Le ministères des Affaires étrangères : une mésaventure en terrain exotique Un véritable ballet diplomatique en deux actes, convocation au MAE des ambassadeurs des deux pays concernés, pour protester et s'indigner. Le rappel de nos deux ambassadeurs dans les pays respectifs et finalement se rendre à une évidence incontournable, l'exécution de la sentence et le paiement de la somme due. Cette politisation d'une affaire commerciale et judiciaire disait, en filigrane, qu'en Algérie la justice se plie devant les contingences politiques et aux injonctions de l'Exécutif. Dans son communiqué, le MAE fait part de son «étonnement» et de «l'incompréhension après la saisie de l'avion», toutes les voies de recours n'étaient pas épuisées. Les Affaires étrangères ont donc officiellement demandé à ce que la saisie de l'avion soit annulée. Ni bons diplomates ni bons juristes ! Une demande d'annulation de la saisie n'est pas une démarche diplomatique, mais juridique et judiciaire.Quant à l'affirmation, «les voies de recours ne sont pas épuisées», je pense qu'une autorité aussi prestigieuse aurait dû recourir à une expertise juridique, par les spécialistes de l'arbitrage, avant de se prononcer officiellement et d'engager sa crédibilité et celle du pays.Le MAE s'est impliqué dans un terrain exotique en voulant régler par la diplomatie ce qui devait être réglé par le droit. Le ministre des transports : Pathétique sans plus -Dans ce feuilleton, le plus pathétique, à mes yeux, aura été Amar Ghoul, criant haut fort son refus de la situation, rejetant par une indignation et d'une façon souveraine en avançant, ici et là, des non-sens juridiques. Ruant dans les brancards, il affirme que le dossier «est bien pris en charge et il est sereinement suivi comme il sera clos prochainement en faveur de la compagnie nationale». Une bonne prise en charge du dossier passait par une exécution de la sentence pour éviter la saisie de l'avion. En plus de la somme fixée par la sentence, la compagnie devra payer les frais d'exécution contentieuse (frais de saisie judiciaire de tout un avion), les surestaries à l'aéroport, la prise en charge des voyageurs jusqu'à leur retour en Algérie ainsi que d'autres dédommagements collatéraux qui pourront être réclamés par les voyageurs lésés, d'une façon ou d'une autre par ce retard impromptu, le manque à gagner découlant de l'immobilisation de l'appareil et enfin, last but not least, l'image de marque de l'entreprise. Tout cela aurait dû être évité par une bonne prise en charge à l'origine, au plan technico-juridique de ce dossier. Je ne parle pas, ici, du contentieux en lui-même ou de la condamnation, par un tribunal arbitral ou étatique, qui constituent des risques récurrents dans la vie des affaires, mais du suivi défaillant et non diligent après la condamnation. Une question se pose : les responsables d'Air Algérie ont dû recevoir notification de la sentence arbitrale rendue, ils devaient, donc, savoir, pour peu qu'ils aient consulté des spécialistes, qu'à défaut de paiement, tout avion de la compagnie risquait d'être saisi dans n'importe quel aéroport du monde. Pourquoi n'ont-ils pas pris la précaution dictée par un sens minimal de l'anticipation, de tout gestionnaire en herbe, qui consiste à payer cette dette évidente et éviter toutes ces pertes ? Une autre grande dérive du ministre des Transports est, à mes yeux, cette déclaration : «Il – le dossier- sera clos prochainement en faveur d'Air Algérie». Outre le fait que le ministre ignore que le dossier a été clos depuis longtemps que la justice algérienne n'a aucun droit de regard sur cette affaire, il semble s'ériger en donneur d'ordres aux juges algériens dont il anticipe les décisions. La part du droit Une analyse sommaire du droit algérien de l'arbitrage laisse apparaître l'incongruité de la réaction algérienne. Cette affaire remontant à 2008, nous l'étudierons à la lumière du décret exécutif de 1993 relatif à l'arbitrage et sous l'égide duquel le contrat a été signé et, peut-être, le litige est né, mais aussi selon les nouvelles dispositions du Code de procédure civile de 2008 entré en vigueur en 2009. L'intervention des juridictions algériennes pour trancher ce litige Si l'on suit les déclarations de M. Ghoul, «la justice algérienne est saisie» et le «dossier sera clos en faveur de la compagnie algérienne». La loi algérienne ordonne l'incompétence du juge pour statuer sur le fond d'un litige «à partir du moment où l'instance arbitrale est pendante». Article 458 bis 8 décret législatif 1993. Le nouveau code de procédure civile de 2008 a reproduit la première partie de l'article et l'a amendé en ajoutant «ou lorsqu'il constate l'existence d'une convention d'arbitrage à condition qu'elle soit invoquée par l'une des parties». Article 1045. Aucun juge sérieux ne se prononcerait dans un dossier où les parties ont convenu de recourir à l'arbitrage en cas de litige. Nous sommes dans le B A BA de l'arbitrage. Cette règle cardinale du droit de l'arbitrage en Algérie et dans tous les pays du monde écarte d'un revers de phrase l'affirmation de Amar Ghoul qui semble être en retard d'une procédure. Le dossier est clos depuis longtemps. Le non-épuisement des voies de recours : un bon sujet, une mauvaise thèse Le ministère des Affaires