L'article premier, fondateur et fondement, du code de procédure pénale français dispose : «La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties». Au sens juridique, le terme «contradictoire» a un sens bien précis «la possibilité donnée à toutes les parties de se faire entendre et de se défendre». Tout juge pénal de France et de Navarre doit avoir moins le souci de la condamnation des coupables que celui de la protection de ceux qui ne le sont pas. Un grand juriste disait : «Je préfère voir cent coupables en liberté qu'un innocent en prison». La juge française semble avoir été plus guidée par le souci manifeste de distribuer les peines que de protéger les accusés présumés innocents, notamment Moumen Khalifa que l'on qualifie à tort et par abus de langage d'«accusé principal». Trois illégalités rédhibitoires entachent cette parodie de procès. 1 – L'illégalité du jugement par défaut. Le faux défaut Deux articles du code de procédure pénale français constituent le socle de notre affirmation quant à l'illégalité totale du jugement de Nanterre. Art 410 CPPF : «Le prévenu régulièrement cité à personne doit comparaître, à moins qu'il ne fournisse une excuse reconnue valable par la juridiction devant laquelle il est appelé». La formule «doit comparaître» utilisée par l'article ne s'applique que pour le prévenu qui ne fournit pas «une excuse reconnue valable», or la détention de l'accusé dans un pays étranger qui, de surcroît, refuse de l'extrader est une excuse manifestement et évidemment valable et en conséquence, le dispense de l'obligation de comparaître. L'article 487 relatif au jugement par défaut dispose que sauf les cas prévus par les articles 410, (sus cité) 411, 414, 415, 416 et 424, toute personne régulièrement citée qui ne comparaît pas au jour et à l'heure fixés par la citation est jugée par défaut, ainsi qu'il est dit à l'article 412. Ainsi, le législateur français exclut du jugement par défaut les cas prévus par l'art 410, le prévenu qui fournit une excuse reconnue valable, notamment une détention dans un pays qui refuse son extradition. En conséquence Moumen Khalifa n'est pas éligible au jugement par défaut. La condamnation par défaut, dans ces circonstances est d'une «illégalité absolue». Elle constitue une atteinte gravissime au principe, socle de la procédure pénale universelle, et une violation du code de procédure pénale français substantiellement en son article 487 et subséquemment en son article 410. D'aucuns soutiendraient que le droit français offre une option pour l'accusé qui accepte d'être défendu par un avocat et jugé en son absence pour éviter une condamnation sans défense. En effet, cette option, dangereuse, existe en droit français, mais ce n'est point une obligation. Le droit algérien prohibe absolument cette possibilité, il y a peut-être une réforme à initier sur ce plan . Le choix de se faire défendre, en son absence, est recommandé pour les affaires assez simples où l'on juge exclusivement sur une base documentaire et/ou lorsque les accusés décident de plaider coupable. Je réitère et je précise : le législateur français n'oblige point mais octroie une alternative à l'accusé de se faire défendre en son absence. Dans le cas d'espèce, j'ai personnellement déconseillé cette option à Moumen. Il est suicidaire de plaider dans un procès pareil en l'absence de l'accusé, d'autant que dans ces conditions le jugement rendu serait contradictoire, art 411 al. 2 CPPF. La personne condamnée n'aura que la possibilité d'aller en appel alors que le jugement par défaut ouvre droit à l'opposition. Curieuse précipitation à juger dans des conditions iniques de la magistrate française, qui s'est abstenue d'utiliser deux possibilités offertes par le code de procédure. Une solution est suggérée par l'article 410-1 CPPF : «Lorsque le prévenu cité dans les conditions prévues par le premier alinéa de l'article 410 (régulièrement cité, ndlr) ne comparaît pas et que la peine qu'il encourt est égale ou supérieure à deux années d'emprisonnement, le tribunal peut ordonner le renvoi de l'affaire et, par décision spéciale et motivée, décerner un mandat d'amener ou un mandat d'arrêt. -Une autre possibilité est offerte par l'art. 411 a-l 3 applicable, lorsque l'accusé veut être défendu en son absence, autorise le tribunal à renvoyer l'affaire à une audience ultérieure en ordonnant la comparution de l'accusé. Le procureur procède alors à une nouvelle citation. Cet article démontre l'attachement du législateur français à la présence de l'accusé. Dans l'esprit du législateur français, complètement bafoué par la juge de Nanterre, la comparution de l'accusé n'est pas seulement un droit, mais aussi une obligation et un devoir. L'accusé contribue à la manifestation de la vérité et à l'œuvre de justice. Il est manifeste que la juge de Nanterre n'a pas prospecté toutes les possibilités existantes pour donner les chances nécessaires à la comparution de l'accusé, le plus sévèrement condamné, (et non l'accusé principal), et ceci explique cela. D'aucuns objecteraient que le report ne règle pas le problème mais ne fait que le différer puisque l'Etat algérien refuse d'extrader son ressortissant, ce qui induirait un report indéfini du procès. Non ! On n'est pas condamné à cette solution radicale. On aurait dû juger les autres et on aurait pu surseoir à statuer sur le cas de Moumen. Il est vrai qu'aucun texte ne prévoit ou n'autorise cette formule, mais aucun texte ne l'interdit non plus. Or, tout ce qui n'est pas interdit est permis par et pour la sagacité de magistrats, tant que les droits essentiels de la défense sont sauvegardés. Des accusations pourraient s'orienter vers l'Algérie qui, en refusant d'extrader Moumen, est donc responsable de sa condamnation sans défense. 