Ils sont beaux, jeunes et innovateurs. Ils font de la musique universelle qui garde beaucoup de son originalité. Ils sont trois et leur groupe s'appelle Amzik (comme avant). El Watan Week-end les a rencontrés pour vous à Paris. Histoire de ceux qui présentent, aujourd'hui, une inspiration différente dans la chanson kabyle. «Oh mère d'enfant exilé, je t'en prie sèches tes larmes. Dans un proche ou lointain lendemain, il reviendra dans ton giron sans drame. Qu'il soit triste ou dans la plainte, dans ses pensées tu restes, n'aie de crainte. S'il devait choisir, il serait à tes côtés. Dirait non à l'amertume, ainsi la vie serait douce. Hélas, chez lui il ne peut rester. En ce jour sur ses terres, l'espoir a déserté…» Extrait traduit du kabyle de Yemma-s n Uɣriv (mère de l'exilé), chanson du groupe Amzik, dont le clip a atteint un demi-million de vues sur YouTube. Il est fort en émotion et beau. Dans ce clip d'Amzik, rien n'est fait au hasard. Chaque plan exprime un passage d'une vie à travers laquelle ces artistes expliquent leur musique, comme ces feuilles d'arbres qui tombent au printemps, ce vieux château en ruine, beau de l'extérieur et vide de l'intérieur, ce pont séparé en deux et ces pas le long d'une montagne comme pour rentrer chez soi. Les mots sont raffinés. Ils chantent l'exil et rappellent les origines. Des mots adressés à la mère, qui peut aussi être une terre, comme pour lui signifier son attachement et la tristesse ressentie d'en être séparé. Amzik (comme avant) est le nom de groupe que se sont donné trois jeunes artistes de la chanson kabyle qui excellent en France depuis plus de deux années. Composé de deux jumeaux de 30 ans, Abdenour (dit Nonor) et Karim Belkadi, et Khireddine Kati, dit Didine, qui, lui, est âgé de 33 ans, l'écho de ce groupe qui transcende sa voix depuis l'hexagone n'a pas tardé à trouver résonance dans les montagnes de Kabylie. Leur devise : chanter avec les valeurs des anciens sous un air nouveau et moderne. «Nous sommes dans la continuité et non dans l'assimilation», précise Nonor, rencontré avec Karim et Didine dans un café parisien. Univers Ils sont connus alors qu'ils n'ont qu'un seul album (distribué en France comme en Algérie) et quelques chansons publiées sur YouTube, cet outil important sur lequel beaucoup d'artistes comptent pour se faire connaître. Intitulé Asuɣu n temzi (cri d'enfance), cet album sorti en 2016 est composé de dix titres dont une reprise, Lvavur (le bateau). Dans ce premier opus, c'est Karim qui assuré l'arrangement musical, avec les textes de Nonor, sous la direction artistique de Didine. Sur leur chaîne Amzik officiel, seuls cinq clips sont publics dont quatre datent d'il y a une année et un dernier, Inejla w allaɣ, (le cerveau a fui), publié il y a juste un mois. Les chansons comme les clips sont de qualité. De plus, la manière avec laquelle ce groupe présente son travail démontre qu'il y a eu une réflexion et un travail de recherche préalable. Ils tiennent beaucoup à l'image qu'ils extériorisent, ils créent eux-mêmes leur propre univers. «Nous travaillons nos chansons dans l'image et dans le son. Nous produisons, nous-mêmes, l'image de nos chansons. Nous voulons que les gens voient une nouvelle manière de faire de la musique kabyle. Les anciens artistes comme Slimane Azem, Cheikh El Hasnaoui, Lounes Matoub ou Aït Manguellat avaient d'autres priorités. Ce sont eux qui ont créé le patrimoine musical et poétique de la chanson kabyle. Mais ils n'avaient ni le temps ni les moyens de travailler l'image comme l'est le cas, par exemple, du jazz ou du rock. Quand on parle du jazz, on imagine directement son univers, ce qui n'est pas le cas de la chanson kabyle. Dès qu'on parle de cette dernière, c'est en premier lieu l'image de l'artiste avec sa guitare qui chante devant un microphone qui nous vient en tête. Avec nous, ce sera différent», promet Didine. Mandole Le parcours des trois artistes était certes différent, mais leur rencontre à Paris en 2015 a permis la naissance, non d'un nouveau souffle de la chanson kabyle, mais d'une