étrangères, en invoquant le non-épuisement des voies de recours se rapprochait d'une problématique adaptée, mais soutenait une position non défendable. «Aussitôt rendue, la sentence arbitrale est revêtue de l'autorité de la chose jugée relativement au litige qu'elle a tranché». – Article 458 bis 16 alinéa 2- article 1031. Nouveau code procédure civile. Le législateur a utilisé à bon escient la notion d'autorité de la chose jugée et non-force de chose jugée. Une décision de justice a «force de chose jugée» lorsque elle n'est susceptible d'aucune voie de recours ordinaire (notamment appel), ou qui ne l'est plus parce que les recours ont été épuisés ou bien parce que les délais pour les exercer ont expiré. L'acquisition de «l'autorité de chose jugée» interdit de remettre en cause un jugement, en dehors des voies de recours prévues à cet effet. L'article 458 bis 25 disposait : «La sentence arbitrale rendue en Algérie en matière d'arbitrage international est susceptible d'un recours en annulation».Cet article a été repris en substance par l'article 1058 du nouveau code qui dispose. «La sentence arbitrale rendue en Algérie en matière d'arbitrage international peut faire l'objet d'un recours en annulation dans les cas prévus à l'article 1056 ci-dessus». Par raisonnement a contrario, les sentences rendues à l'étranger ne sont pas susceptibles d'un recours en annulation, du moins en Algérie. Il y a lieu de préciser que ce recours n'est pas prévu en matière d'arbitrage interne mais seulement dans l'arbitrage international. La juridiction compétente pour l'examen des recours en annulation La juridiction compétente pour trancher les recours est celle dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue, c'est-à-dire, celle compétente dans la circonscription du siège du tribunal arbitral. – Article 458 bis 26-1059 NCPC. En l'occurrence, le recours en annulation doit être déposé devant les juridictions étatiques du pays où le siège du tribunal arbitral a été fixé. J'ignore personnellement le lieu du siège du tribunal mais en tout cas, ce n'est pas Alger si on se réfère aux déclarations faites ici et la. Il ressort aussi des déclarations officielles qu'aucun recours en annulation n'a été intenté devant les juridictions du pays du siège du tribunal, là où ce recours avait une chance d'aboutir. Le recours en annulation devant le tribunal d'Alger n'est manifestement pas recevable pour incompétence territoriale, et ce, en application de la loi algérienne.Ainsi, au lieu de tenter l'annulation devant les juridictions compétentes où ce recours avait une chance d'aboutir, les responsables algériens l'ont intenté devant la juridiction d'Alger, là où il n'a aucune chance sérieuse de passer le cap de l'étude de la compétence juridictionnelle. Les juridictions algériennes totalement et complètement incompétentes Les juridictions étatiques d'un pays peuvent intervenir dans un dossier arbitral dans les deux cas suivants et dans ces deux cas seulement : 1- En tant que juridiction d'annulation de la sentence arbitrale si le siège du tribunal arbitral a été fixé dans cet état. 2- En tant que juridiction d'exequatur si la sentence arbitrale est appelée à être exécutée sur son territoire, notamment si les biens saisissables et à saisir sont sur le territoire de cet Etat. Hormis ces deux cas, les juridictions étatiques n'ont aucune vocation à intervenir dans un processus pré ou post-arbitral. La saisine de la juridiction d'Algérie est maladroite à double titre, a- elle n'a aucune chance d'aboutir, b- elle laisse supposer que les autorités algériennes comptent sur le soutien de leur juge national. L'effet suspensif du recours en annulation Enfin, une autre problématique aurait été intéressante à présenter, mais qu'il est préférable d'écarter en l'espèce, parce que non nécessaire, à savoir l'effet suspensif ou non suspensif des recours en annulation contre les sentences arbitrales . La loi algérienne accorde au recours en annulation un effet suspensif s'il a été intenté dans les délais. Mais cette défense n'aurait eu qu'un intérêt dilatoire, le recours ayant été intenté devant une juridiction manifestement incompétente pour le traiter. Conclusion générale Nous sommes ici devant un cas itératif de mauvaise gouvernance juridique. Combativité sélective : Dans les affaires Anadarko et Djezzy, l'Etat algérien a consenti, sans se battre, un paiement de l'indu s'élevant respectivement à 6 milliards et 2, 5 MDS de dollars. Il a transigé en exécutant, finalement des sentences non rendues.Dans cette affaire, l'Algérie ( et non Air Algérie) s'abstient d'exécuter une sentence rendue et ternit son image de marque pour deux millions de dollars. Le moins que l'on puisse dire est que, dans la gestion de cette affaire, les décideurs algériens ont versé dans la démesure et manqué d' à-propos. Le MAE aurait dû se limiter aux garanties diplomatiques de l'Etat algérien, en s'engageant à payer, pour obtenir la mainlevée immédiate et éviter les dépenses surnuméraires. Il l'aurait sans doute obtenu. Le ministre des Transports aurait dû laisser ce dossier aux juristes de la compagnie et à ses avocats. L'Algérie aurait gardé une bonne image d'un Etat crédible et bon payeur. – Finalement, on a payé pour récupérer l'avion. Tout ça pour ça !