Comme pour la biodiversité, de nombreuses cultures du monde se trouvent, elles aussi, menacées de disparition. Ce début de millénaire a le mérite de mettre l'humanité devant ses responsabilités, en mettant en avant les risques qui pèsent sur son devenir. On connaissait déjà les menaces qui planent sur la nature et que vient de rappeler encore la décevante rencontre de Copenhague. Mais une autre richesse fondamentale, la culture, est, elle aussi, atteinte dans sa diversité. Aussi, quand on voit la calotte polaire se désagréger en immenses morceaux, il faut savoir qu'en même temps que ce désastre écologique, des pans précieux du patrimoine culturel fondent dans l'oubli et disparaissent, avec hélas le même caractère irrécupérable. C'est donc tout le mérite de l'Unesco soulignant dans son rapport mondial sur la diversité culturelle, devenu désormais annuel, l'importance des questions nouvelles qui se posent à l'échelle mondiale pour la sauvegarde de cette richesse. Le rapport s'attache d'abord à définir la notion de diversité culturelle, en précisant qu'il s'agit avant tout d'un fait. Celui-ci se manifeste par une grande variété de cultures différentes, repérables à l'échelle des groupes et sous-groupes humains, même si, ajoute-t-on, une culture donnée présente des contours qui peuvent être plus difficiles à délimiter. Cela peut s'expliquer par le caractère nouveau du concept de diversité culturelle et les difficultés théoriques qu'il entraîne. On a, en effet, tendance à confondre la nature spécifiquement culturelle de cette diversité avec ses substituts ethniques et linguistiques, ce qui amène les rédacteurs du rapport à s'en tenir à la définition de la culture adoptée dans la Déclaration de Mexico (1982) : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». De même, il y a confusion ou chevauchement de plusieurs notions telles que « culture », « civilisation », « peuples ». Le rapport pointe notamment la notion de civilisation qui renvoie à des « cultures, qui, convaincues du caractère universel de leurs valeurs ou de leurs conceptions du monde, peuvent finir par faire preuve d'une attitude expansionniste à l'égard de celles qui ne les partagent pas (ou pas encore) ». Dans la foulée, l'Unesco s'inscrit en faux contre les « constructions idéologiques qui prophétisent un choc des civilisations » et prône « la conciliation des cultures sur la base des la reconnaissance de leur égale dignité ». Autre difficulté enfin, celle du rapport des cultures au changement, d'autant que ce n'est que dans les années 1970 que celles-ci ont commencé à être perçues comme des « entités changeantes » et non plus immuables et transmises en l'état de générations en générations. Aussi, pour l'Unesco, « la culture est mieux comprise en tant que processus » de même que « la dynamique particulière par laquelle une culture change tout en demeurant la même ». Il y a, peut-être, dans cette formulation une approche idéelle des changements car ceux-ci peuvent être de natures complètement différentes : le changement dû à une évolution interne en relation avec des échanges externes acceptés ou souhaités et le changement résultant d'agressions culturelles, même si celles-ci ne relèvent pas toujours de la volonté ou de l'intention. Entre homogénéisation et hégémonisme, il y a tout un monde ! Cette attitude consensualiste se confirme encore dans la vision des effets de la mondialisation. D'un côté, le rapport affirme : « Il ne fait aucun doute que l'érosion culturelle suscite une inquiétude croissante à l'échelle mondiale ». D'un autre, il tempère en affirmant qu'il serait « exagéré d'associer la mondialisation à la standardisation et à l'homogénéisation culturelles », relevant que se produisent aussi des « phénomènes d'adaptation », un processus d'échanges plus interactif et que les « ancrages culturels sont très profonds ». Il est certain que ces vingt dernières années, notamment avec les nouvelles technologies de communication, les échanges sont devenus moins unilatéraux, que des réseaux Sud-Sud, par exemple, se sont constitués, que la domination de l'anglais sur internet a reculé (voir encadré). Mais ce serait oublier que les clés du système de communication mondiale sont bien gardées, que la suprématie du www est loin d'être dépassée et que les moyens d'intervention sur le net sont monstrueusement disproportionnés. Ce serait oublier aussi