« Les voies soufies et la géopolitique ont quelque chose en commun : les débuts et les fins », soutient Mohamed Taïbi de l'université d'Oran, auteur de plusieurs ouvrages sur les voies (toroq) du Maghreb. La géostratégie s'intéresse à atteindre une finalité à partir d'une situation de départ donnée. Le soufisme, pour sa part, évoque dans sa pensée annihayat ouel bidayat comme une des trames essentielles de sa pensée. Les ordres soufis du Maghreb central ont tenté de construire un monde social – des liens culturels, locaux, stratégiques – pour l'investir dans l'entreprise djihadiste face à l'expansion européenne vers les côtes sud de la Méditerranée après la débâcle andalouse. Des figures du soufisme algériens tels Sidi Mohamed Touati à Béjaïa et Sidi H'med Ben Youcef à Miliana ont carrément théorisé l'alliance stratégique entre la puissance soufie et l'appareil militaire ottoman, déclenchant ainsi ce que Tewfik El Madani qualifie de « guerre des 300 ans » contre l'Espagne de la Reconquista. Une alliance qui retardera de trois siècles l'expansion européenne vers le Maghreb. « Il s'agissait d'une force politique djihadiste », explique Taïbi. Et même après la chute d'Alger en 1830, les confréries, encerclées par les Français et les Anglais ainsi que par l'hostilité des wahabites du Hijaz, se sont redéployées vers le Sud, vers le Sahel, à l'exemple de la Senoussiya qui a pu relancer un mécanisme djihadiste face aux Français dans le Soudan occidental. « Ce qui a été perdu au nord a été récupéré au sud, créant ainsi un véritable rééquilibre géostratégique », conclut Mohamed Taïbi.