2 – L'illégalité de la demande d'extradition Les articles 696 de chacun des deux CPP algérien et français se ressemblent comme des frères jumeaux. Ils posent, en des termes identiques, le principe de non extradition des nationaux, et ce, même à titre provisoire. La loi des deux pays (Algérie, France) prohibe carrément l'extradition d'un national et ne laisse même pas l'appréciation discrétionnaire aux autorités saisies d'accepter ou de rejeter la demande. On ne donne pas quelque chose à quelqu'un qui refuserait de le donner, si les situations s'inversaient. Ainsi va la réciprocité en droit international. -Pourquoi les autorités françaises ont-elles joué la comédie d'une demande d'extradition qu'elles n'accorderaient pas elles-mêmes, si elles étaient saisies et qu'elles savent inacceptable par les autorités algériennes ? En somme, en transmettant une demande d'extradition, les Français ne demandaient aux Algériens que de violer, ni plus ni moins, leur législation, leur souveraineté. La juge française était dans l'obligation de constater l'illégalité de l'extradition d'après les textes et la poser comme hypothèse de travail. Cette comédie procédurale servirait de faire valoir pour une régularité formelle et factice et ferait porter à l'Algérie la responsabilité d'une parodie de justice française ? La problématique de l'extradition induit celle du mandat d'arrêt délivré par la juge de Nanterre qui pose un double problème de faisabilité et de légalité. La faisabilité : à quoi servirait un mandat d'arrêt dont le destin est couplé comme un frère siamois à la demande d'extradition ? Imaginait-on que les autorités policières d'Interpol viendraient cueillir Moumen Khalifa dans sa prison pour l'emmener en France, sans décision d'extradition ? L'extradition étant impossible à obtenir, le mandat d'arrêt ne sera pas exécuté. Cependant, faisable ou non, ce mandat pose un problème de légalité. 3 – De l'illégalité du mandat d'arrêt Le code de procédure pénale français réglemente d'une façon, plus ou moins tatillonne, les mandats d'arrêt délivrés par le juge d'instruction. Il ne prévoit cependant aucun article particulier aux mandats d'arrêt délivrés par le juge du fond après condamnation. Pourtant, ces deux titres juridiques, même avec un même nom, sont fondamentalement différents. La procédure pénale française assimile donc les deux actes, en dépit de leurs différences fondamentales. Elles émanent de deux juges différents et à de phases différentes de la procédure . En tout état de cause, en l'absence de dispositions spéciales relatives au mandat d'arrêt après condamnation, l'évaluation du mandat d'arrêt, délivré par la juge de Nanterre, sera faite à la lumière des dispositions relatives au mandat décerné par le juge instruction qui sont considérées comme le droit commun du mandat d'arrêt. L'art. 131 CPPF prévoit la délivrance d'un mandat d'arrêt dans deux conditions : 1- La fuite de la personne et/ou, 2- sa résidence en dehors du territoire national. – Moumen Khalifa n'est ni dans le premier cas de figure ni dans le second. Il n'est ni en fuite ni en résidence hors du territoire français, il est en détention et ce n'est pas une résidence contrairement à ce que semble considérer la juge de Nanterre. Il est vrai que la loi française prévoit et autorise la délivrance d'un mandat d'arrêt à l'encontre d'un détenu, mais lorsque celui-ci est décerné par un juge d'instruction d'une part et lorsque l'intéressé est détenu dans une prison française, d'autre part. En l'espèce, la jurisprudence de la juge de Nanterre est novatrice et inédite : un mandat d'arrêt délivré par un juge du fond après condamnation et à l'encontre d'un détenu incarcéré dans une personne étrangère. Un mandat d'arrêt décerné en dehors des conditions requises par la loi est un acte illégal Quelle est la suite des procédures maintenant ? Je suis saisi d'une inquiétude terrible ! Avec l'état d'esprit actuel des autorités judiciaires françaises avançant telle une mécanique impitoyable, considérant la détention en Algérie comme un élément superfétatoire, nous appréhendons le scénario suivant : 1- la signification du jugement de condamnation par défaut à Moumen Khalifa qui se trouvera devant un dilemme procédural. 2- n'enregistrer aucune opposition et rendre le jugement définitif. Enregistrer une opposition et alors… en cas d'absence au nouveau procès, Moumen subira le sort réservé par l'article 494 CPPF. «L'opposition est non avenue si l'opposant ne comparaît pas à la date qui lui est fixée…». Non avenue signifie «comme si elle n'a pas été faite», ce qui rend la condamnation définitive. En somme, Moumen Khalifa est pris en tenaille et en otage entre deux systèmes judiciaires et, peut- être, deux raisons d'Etat. La justice française aura réussi à juger et condamner Moumen Khalifa définitivement, sans l'avoir auditionné sans qu'il se soit exprimé et sans qu'il ait été défendu .N'est-ce pas ce qu'on a cherché, peut-être depuis le début, ici et là-bas.