Depuis les brûlots que je me suis permis de lancer lors des deux colloques en hommage à Mostefa Lacheraf et à Abdelhamid Benzine, je me sens obligé, vis-à-vis de ma conscience, de ma morale et de ma déontologie intellectuelle d'ouvrir publiquement le dossier, quelque peu délicat, du déficit de savoir dans la formation de la nation algérienne. C'est pourquoi, je me suis mis en chasse de quelques références pour ouvrir ce débat ou à tout le moins de donner quelques pistes à quiconque se sent interpellé par ce drame que nous payons encore bien cher aujourd'hui, relatif au déficit de socle éthico-idéologique, à l'extrême indigence de nos élites politiques et à l'absence de programme pour le projet d'émancipation nationale. Au cours de mes habituelles pérégrinations dans les librairies d'Alger, l'atavisme aidant nourri à la despotique, mais saine curiosité, j'ai découvert au fin fond d'un rayonnage un ouvrage oublié qui semble pourtant convenir en la circonstance au sujet de ce jour. Il s'agit d'un petit (hélas) opuscule (155 pages) de mon collègue Ahmed Hamdi, l'actuel doyen de la faculté des sciences politiques et de la communication ( je ne sais pas s'il est encore doyen). Peu importe du reste. Cet opuscule publié à Alger en 2001 à la suite sans doute d'une thèse soutenue en 1999, traite des « racines du discours idéologique algérien » (je pense que mon collègue voulait plutôt parler de discours politique, d'après ce que j'ai lu de son travail, mais cela est une querelle de théorie, de conceptualisation et de traduction). L'intérêt de cette publication de vulgarisation sur une question aussi sensible expliquera mon désir de la traiter à fond, du moins dans les limites de l'étude en question, ce qui m'oblige à présenter ce travail en deux ou trois chroniques. La première portera sur une présentation générale suivie de l'ouvrage suivi de celle du premier discours saisi par l'étude, à savoir le discours traditionaliste. La présentation du discours assimilationniste fera l'objet de la seconde chronique. Enfin l'approche critique du discours nationaliste avec une appréciation critique générale constituera la troisième chronique. L'opuscule, écrit dans une belle langue arabe châtiée où la recherche formelle de l'effet rhétorique (pourtant finement suggéré) est pour une fois savamment contournée pour rendre plus lisible un texte intéressant. L'ouvrage fort didactique, bien construit, reste pourtant d'une pédagogie quelque peu simpliste (peut-être en raison des contraintes qu'exige la communication de masse en direction d'un grand public). Après une introduction (6 pages et demie) et une première partie constituée de trois chapitres de 40 pages (le tout en un 1/3 du texte) sur les définitions des concepts et des genres de discours et d'idéologies avec force références appropriées quoique quelque peu désuètes pour certaines et de seconde main pour la plupart, mais qui sont une source d'orientation pour un large et non averti lectorat, Hamdi aborde à partir de la page 61 le sujet à proprement parler en seconde partie avec trois chapitres (soit 60 pages) également, sous le titre programmatique : les genres du discours idéologique algérien. Il en propose trois majeurs : le discours traditionaliste algérien, le discours assimilationniste algérien et enfin le discours nationaliste algérien. Chaque partie est suivie de notes (7 pages pour la première partie et 10 pour la seconde). L'ouvrage se termine sur une conclusion de quatre pages et demie suivie d'un sommaire. Pour ce qui est du discours traditionaliste, l'auteur en distingue deux composantes. Il les définit à partir de leurs instances énonciatives, c'est-à-dire des institutions ou organisations sociopolitiques ayant un discours politique dans la société algérienne : le discours maraboutique (toroqi) et le discours oulémiste (islahi). De manière schématique, mais fort didactique, ces deux discours sont précisés quant à leurs origines (Maghreb pour le premier, Orient pour le second) ainsi qu'à leurs fonctionnalités (résistance, puis neutralité, voire collaboration avec les puissances occupantes pour le premier, et réformisme et apolitisme puis patriotisme pour le second). Dans cette section consacrée à ce type de discours, l'accent est mis sur les différences et les divergences entre les deux discours et les raisons historiques et géopolitiques de ces divergences qui permettent de relever d'ores et déjà les distinctions entre le communautarisme ottoman et le patriotisme islamiste wahhabite depuis la fin du XIXe siècle. Cela permet du même coup à l'auteur de raccrocher l'islahisme algérien au wahhabisme comme courant distinctif du communautarisme religieux ottoman et de lui conférer ainsi une épaisseur historique culturaliste alors qu'il reconnaît explicitement que l'AOA a été créée en 1931, au lendemain des cérémonies du centenaire. Fait subtil, Ahmed Hamdi en rattachant les islahistes algériens au wahhabisme les rattache du même coup au courant réformateur occidentalophile tel qu'il s'était manifesté avec les discours de cheikh Mohamed Abdouh, de Djamel El Afghani, de Rachid Rédha et de Chekib Arslane, inspirés par les idéaux des Lumières de la Révolution française de 1789. Cela aboutit à exagérer la portée culturaliste de ce patriotisme dans l'unique souci de le détacher de ses conditions matérielles et partant politiques d'émergence. De ce fait, il atténue ostensiblement la portée politique de l'adhésion des Ouléma à la politique assimilationniste de la 3e République, adhésion dont les ouléma eux-mêmes ne s'en cachaient pas. Telle est l'explication qui s'impose quant au choix du titre qui privilégie la notion symbolique de « racines » (« joudhour ») à celle plus expressive de fondements (« ousoul »). Mieux encore, l'auteur rappelle à juste titre que le leader du PPA, le radical Messali Hadj était affilié à la darqaouia, la zaouia maraboutique, c'est-à-dire que son socle idéologico-politique était indigent à l'image de l'indigence de l'idéologie toroqiste, au regad bien entendu de l'élitisme islahiste. Cette lecture ouvre des perspectives d'approche culturaliste et idéologique au socle symbolique constitutif du discours national algérien. L'indigence de l'idéologie populiste de l'ENA-PPA est-elle à relier à cet état de choses ? La question a le mérite au moins d'être soulevée. Relatant les avatars des diatribes et luttes idéologico-politiques entre islahistes et toroqistes d'abord, puis entre islahistes et populistes ensuite, l'auteur finit au raccourci présentant l'islahisme comme une forme de nationalisme religieux continuateur du wahhabisme comme mouvement contre le touranisme et le turcophilisme califal, puis républicain qui fut un sérieux levain pour le nationalisme arabe et surtout maghrébin. L'affaire de la Cyrénaïque et celle du Rif en furent de parfaites illustrations M. Lakhdar Maougal Hamdi Ahmed. Judhur al khitab al idioloji al jazaïri, Dar el qasba lnnachr, Aljazaïr 2001, 158 pages,120 DA