inspiration complètement différente de ce que nous avons l'habitude de voir. Amzik fait la musique à sa manière. Le groupe travaille à la perfection. Les mots sont soigneusement choisis et racontent des épopées dont la force et la profondeur dépassent les attentes. Amzik produit un son élaboré avec une variété d'instruments, dont les plus algériens d'entre eux, comme le mandole ou le banjo, dominent souvent les chansons et vous projettent sans attendre dans l'univers de la chanson kabyle. «Nous avons grandi avec la musique kabyle et le chaâbi où le mandole est très présent. Notre but est de le moderniser et de trouver une façon de le présenter aux gens. Quand on parle de cet instrument, on le présente comme étant traditionnel ; je ne suis pas d'accord. Je pense que, au contraire, il est moderne. Beaucoup de gens font du folk ou du reggae. Mais ils doivent savoir qu'il n'y a qu'un seul Bob Marley et il était Jamaïcain. Je pense qu'il faut faire, du moins dans notre cas, ce qui peut le mieux nous représenter tout en s'ouvrant aux autres», projette Nonor. Et Didine d'ajouter : «Contrairement aux autres instruments comme le oûd, le mandole est une création récente. Il n'a même pas un siècle d'existence. Il a été créé par Hadj El Anka pour donner une identité à notre musique. Beaucoup l'ont récupéré avec intelligence et dans le respect. Jusqu'à Lounes Matoub qui en a fait une merveille. Le mandole joue toujours le même son que la voix. L'enjeu c'est de faire en sorte qu'il accompagne la musique d'aujourd'hui.» L'environnement créé par Amzik a, certes, une identité, mais vous fait voyager dès les premières notes dans l'universalité. Les chansons sont somptueuses vocalement parlant : on entend les trois artistes chanter en même temps, comme une symphonie douce et foudroyante. Leur complémentarité est évidente au point où tous ceux qui savourent la musique comprendraient que les mélodies sont parfaitement choisies et mariées de sorte à donner un son qui nous rappelle la Kabylie mais qui puise sa richesse dans la diversité du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. Tel est l'univers du groupe Amzik. «C'est tout un travail. Nous prenons beaucoup de temps pour trouver un arrangement vocal qui nous convienne à nous trois. Nous avons même pris un coach pour cea. C'est un exercice et nous faisons tout pour le réussir», confie Karim. Ce n'est pas tout, car en les écoutant, il nous vient à l'esprit l'impression qu'il leur faut encore un orchestre derrière pour réussir à contenir leur force et l'énergie qu'ils dégagent, comme c'était le cas de Cherif Kheddam. «Nous aimerions bien avoir un orchestre. C'est même un rêve. Nous avons de l'énergie et nous faisons une musique qui va avec. Nous le souhaitons mais nous travaillons aussi selon la demande et les exigences artistiques, ici, en France. A Paris, il faut produire une musique de qualité avec une équipe réduite. C'est la tendance actuelle. Qui va accepter de vous inviter quand vous êtes une quinzaine d'artistes ? Vous aurez peu de chance de monter sur scène, sauf si vous êtes réellement une star», argumente Nonor. Universalité Originaire d'Iferhounène, au sud-est de la wilaya de Tizi Ouzou, Nonor et Karim ont quitté leur village en compagnie de leur père à l'âge de 15 ans. En Kabylie, il faut dire qu'ils ont grandi dans l'univers de la musique, notamment dans celui de leur frère aîné, Saïd, qui travaillait aussi à la Radio algérienne. Didine, lui, est originaire de Timezrit, du sud-ouest de la wilaya de Béjaïa. Arrivé à Paris en 2012, il vient juste de terminer ses études en musicologie. Au pays, il était ingénieur en biologie, un diplôme obtenu à l'université de Béjaïa. Didine a appris la musique de sa mère et joue de plusieurs instruments dont le mandole, la guitare et le banjo grâce à son frère Idriss. Il est passé par le théâtre de Béjaïa, il a produit des artistes dont Mucat, notamment pour son album intitulé Inu (le mien), et a participé à plusieurs concerts avant d'atterrir à Paris où il est devenu, entre autres, producteur de