferme avec deux de ses camarades de lutte. Flash-back Le 28 avril 2013, des dizaines de chômeurs d'El Ménéa sont sortis dans la rue pour réclamer de l'emploi et une vie meilleure. El Ménéa, daïra agricole réputée pour ses oranges, ses raisins, ses roses et surtout son eau minérale d'excellente qualité, est le pays de l'oisiveté et de l'ennui. Dans cette localité rattachée à la wilaya de Ghardaïa qui s'en détourne, la population veut le divorce. Les gens pensent qu'ils méritent mieux que quelques visites irrégulières des responsables de la wilaya et aspirent à l'autonomie. A l'instar de Djanet, In Salah et Touggourt, El Ménéa réclame depuis fort longtemps de devenir une wilaya à part entière afin de s'épanouir. C'est d'ailleurs cette question qui est avancée par les chômeurs d'El Ménéa, lesquels, en plus d'un emploi et d'une vie digne, veulent tout simplement la promotion de leur daïra et une politique de développement adaptée à ses spécificités. A El Ménéa, dès le mois d'avril, toutes les perspectives se ferment avec la venue de la saison des vents de sable. Aussi, pour se faire entendre, les chômeurs avaient décidé de frapper fort comme fermer l'accès à la RN1, provoquant ainsi un énorme bouchon et coupant la circulation entre le nord et le sud du pays. Rien que ça. C'était pour dire, aux autorités centrales, qu'El Ménéa est exactement au cœur de l'Algérie, géographiquement parlant bien sûr et qu'un simple sit-in sur ses abords pouvait paralyser la circulation entre le nord et le sud. Les chômeurs remettaient surtout en cause les choix du recrutement des entreprises pétrolières étrangères installées sur le territoire de leur daïra. Seize d'entre eux ont été arrêtés. Ils ont été accusés d'«attroupement armé sur la voie publique» et d'«association de malfaiteurs». Le procès La défense a été assurée par un collectif d'avocats du réseau des droits de l'homme, constitué de Mes Noureddine Ahmine du barreau de Laghouat, Amirouche Bakouri du barreau de Bejaïa, Amine Hassani et Amine Sidhoum du barreau d'Alger, de Dalila Kaci du barreau de Ouargla et de Mohamed Mezghiche, avocat handicapé moteur, du barreau de Biskra, lequel, nous a-t-on dit, avait tenu à être présent à cette audience présidée par le juge Nadjib Belabani, alors que le ministère public était représenté par Yacine Ayad, tous deux relevant du tribunal d'El Ménéa. La séance a été pour le moins expéditive puisqu'elle n'a pas dépassé les 90 minutes avec le réquisitoire et les plaidoiries des avocats de la défense. Ceux-ci se sont relayés pour démonter les arguments de l'accusation affirmant que ceux-ci ne reposent sur aucune preuve tangible et que ces faits, s'ils s'étaient produits au nord du pays, n'auraient pas eu le même impact. Après une courte pause des délibérations, le juge est revenu pour annoncer le verdict dans un silence de cathédrale. Trois ans de prison pour trois des accusés, deux ans pour un quatrième, quant au cinquième qui comparaissait libre, il a été acquitté. Ironie du sort, les absents n'ont pas eu tort puisque les onze autres, ceux qui ont bénéficié de comparutions directes, ne se sont pas présentés à l'audience. Ils n'ont même pas été appelés à la barre. C'était la consternation parmi les avocats qui ont dénoncé la sévérité du verdict. Pour Me Sidhoum, «c'est une incitation à la violence» alors que son confrère, Amirouche Bakouri, a affirmé carrément qu'«il y a une rupture entre le citoyen et la justice». Me Noureddine Ahmine, révolté, a parlé d'«une grave instrumentalisation de la justice à des fins politiques.» Le groupe de chômeurs d'El Ménéa, jugé cette semaine à Ghardaïa, est en fait constitué des éléments actifs du bureau local de la CNDDC dans cette daïra promise à un grand avenir vus ses multiples atouts mais qui reste, comme la plupart des villes du sud, livrée à elle-même avec un développement au pas de tortue et un manque flagrant de débouchés pour la jeunesse au moment où toutes les ressources du pays sont pompées sous leurs yeux. Qui sont-ils ? «Ces jeunes qui ont appris à s'organiser sous la houlette de la CNDDC», témoigne l'un des membres fondateurs de la coordination, «ont assisté aux préparations et aux rassemblements pacifiques qui se sont tenus dans plusieurs villes du sud, notamment à Ouargla, Laghouat, El Oued et Ghardaïa.» Ils ont constaté que les rassemblements se tenaient avec des banderoles, des affiches, qu'ils prônaient la lutte politique pacifique sans heurts et sans violence. Ils ont ensuite constaté que, suite aux différents rassemblements de Ouargla, un feed-back des autorités commençait à venir, qu'Abdelamalek Sellal avait pris des décisions et envoyé des instructions à la wilaya de Ouargla quand le tout nouveau wali multipliait les promesses. Bref, les chômeurs d'El Ménéa, au même titre que ceux de Ouargla, ont compris qu'en sortant dans la rue, en bloquant la route, ils pourraient se faire entendre. Ils ont donc décidé de faire la même chose dans leur ville. Lors de leur rassemblement du 28 avril 2013, soit à peine deux mois et demi après la Milliyonia de Ouargla, le 14 mars 2013, les gendarmes sont intervenus en force pour ouvrir la route bloquée par les manifestants.