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Signons la paix avec la Terre
Publié dans El Watan le 27 - 01 - 2007

L'espèce humaine, la planète, la Cité savent désormais qu'elles sont peut-être mortelles. Certes, l'humanité ne vit pas sa première crise écologique, mais nous vivons sans doute la première crise écologique mondiale d'une telle ampleur. Que faisons-nous pour préserver l'avenir de la Terre et de la biosphère ? Quels sont les défis à relever ? Quelles solutions proposer ?
Nous venons de discuter de ces questions aux Dialogues du XXIe siècle récemment organisés par Jérôme Bindé à l'Unesco sur le thème : « Quel avenir pour l'espèce humaine ? Quel futur pour la planète ? », avec le concours d'une quinzaine d'experts de premier plan. Le changement climatique et le réchauffement climatique, tout d'abord. La planète pourrait se réchauffer de 1,5 à 5,8° C d'ici à 2100. Un tel réchauffement climatique menace de nombreuses parties du monde et risque de susciter davantage de catastrophes, telles la submersion d'Etats insulaires ou de régions côtières et la multiplication des tempêtes tropicales. La désertification, ensuite. Elle affecte déjà un tiers des terres de la planète. A la fin du XXe siècle, elle menaçait près d'un milliard de personnes vivant dans 110 pays. Ce chiffre pourrait doubler d'ici à 2050 : elle toucherait alors 2 milliards d'individus. La déforestation, elle aussi, se poursuit, alors même que les forêts primaires et tropicales abritent la plus grande part de la biodiversité mondiale, contribuent à lutter contre le changement climatique et freinent la dégradation des sols. La pollution de l'air, de l'eau, des océans et des sols et la pollution chimique et invisible menacent toute la biosphère. La Banque mondiale évalue ainsi à 1,56 million de morts par an le prix que l'Asie paye à la pollution atmosphérique. Comment ne pas mentionner également la crise mondiale de l'eau ? Deux milliards d'individus devront faire face à des pénuries d'eau en 2025 et sans doute 3 milliards en 2050. Enfin, la biodiversité est en danger : les espèces s'éteignent à un rythme cent fois supérieur au taux naturel moyen, et 50 % d'entre elles pourraient disparaître d'ici 2100. Or la biodiversité est essentielle au cycle de la vie, à la santé humaine et à notre sécurité alimentaire. Cette situation est lourde de risques de guerres ou de conflits et appelle des réponses globales. Le développement durable nous concerne tous et s'impose comme une condition vitale d'une lutte efficace contre la pauvreté, d'autant que ce sont les plus pauvres qui souffriront le plus des sécheresses et autres catastrophes naturelles à venir. Mais aujourd'hui, nous comprenons que la guerre à la nature est une guerre mondiale. Tel est le sens du Rapport Stern sur les conséquences économiques du changement climatique. L'humanité devrait ainsi se préparer à une baisse de 5 à 20% du PIB mondial d'ici à 2150, et payer une facture de 5 500 milliards d'euros, si elle n'engage pas, dès maintenant, des actions pour lutter contre le réchauffement climatique. Trop cher, le développement durable ? C'est en fait l'inertie qui nous ruine ! Javier Pérez de Cuéllar a lancé aux Dialogues du XXIe siècle un clair avertissement : « Comment pouvons-nous savoir, et ne pas pouvoir ni vouloir ? » Il nous faut à présent répondre avec courage et lucidité à des questions difficiles. On ne pourra plus, à l'avenir, opposer le développement durable et le développement tout court, la lutte contre la pauvreté et la préservation des écosystèmes. Il va falloir lutter sur tous les fronts à la fois. Il nous faudra également inventer de nouveaux modes de développement et de consommation beaucoup plus sobres. Car, comme l'a souligné Haroldo Mattos de Lemos aux Dialogues du XXIe siècle, « l'humanité ne vit plus des intérêts de la nature, mais de son capital ». Il ne s'agit évidemment pas d'arrêter la croissance, mais, comme l'a suggéré Mostafa Tolba, de la modifier en la dématérialisant le plus vite possible, c'est-à-dire en réduisant la consommation de matières premières dans chaque domaine de la production. Il faudra aussi sensibiliser davantage, dans le respect des mesures prescrites par le protocole de Kyoto, aux effets dévastateurs potentiels du réchauffement climatique. Il conviendra également de promouvoir un droit à une eau saine et potable, et établir pour cela les fondements d'une gouvernance éthique de l'eau, qui permette à la fois de maîtriser et de mieux gérer la demande, d'économiser, de traiter et de recycler l'eau, tout en améliorant sa qualité. L'Unesco est activement engagée sur de multiples fronts pour promouvoir des politiques de l'eau durables, pour favoriser l'éducation dans ce domaine et pour encourager une protection globale de la biodiversité, notamment par le biais de son réseau mondial de « réserves de biosphère » qui sont devenues de véritables laboratoires d'expérimentation pour la conservation des écosystèmes et l'utilisation rationnelle des ressources naturelles au niveau local. Je pense également aux nombreuses actions que nous menons au Sud pour aider à la formation de cadres spécialisés, tant il est vrai que les professionnels formés et les décideurs compétents conscients des liens entre l'eau, la pauvreté, la santé, la culture et le développement font cruellement défaut. La dimension culturelle et l'éducation sont souvent oubliées dans la réflexion et les politiques en matière d'environnement : or l'éducation et la culture sont deux clés essentielles de tout développement durable. Un vaste débat s'est engagé, dans le cadre de la réforme du système des Nations unies, sur la gouvernance de l'environnement au niveau mondial et sur la nécessité d'une meilleure coordination des efforts de tous. Je suis, moi aussi, convaincu qu'il faut remédier à la fragmentation dont souffrent souvent les activités du système des Nations unies relatives à l'environnement. Dans nos efforts pour améliorer la coordination, nous devons cependant veiller à prendre appui sur les mécanismes qui existent déjà, et qui fonctionnent bien. L'Unesco prend une part active à ce débat : notre rôle est dicté par notre mandat, par le E de éducation, le S de science et le C de culture et de communication : je rappelle à ce propos que l'Unesco met en œuvre quatre programmes scientifiques internationaux majeurs sur l'environnement : celui sur les océans, celui sur l'eau, celui sur l'homme et la biosphère et celui sur les géosciences. Elle le fait en pleine coopération avec les Nations unies et avec le Programme des Nations unies pour l'environnement. Le succès d'ONU-Eau, qui rassemble 24 institutions et organismes du système des Nations unies, dont l'Unesco, offre un bon exemple de coopération fructueuse. De plus, l'Unesco joue le rôle de chef de file pour le Programme mondial pour l'évaluation des ressources en eau, et pour la Décennie des Nations unies pour l'éducation au développement durable. Mettre un terme à la guerre, à la nature, requiert aujourd'hui une nouvelle solidarité avec les générations futures. Pour ce faire, faut-il que l'humanité conclue un nouveau pacte, un « contrat naturel » de co-développement avec la planète et d'armistice avec la nature ? Sachons faire prévaloir une éthique du futur si nous voulons signer la paix avec la Terre. Car la planète est notre miroir : si elle est blessée ou mutilée, c'est nous qui sommes blessés et mutilés. Pour changer de cap, nous devons créer des sociétés du savoir pour combiner la lutte contre la pauvreté, l'investissement dans l'éducation, la recherche et l'innovation, en posant les fondements d'une véritable éthique de la responsabilité.
L'auteur est directeur général de l'Unesco


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