Quel état des lieux faites-vous de la sous-région du Sahel en termes de sécurité ? Il y a, en ce moment, un grand intérêt pour cette région pour des raisons sécuritaires. Il y aussi une importante concentration diplomatique et médiatique suite à la multiplication des enlèvements sur toute la bande sahélienne, de la Mauritanie jusqu'au Soudan. Cela appelle, naturellement, plusieurs analyses et considérations. Dans certains cas, on pense que ce sont des actions du troisième cercle, comme on dit, sous forme de groupes qui se réclament d'Al Qaîda et qui profitent de la couverture de cette nébuleuse à la fois sur les plans médiatique, politique et même financier. Mais dans tous les cas, cela confirme la connexion entre les groupes terroristes et les groupes maffieux. Le Sahel apparaît ainsi comme une zone de menace pour les intérêts extra-régionaux, occidentaux en particulier. Elle apparaît aussi comme une zone de repli pour ces groupes qui alimentent la criminalité transnationale. Il va de soi que le Sahel apparaît comme une menace directe pour chacun des pays concernés. Justement, puisque la menace est bien réelle, qu'est-ce qui empêche les pays du Sahel d'adopter une stratégie de lutte cohérente et commune ? Ça c'est la grande question ! Je pense qu'il y a des efforts qui sont fournis mais qui, manifestement, ne sont pas à la hauteur. Ce sont des efforts trop sectoriels, trop partiels pour pouvoir englober la menace. Au regard des défis que cette menace pose, c'est leur capacité à y faire face dans un espace qui leur est commun. C'est donc tout le problème de l'adaptation des dispositifs internes à chaque pays, mais aussi le problème de l'adaptation de la coopération régionale. C'est pourquoi je pense qu'en plus des efforts qui doivent être faits par chaque pays pour mettre son appareil sécuritaire à la hauteur de la nature de la menace, il est important qu'ils trouvent un cadre dans lequel ils pourront facilement donner plus de cohérence et de cohésion à leur mode opératoire. On sait, en effet, que ce ne sont pas des groupes qu'on peut combattre avec des dispositifs classiques et conventionnels. Cela suppose un effort de formation et un effort sur la capacité à combattre dans un environnement très rude. En parlant d'approche commune, pourquoi, à votre avis, le fameux sommet des présidents des pays du Sahel, annoncé en grande pompe, ne s'est-il pas encore tenu ? Je pense qu'il y a encore quelques problèmes d'harmonisation des calendriers des présidents concernés. Mais je pense aussi qu'il y a une perception différente dans les approches. Certains pensent qu'avant de réunir un sommet, il faut qu'il y ait une manifestation tangible de l'engagement sur le terrain des uns et des autres qui devrait être couronnée par la tenue du sommet. D'autres estiment que compte tenu du fait qu'il s'agit de prendre une décision hautement stratégique et hautement politique, il serait mieux que celle-ci soit prise par les plus hautes autorités politiques de ces pays pour enclencher une coopération plus intégrée. Je pense qu'il faut trouver la juste mesure entre ces deux options en raison du caractère transnational de la menace et des acteurs. Nonobstant la faiblesse qu'on constate, il faut aller vers une instance politique qui incarne vraiment, de manière assez tangible, la volonté de faire face à la menace. C'est à partir de là qu'on peut progresser vers l'élaboration d'une stratégie au niveau de nos Etats, la mise en cohérence de nos capacités et une intégration plus poussée de nos moyens. Il faut savoir que c'est une lutte qui va s'étendre dans la durée et qui va avoir des prolongements dans d'autres secteurs, pas seulement le sécuritaire. Je pense notamment au secteur du développement, à celui de la gouvernance et au co-développement en général. Certains observateurs n'hésitent pas à pointer du doigt le président du Mali d'être en quelque sorte un sous-traitant d'Al Qaîda en faisant de son pays le maillon faible de la coopération... Je pense que c'est un mauvais procès…parce que, concrètement, le Mali a subi de grosses pertes dans son engagement contre les groupes terroristes. Donc, je ne pense pas que le Président puisse envoyer ses soldats combattre pour rien. Je n'irai pas jusqu'à qualifier le Mali de maillon faible (rires) mais de maillon sensible. Vous savez, nous, au Mali, si nous nous engageons dans une coopération régionale, il est évident qu'il y ait des craintes que cela ne perturbe quelque part les logiques internes par rapport à la résolution des situations conflictuelles intérieures. Il y a, malheureusement, des foyers d'anciennes rébellions, d'anciens conflits politico-militaires internes pour lesquels il y a eu une démarche nationale à laquelle l'Algérie a d'ailleurs apporté sa pleine coopération. L'enjeu étant de savoir comment éviter le glissement de l'un à l'autre des foyers. Je pense que c'est là une source réelle de préoccupation, de réflexion, d'hésitation et de complexité. Pour autant, je suis persuadé que le Mali est complètement conscient de la nécessité d'être dans un dispositif de coopération régional, plus fort, plus intégré et plus permanent pour faire face à ces menaces. On assiste ces derniers temps à un intérêt tout particulier des grandes puissances à la situation au Sahel. Doit-on s'inquiéter d'une éventuelle ingérence qui pourrait transformer la sous-région en poudrière ? L'absence de coordination et d'engagement collectif peut effectivement favoriser la tentation de l'ingérence. C'est pourquoi, il est vital pour nous de coordonner nos efforts pour faire face à la menace et asseoir la base de notre coopération avec les partenaires étrangers pour déterminer les secteurs dans lesquels nous avons besoin d'une coopération technique. Il est clair que pour eux, la situation au Sahel les interpelle par le fait qu'elle menace leurs intérêts. Est-ce que ces enlèvements à répétition de ressortissants occidentaux ne risquent-ils pas d'être un facteur facilitateur d'éventuelles interventions de ces pays dans la région ? Oui ! Il ne faut pas perdre de vue que l'action des groupes terroristes vise non seulement à procurer des moyens pour financer leurs activités mais aussi à attirer dans la zone des ingérences étrangères qui pourraient (re)légitimer leur action. C'est pourquoi je plaide pour le renforcement de la coopération sécuritaire entre les pays du Sahel et la réadaptation des dispositifs nationaux et l'ouverture de partenariats extra-régionaux mais dans des domaines bien précis que nous pourrions déterminer en fonction de nos propres besoins. Mais je reste persuadé que nous avons l'essentiel des moyens pour y faire face. Que pensez-vous de l'Africom ? Je pense qu'il nous appartient à nous de faire en sorte que les préoccupations sécuritaires américaines ne soient pas dominantes dans notre approche. Il faut qu'on se préoccupe d'abord de la sauvegarde de nos intérêts nationaux et régionaux, et c'est sur cette base que nous soyons dans un dispositif de coopération internationale. Cette dernière reste tout de même un outil fondamental pour lutter contre le terrorisme. Un Sahel pacifié, vous y croyez ? Il ne faut pas se leurrer, c'est une lutte permanente. On voit bien que la pieuvre terroriste renaît toujours, mais je suis certain que si nous nous engageons de manière résolue dans des dispositifs intégrés, ce sera vraiment le début de la solution.