Tunisie De notre correspondant Sept semaines séparent la Tunisie du premier des scrutins de cet automne, celui des législatives, décisif pour l'avenir politique du pays, puisqu'il déterminera le profil du pouvoir qui va gouverner en Tunisie durant les cinq prochaines années. Les observateurs ne cessent de s'interroger sur la capacité des islamistes d'Ennahdha à rééditer leur victoire électorale de 2011, surtout qu'ils ont quitté le pouvoir, «volontairement», fin janvier dernier, au profit du gouvernement de technocrates de Mehdi Jomaâ, après deux années de gouvernance catastrophique de la troïka, qu'ils ont formée avec les partis d'Ettakattol de Mustapha Ben Jaâfar, président de l'Assemblée nationale constituante, et du Congrès de la République, du président Moncef Marzouki. Ennahdha aura en face de lui un camp démocrate divisé. Saura-t-il tirer profit d'une éventuelle sanction des urnes contre les islamistes ? Les 5 236 244 électeurs tunisiens seront une nouvelle fois face à l'embarras du choix devant une pléiade de listes électorales, dont le nombre a certes chuté de 1508 à 1316, après l'annonce de l'élimination de 192 listes par l'Instance supérieure indépendante des élections (ISIE). Mais le nombre de listes reste très élevé puisque l'électeur aura à choisir entre un minimum de 27 listes, comme c'est le cas à Kébili, toutefois, ce nombre de listes atteint 69 à Kasserine, 64 à Sidi Bouzid, 60 à Jendouba et Kairouan et 59 à Gafsa. Ce n'est pas une mince affaire. Pour qui vont voter les Tunisiens ? Mastodontes De l'avis de la majorité des observateurs, les partis Nidaa Tounes et Ennahdha émergent largement du lot des 65 partis tunisiens, en lice pour les élections, parmi les 200 organismes politiques légalisés en Tunisie. «Ils ne disposent pas uniquement de permanences dans toutes les délégations de la République. Ce sont les seuls partis attirant l'intérêt des larges masses de citoyens, véritable réservoir électoral», remarque un ex-responsable des élections du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti dissous de Ben Ali, qui préfère garder l'anonymat. «Les rangs de ces deux partis pullulent d'ex-activistes RCD que je connais pour les avoir côtoyés pendant des années. Ennahdha et Nidaa Tounes ont des troupes à leurs ordres dans les quartiers populaires et des hommes d'affaires qui les soutiennent financièrement», poursuit le même responsable. Pour ce destourien de souche, «la naissance de Nidaa Tounes a marginalisé tous les autres partis de l'opposition de la même famille politique social-démocrate, comme Ettakattol, Al Joumhouri ou Al Massar, d'autant plus que le parti de Béji Caïd Essebsi n'a pas participé aux élections du 23 octobre 2011 et que son président bénéficie d'un préjugé favorable auprès des citoyens pour avoir mené à bien les élections et remis le pouvoir à Ennahdha après la première phase de la transition». Concernant ses estimations pour les résultats des élections, ce cacique de l'ancien régime pense que «la campagne électorale déterminera l'ordre de sortie des urnes le soir du 26 octobre entre Ennahdha et Nidaa Tounes. Les autres partis ne récolteront que des miettes. Je ne pense pas qu'un autre parti puisse obtenir plus de 10 sièges dans le prochain Parlement». Constituante rejetée A noter que 124 membres (sur les 217) de l'actuelle Assemblée nationale constituante se représentent à leur propre succession. Dans le groupe d'Ennahdha, il n'y a que 33 éléments qui ont été reconduits sur les 89 membres islamistes de l'actuelle ANC. Nidaa Tounes, n'ayant pas de membres à l'ANC, puisqu'il a été créé en 2012, présentera deux têtes de liste seulement, appartenant à l'actuelle Chambre. Khemaies Ksila et Abdelaziz Kotti ont rejoint Nidaa Tounes à la fin de 2012 après avoir été élus sur les listes d'Ettakattol et du CPR. Les autres partis ont pratiquement reconduit la majorité écrasante de leurs représentants, car ils n'ont pas de relève, ce qui prouve que bien des choses différencient Ennahdha et Nidaa Tounes des autres partis en lice pour les élections. Par ailleurs, le politologue Slaheddine Jourchi attire l'attention sur le rejet citoyen de l'actuelle ANC, «trop laxiste par rapport aux attentes citoyennes, que ce soit pendant ou après l'adoption de la Constitution, ce qui pourrait se traduire par un vote massif contre les membres de cette Chambre». «Il y a un sentiment chez un large segment de la population que la Constitution a été arrachée à l'ANC et que les constituants ne pensent qu'à leurs propres intérêts», ajoute Jourchi. «L'absence de Nidaa Tounes de l'ANC peut servir la cause des candidats du parti de Béji Caïd Essebsi, plus libres dans la critique de l'exercice précédent», conclut le politologue. Toutefois, avec la discipline connue parmi les troupes de sympathisants des partis islamistes comme Ennahdha, la partie s'annonce serrée. La Tunisie jouera son avenir le 26 octobre 2014, jour du scrutin législatif. Le régime politique choisi par la Constitution tunisienne est plutôt quasi parlementaire, puisque le Parlement dispose du gros du pouvoir, même si le président de la République sera élu le 23 novembre prochain.