qu'en dehors de la Toile, les échanges culturels réels demeurent centralisés et que les grandes industries culturelles sont de plus en plus concentrées. Livres, disques, DVD, systèmes et logiciels informatiques, etc... sont ainsi entrés dans la cagnotte des Bourses et, ce que l'on appelle « phénomènes d'adaptation » signifie souvent piratage dans les pays sous-développés, une pratique illégale et désastreuse, notamment pour les auteurs, créateurs et inventeurs, mais qui apparaît comme une réponse du pauvre à des cloisonnements drastiques. Il en va de même pour les arts visuels. On a pu ainsi relever de nouveaux flux du marché international de l'art et, par exemple, la naissance de nouveaux centres tels ceux de Dubaï ou de Shanghai. Mais ils demeurent tributaires des anciennes places fortes de la peinture ou de la sculpture et ne sont souvent que le fait de succursales des grandes maisons et courtiers d'art occidentaux. Le rapport, évoluant de manière sinusoïdale, se rattrape en quelque sorte en soulignant qu'il ne s'agit pas de « faire abstraction de l'impact négatif des forces de la mondialisation sur la diversité des pratiques culturelles ». Il souligne alors que le principal effet de cet impact négatif réside dans « l'affaiblissement du lien entre un phénomène culturel et sa localisation géographique, en transportant, jusque dans notre proximité immédiate, des influences et des expériences qui nous sont, en réalité, très éloignées » (mais cela peut être aussi perçu positivement). Sont cités ensuite les migrations qui suscitent des « expériences culturelles nouvelles », le tourisme qui se découvre des vocations culturelles plus fréquentes, et enfin les technologies numériques. Le rapport se penche sur de nombreux aspects : le dialogue interculturel, les vecteurs de la diversité (langues, éducation, communication, créativité et marché), les liens de la diversité culturelle avec le développement durable, les droits de l'homme et la gouvernance démocratique). Enfin, il désigne les trois défis à relever dans les prochaines années pour défendre la diversité culturelle : la lutte contre « l'analphabétisme culturel » (concept particulièrement intéressant), la réconciliation de l'universalisme avec la diversité et l'accompagnement des nouvelles formes de pluralisme. Au plan des recommandations, on retiendra, notamment, la création d'un observatoire mondial de la diversité culturelle et la mise au point de méthodes et d'outils d'évaluation, de mesure et de suivi de la diversité culturelle. Si le rapport mondial sur la diversité culturelle est critiquable en maints endroits, on ne peut négliger qu'il est le fruit d'une institution multilatérale. Sa rédaction a dû nécessiter de nombreuses controverses et négociations. Il comporte, de plus, des approches et des concepts nouveaux et intéressants. Son premier mérite, dans un monde où les crispations identitaires sont autant le résultat d'une « mondialophobie » réactive que de visées politiques xénophobes ou autres, est de mettre en avant la question à la fois ancienne et très moderne de la diversité culturelle. Mais, s'il reste confiné aux cercles onusiens ou diplomatiques, sans perspective de débats vivants dans les milieux culturels et artistiques du monde entier, où serait la diversité ? A savoir : On dénombre aujourd'hui entre 6000 et 8000 langues dans le monde. La moitié d'entre elles sont parlées par moins de 10 000 personnes. Tous les 15 jours, une langue disparaît ! Les industries des médias et de la culture représentent plus de 7% du PIB mondial et pèsent environ 1300 milliards de dollars, soit environ 2 fois les recettes du tourisme international (environ 680 milliards de dollars). L'économie de la culture et de la création a connu dans la zone OCDE une croissance annuelle 2 fois supérieure à celle du secteur tertiaire, et 4 fois à celle de l'industrie (années 1990) avec une concentration entre les mains de quelques multinationales. La part de l'Afrique dans le commerce mondial de la création demeure marginale — moins de 1% des exportations mondiales — alors que le continent ne manque pas de talents. Si, en 2000, 53% des usagers d'internet étaient anglophones, ce chiffre est tombé à 29% en 2009. Les exportations d'équipements culturels et médias des pays en développement ont augmenté entre 1996 et 2005, passant de 51 milliards de dollars à 274 milliards de dollars.