Le public nombreux de la salle Ibn Zeydoun a redécouvert les mélodies de l'Espagne médiévale à travers le groupe Axivil Aljamia et a apprécié la nouba h'cine jouée par l'Ensemble régional d'Alger lors du Festival international de musique andalouse et des musiques anciennes qui s'achève demain. Dimanche 27 décembre, soirée de l'Achoura, la voix mélancolique du chanteur Pedro Sanz, du groupe espagnol Axivil Aljamia, a suffi pour faire plonger les nombreux présents à la salle Ibn Zeydoun de Riadh El Feth à Alger, dans l'ambiance médiévale, celle de la fin du royaume maure de Grenade. Axivil Aljamia, qui connaît parfaitement le Maroc, s'est produit pour la première fois en Algérie à la faveur de la 4e édition du Festival international de musique andalouse et des musiques anciennes, qui se tient depuis le 21 décembre. Felipe Sanchez Mascunano, au ôud, Jota Martinez à la zanfona, la fameuse vielle à roue, Javier Paxarino à la flûte et Pedro Sanz au chant ont interprété des romances médiévales. Paseabase el rey moro raconte l'histoire de ce roi maure qui a couru dans les rues de Grenade avant sa chute et qui a appelé ses sujets à mener la bataille. L'histoire a retenu que le 2 janvier 1492, le roi Mohammed XII avait capitulé devant les souverains catholiques, mettant fin à sept siècles de présence musulmane en Péninsule ibérique. « Les chrétiens espagnols étaient musulmans le vendredi, juifs le samedi et chrétiens le dimanche. Les autres catholiques ne comprenaient rien à cette attitude. Aussi, pour prouver leur attachement à l'Eglise, ces chrétiens avaient instauré l'Inquisition après la chute de Grenade », a précisé Rachid Guerbas, commissaire du festival, en introduction du récital de Axivil Aljamia. Pendant quatre siècles, l'Inquisition qui avait commencé en Espagne vers 1478 pour imposer l'orthodoxie catholique, s'était transformée en une véritable chasse aux musulmans et aux juifs, qui devaient choisir entre la conversion ou l'exil. Depuis, l'esprit d'inquisition n'a jamais quitté réellement l'Europe, le vote suisse contre les minarets en est une preuve. Cela dit, beaucoup d'Espagnols sont fiers du passé musulman de leur pays. « Axivil est un groupe qui interprète de la musique ancienne. Ce soir, nous avons joué la musique de la renaissance espagnole. Nous avons choisi les rythmes et mélodies d'Andalousie. Les auteurs sont chrétiens, mais les paroles évoquent la présence des musulmans en Espagne. Certaines reviennent sur les derniers moments du royaume de Grenade », nous a précisé Felipe Sanchez Mascunano, directeur du groupe. Dans la chanson De Antequera, Axivil Aljamia rappelle la tragédie d'un Maure qui a écrit une lettre avec son sang pour marquer la douleur de la perte de cette petite ville de la région de Malaga. Les musulmans venus d'Afrique du Nord avaient conquis cette ville vers 711 et l'avaient baptisée Medina Antaquira. Cette présence avait duré cinq siècles. Dans la chanson Tres Morillas (trois filles maures), un hommage est rendu à la beauté de Aïcha (Axa), Fatima et Meriem. Axivil Aljamia s'inspire grandement de la tradition des Mudéjars, ces musulmans paysans qui avaient continué à vivre en terres chrétiennes et qui avaient gardé leurs pratiques culturelles, influençant même le style architectural des églises. Devenus « Moriscos », les Mudéjars avaient été chassés d'Espagne et du Portugal par Philippe III, un monarque paradoxal qui aimait la fête et qui se disait vertueux au point de regretter la royauté. Anna, fille aînée de Phillipe III, sera plus tard la mère de Louis XIV, roi de France. Axivil Aljamia a repris le nom de Josef Axivil, un musicien du XIVe siècle et de Aljamia qui, en castillan médiéval, signifie quartier musulman. Le groupe, qui active depuis 1998 à Madrid, a, à son actif, un répertoire déjà riche de cinq albums. Perfume Mudéjar est son dernier album. « Nous interprétons des musiques de la première moitié du XIXe siècle mais également la musique baroque du XVIIe siècle. Nous jouons aussi de la musique espano-cubaine », a indiqué Felipe Sanchez Mascunano. Selon lui, l'art lyrique de la Renaissance espagnole a gardé l'esprit de la période musulmane, ce qui n'existe pas dans les musiques italiennes ou allemandes. Axivil Aljamia célèbre, à travers la vielle à roue, le fameux bourdon distinctif des musiques médiévales. Le principe est simple : des cordes qui vibrent sur la même note formant un accord continu avec la dominante. Les animateurs du festival auraient pu accompagner le catalogue par des textes explicatifs sur les musiques anciennes. En début de soirée, l'Ensemble régional d'Alger, mené par Zerrouk Mokdad, a offert un bouquet fleuri de la nouba H'Cine avec Gharada etayr, Koul youm bachaïr, Nefrah koul mara, Sarak el ghousnou kada mahboubi et Charibna ou taâla charbana. Selon Rachid Guerbas, l'Ensemble régional d'Alger fait partie du projet de l'Ensemble national de musique andalouse que la ministre de la Culture a voulu mettre en place. Les deux autres ensembles régionaux sont ceux de Tlemcen, dirigé par Yacine Hammas, et celui de Constantine, mené par Samir Boukredera. « Des musiciens talentueux sont dans les écoles de Constantine, d'Alger et de Tlemcen. Le défi est de les mettre ensemble. Les artistes sont parfois ralentis dans leur ascension par un ego surdimensionné », a estimé le commissaire du festival. Il a rendu un hommage particulier à Zerrouk Mokdad, l'élève de Mahieddine Bachetarzi qui a côtoyé Dahmane Benachour, natif de Blida comme lui, Saddek Béjaoui et, bien sûr, le grand pianiste, qui n'a toujours pas été remplacé, Mustapha Skandrani. Samedi soir, le public a été émerveillé par le jeu de l'ensemble Kabul d'Afghanistan. Ce groupe a été créé par le chanteur Hossein Arman en 1995, qui a fui le règne des talibans pour la Suisse. Il est composé de Khaled et Mashal, enfants de Hossein Arman, de Osman Arman, un cousin, et de Siar Hashimi. « La musique afghane est très riche mais difficile à définir. On trouve une importante influence persane et la musique persane, elle-même, est un vaste sujet parce qu'elle ne se résume pas à la musique iranienne, les persanophones se trouvent aussi dans l'Asie centrale (...) Nous avons aussi la tradition nord-indienne », a expliqué Khaled Arman au site web du festival (www.festivalgerie.org). `