Le film est nourri de nombreux témoignages, ceux des historiens Benjamin Stora et Alain Ruscio, d'historiens vietnamiens ; pour l'Algérie, Abdelmadjid Merdaci, Ali Haroun ; un officier français qui commandait le troisième bataillon parachutiste, le colonel Allaire. En 1954, alors que la France vit des jours heureux après les années noires de la Seconde Guerre mondiale, aux confins de l'Empire colonial une guerre se déroule dans la plus grande indifférence, la guerre d'Indochine, soulignent les auteurs du film lors de sa diffusion en avant-première, lundi dernier, au cinéma le Grand Action, à Paris. Le film montre comment, de juillet 1954 (fin de la guerre d'Indochine) à novembre 1954 (début de la guerre de Libération nationale de l'Algérie), l'Empire français craque, et annonce la fin d'un monde. Entre la défaite française de Dien Bien Phu et le 1er Novembre 1954, il s'est écoulé cent jours. Sur l'idée de ce film, l'historien Benjamin Stora relève que 2014 a été une année de grandes commémorations (Première et Seconde guerres mondiales). A ces commémorations, «il manquait deux grands événements, Dien Bien Phu et le déclenchement de la guerre d'Algérie. Il était temps, à la fin de 2014, d'aborder cette période charnière de l'histoire, annonciatrice de la fin de l'empire colonial français.» L'Algérie calme en apparence La guerre d'Indochine brise le rêve impérial français. Dans la bataille de Dien Bien Phu, qui a débuté le 13 mai 1954, 100 000 hommes ont été engagés par la France. Sur ce nombre, seulement 20 000 soldats sont Français de souche, le plus gros des troupes est constitué d'Africains, de Maghrébins, précise l'historien Alain Ruscio. En 1954, la guerre froide bat son plein. La Chine et l'URSS vont aider les indépendantistes vietnamiens. La France se tourne vers les Etats-Unis qui lui fournissent une aide matérielle conséquente. Nixon était convaincu qu'il fallait contrer les communistes indochinois. La Conférence de Genève s'ouvre en avril 1954 dans un contexte empreint d'une volonté de régler le conflit coréen, souligne Benjamin Stora. La Chine populaire fait son entrée dans le concert des grandes nations et participe à la Conférence de Genève à la demande de l'URSS. Deux fronts chauds à l'époque, indique Alain Ruscio : la Corée et l'Indochine. Stora rappelle que pendant ce temps, en Afrique du Nord, le Maroc et la Tunisie était secoués par des mouvements de contestation, alors que l'Algérie était en apparence calme. En Algérie, les nationalistes sont en prise à une crise interne. Le MNA est pris en étau entre les réformistes et les radicaux, une lutte fratricide les oppose en 1953-1954, souligne Ali Haroun, membre du FLN de la première heure. Et de dire que «Dien Bien Phu nous a donné un certain espoir». Bandung ou «la deuxième naissance» du FLN On apprend que le vice-ministre de la Défense américain propose au gouvernement français de lui céder une bombe atomique pour en finir avec les indépendantistes indochinois. Le Premier ministre français, Mendès France, ne voulait pas que la France soit entraînée dans l'engrenage d'un affrontement Est-Ouest, affirme Stora. Pour éviter un embrasement mondial, Russes et Chinois poussent les communistes vietnamiens à un compromis : le partage du Vietnam en deux Etats. Le Cambodge et le Laos sont placés sous influence communiste. Le 21 juillet 1954, l'accord est signé, Mendès France sort la France du bourbier indochinois. Le feu se propage sur d'autres territoires de l'empire. Mendès France estime qu'il est temps d'ouvrir les négociations avec Bourguiba. Dix jours après, il se rend en Tunisie, il veut éviter un nouveau Vietnam. La voie est ouverte aux nationalistes tunisiens à une large autonomie. Mendès France a aussi en tête le règlement de la question marocaine. Pour la classe politique française, l'Algérie c'est une affaire intérieure. L'été 1954 est calme en Algérie ; pourtant, au Clos Salembier, une vingtaine d'hommes se réunissent clandestinement, ils décident du passage à l'action armée. En avril 1955, c'est la conférence de Bandung, réunissant les dirigeants de trente pays de ce qu'on appellera plus tard le Tiers-Monde. Au cœur de cette conférence, la question de la décolonisation. Ali Haroun souligne que «Bandung, c'était très important pour nous, représentant deux milliards d'individus. Deux Algériens (M'hammed Yazid et Hocine Aït Ahmed, ndlr) portaient la voix du FLN.» Abdelmadjid Merdaci qualifie Bandung de «deuxième naissance du FLN». «C'est un marqueur de la redistribution des rapports mondiaux», selon Stora, représentant «une troisième force entre les blocs communiste et occidental». Prochain film sur Alger, capitale des révolutionnaires du monde Ben Salama, le réalisateur, nous précise que le film a été un gros travail de recherche et de collecte de trois mois : archives militaires de l'INA, archives anglaises, américaines, images d'amateurs. Quelques-unes sont inédites. Comme celles montrant de Gaulle en 1954 voulant profiter de la défaite de Dien Bien Phu pour prendre le pouvoir. Le film, tourné en numérique, a été fait par trois Algériens, nous dit avec un plaisir évident Ben Salama : Benjamin Stora, Jacques Ferandez (pour les dessins) et moi-même. Quant au producteur, Michel Rotman, «c'est un militant de gauche de l'indépendance de l'Algérie». C'est lui qui a produit le film de son frère Patrick, L'ennemi intime. Le prochain documentaire de Ben Salama, en 2015, portera sur Alger, capitale des révolutionnaires du monde, couvrant la période allant de l'indépendance à 1974 (année où la présidence de l'Assemblée générale des Nations unies est revenue à l'Algérie, ndlr). Parmi les plus récents documentaires du réalisateur qui a quitté l'Algérie en 1972 pour suivre une formation dans une école de cinéma à Paris, il y a Au nom de l'islam, en 2009, diffusé sur France 3, plus un livre aux éditions de l'Atelier, en 2010, de Gaulle et l'Afrique, Une histoire algérienne pour le cinquantième anniversaire de l'indépendance en 2012, diffusé sur France 5 et TV5 Monde, en 2013 Naissance d'une nation sur la Nouvelle Calédonie.