Lancés le 27 avril 2013, avant même que l'ODS n'ait été officiellement donné à l'entreprise réalisatrice sino-algérienne CRCC-Sapta dans le souci, disait-on à l'époque, d'honorer les délais de livraison, les travaux de la pénétrante autoroutière Béjaïa-Ahnif en sont encore, 14 mois plus tard, à un stade embryonnaire. Hormis quelques travaux préparatoires ici et là, tout reste à faire. L'espoir suscité à l'annonce du projet s'amenuise au fil des mois pour laisser place à la colère et à l'incompréhension. Les bouchons sur la RN26 deviennent spectaculaires. Par conséquent, l'économie locale, mise à mal par cet état de fait qu'aggravent les fermetures de routes répétitives générées par le désengagement de l'Etat, arrive, on ne sait comment, à garder la tête hors de l'eau. Dans leurs revendications, élus, citoyens et mouvements associatifs locaux mettent l'achèvement de ce projet en tête de leurs préoccupations. Mais il semble que la réalité du terrain en a décidé autrement. Des oppositions citoyennes aux montants des indemnisations proposés pour l'expropriation et, dernièrement, un mouvement de grève enclenché par des travailleurs «mal lotis» de l'entreprise en charge du projet sont deux obstacles de taille que le maître d'ouvrage, l'Agence nationale des autoroutes (ANA), doit surmonter s'il veut mener le projet à bon port. S'étalant sur 100 kilomètres — dont 86 sur le territoire de la wilaya de Béjaïa — le tracé de la pénétrante traversera 30 km de terrains domaniaux et 70 km de domaines privés. Une trentaine de kilomètres supplémentaires serviront d'assiette à sept échangeurs attenants. Sans surprise aucune, aussitôt divulgués, les montants des indemnisations pour les expropriés privés sont très vite rejetés. Selon Rachid Ourabah, le directeur de wilaya des travaux publics (DTP), les montants, calculés sur la base des paramètres du barème national, vont de 500 à 2500 DA le mètre carré. Un «leurre», selon des expropriés qui s'y sont aussitôt opposés dans plusieurs des 16 communes concernées par le passage de la pénétrante. Il n'en fallait pas plus pour remettre en cause un projet présenté comme un gage de sortie du sous-développement d'une wilaya avide de projets structurants. Desserrer le nœud «On ne peut pas traiter à part.» Telle est la réponse que donne le DTP, interrogé sur les cas d'expropriation de citoyens n'ayant comme seule richesse que leur parcelle de terrain, en contrepartie de sommes «dérisoires». Nombre de ces citoyens jugent «inutile» de se sacrifier pour l'«intérêt général», argument favori des autorités pour vendre les indemnisations au rabais. Si la pilule passe chez les uns, elle reste par contre en travers de la gorge de ces gens pour qui l'expropriation s'apparente à de la «paupérisation». C'est cela, tout compte fait, l'épicentre du problème. Pour tenter de desserrer ce nœud, une délégation composée du wali et de directeurs de son exécutif est allée récemment dans quatre communes, à la rencontre des citoyens concernés. Le DTP qui, lors d'une session de l'APW, au début de l'année, a fait montre d'un pessimisme inquiétant quant au sort du projet, se veut, à l'issue de ces sorties, a priori concluantes, plutôt rassurant : «On peut dire qu'il y a acceptation. Ces entrevues avec les citoyens ont permis de débloquer la situation en revoyant certains montants à la hausse ; dès que ces expropriés empocheront leur argent, les travaux au niveau de ces communes démarreront sans tarder.» Le directeur pousse l'enthousiasme plus loin en déclarant que «des citoyens se proposent volontairement à l'expropriation rien que pour valoriser leurs terrains par le passage de la pénétrante». Interrogés au lendemain de la visite de ladite délégation, les expropriés d'une de ces quatre communes, Boudjellil, ont confié que le problème n'est réglé qu'«en partie» car, pour nombre des 400 citoyens concernés, le porte-à-porte de la délégation et la «maigre» revalorisation opérée sur les indemnisations sont loin d'être persuasifs. Ils veulent des indemnisations «équitables», ce qui, pour le moment, relève de l'impossible, à moins qu'il y ait revalorisation générale du barème national applicable à tous. Il est par ailleurs évident que les travaux n'atteindront pas leur vitesse de croisière que si ce problème, de quelque manière que ce soit, est définitivement réglé et ce, jusqu'à la dernière opposition. Débroussaillage A côté de cela, la grève des travailleurs installés au niveau de la base de vie Semaoune pour exiger une meilleure situation professionnelle, dont le risque de propagation vers d'autres unités n'est pas à exclure, est un autre problème qui doit être pris au sérieux si l'on ne veut pas que la situation s'enlise davantage. Le DTP semble minimiser le problème et ne s'en encombre pas, alors que les conditions de travail au niveau des quatre unités de l'entreprise CRCC/Sapta sont «alarmantes» pour penser que l'embryon de contestation né à Semaoune est un volcan en sommeil qui risque d'entrer en éruption à tout moment. Pour le DTP, «c'est un problème qui concerne l'entreprise et l'Etat algérien a le droit de regard sur les conditions de travail des travailleurs au niveau des entreprises étrangères». Un taux de réalisation de 10%. C'est tout ce qui a pu être réalisé en 14 mois, d'après le chiffre donné par le DTP. Les travaux n'étant concentrés, à cause des difficultés citées ci-dessus, qu'au niveau des 30 kilomètres prélevés du domaine public nets de toute opposition. En attendant une éventuelle sortie de crise pour déployer ses engins sur les terrains privés, l'entreprise réalisatrice s'affaire, depuis le 27 avril 2013, aux travaux de débroussaillage, exclusivement sur le tracé de 21 kilomètres basé à Amizour, en plus des travaux de stockage des agrégats et matières premières issus de l'exploitation de deux carrières basées à Toudja et Amalou, informe le DTP. Interrogé à propos des risques sur l'environnement que causeraient l'exploitation de ces carrières, surtout du côté de Toudja où la région a la réputation d'être touristique et regorgeant de sources d'eau souterraines, Rachid Ourabah rassure et informe qu'«une étude d'impact en bonne et due forme est réalisée afin d'éviter une quelconque dégradation». De son côté, la DTP de Béjaïa poursuit sa tâche de coordonner le déplacement des différents réseaux et de suivi, au niveau du tronçon Amizour-Semaoune, informe encore le DTP, qui précise que le projet sera livré 36 mois après la date de délivrance officielle de l'ODS (18 décembre 2013). De l'avis d'experts, tenant compte des obstacles qui restent à surpasser et de ce qui reste à réaliser, le projet ne sera pas livré dans les délais impartis. Si le temps confirme cette prédiction, c'est une porte vers le progrès qui se fermera sur toute une région, voire au-delà.