musique et organisateur de spectacles. Pour lui, chanter c'est aussi crier et s'extérioriser. Et c'est avec Nonor et Karim, qu'il a rencontré par hasard dans un café parisien, qu'il a trouvé son harmonie et son plaisir de créer de la musique. «Quand je les ai écouté pour la première fois, j'ai tout de suite compris qu'ils baignaient dans exactement le même univers musical que le mien. J'ai trouvé les artistes avec lesquels je voulais travailler depuis longtemps. La preuve, on est là ensemble depuis ce jour-là», confie Didine avec un sourire. Ils fondent leur groupent en 2015 et sortent un album une année plus tard. Ce dernier a eu du succès. Amzik fait son premier pas. Les Kabyles découvrent, depuis, un nouveau groupe qui fait une musique différente tout en gardant une originalité qui ne laisse personne indifférent. Partage Depuis la sortie du premier album, Didine a, surtout, passé beaucoup de temps à constituer l'équipe de musiciens qui devaient accompagner le groupe dans ses sorties artistiques et travailler avec lui dans le prochain album, prévu pour avril 2019. «Chacun apporte sa pierre, notamment dans l'harmonie», explique-t-il. Surtout que les musiciens viennent des origines différentes : Martin, à la basse, est d'origine autrichienne ; Dimitri pianiste (et qui joue d'autres instruments) est originaire de Sri Lanka ; Hugo, Français à la clarinette ; Sacha Lounis, un batteur franco-algérien originaire de Kabylie… et des Algériens comme Rabah Khalfa qui apporte beaucoup au groupe, Malik Kerrouche à la guitare et Amar Chaoui aux percussions. «On donne aussi la parole aux artistes qui découvrent notre culture et qui l'aiment. Ces derniers chantent dans toutes les langues du monde. On est plus dans le partage et c'est ce qui fait connaître, entre autres, notre culture et notre musique aux autres sociétés», explique Nonor. Amzik aime aussi reprendre les anciennes chansons, mais «pas n'importe lesquelles et pas n'importe comment» comme l'explique Nonor : «Il nous arrive parfois de reprendre d'anciennes chansons. Mais il faut d'abord les aimer. Dans notre choix, celui du texte est important. L'objectif c'est surtout de faire découvrir le patrimoine kabyle à la nouvelle génération. Avec la mondialisation, les jeunes écoutent plusieurs variétés du monde. Donc, on leur chante de l'ancien avec un nouveau thème et une touche spéciale d'Amzik.» Comme l'image et le son, le groupe Amzik fait aussi un travail remarquable dans l'écriture. Dans le groupe, c'est Nonor qui s'en occupe. Il assure qu'il prend beaucoup de plaisir à le faire, lui, qui a quitté adolescent la Kabylie. «La poésie kabyle est très forte. Elle est même un trésor. Nous faisons un travail de recherche et d'analyse sur ce qui a été fait par nos anciens. Quand on prend les chansons d'El Hasnaoui ou de Slimane Azem, on se rend compte qu'ils n'étaient pas de simples artistes, ils étaient aussi des sociologues et des gens qui ont écrit l'histoire de la société kabyle et raconté l'immigration de leur époque avec beaucoup d'intelligence. C'est à notre tour, maintenant, de le faire et de raconter la nôtre», assure-t-il. Et Didine d'ajouter : «Nous avons choisi le kabyle pour nous exprimer, car cette langue existe dans notre sang. Nous avons grandi avec elle. Je respire cette langue et c'est avec elle que j'ai appris à chanter avec ma mère. C'est une langue très riche en musique, en mélodie et en histoire. Je ne peux chanter qu'avec elle.» Pour Karim, le sujet de la langue dépasse largement celui de prononcer de simples mots poétiques. Car il est surtout, pour lui, une histoire spiritualité dans laquelle il trouve sa vocation : «Au-delà de la richesse des mots, c'est aussi le côté spirituelle et philosophique de la langue kabyle qui nous intéresse. On a l'impression de voyager dans l'histoire. Ce sont des leçons de la vie qui s'enchaînent et on a du mal à retrouver ceci ailleurs. Après on peut chanter dans les autres longues, cela nous ne pose pas de problème. Mais c'est la seule que nous maîtrisons. C'est un choix du cœur, comme on dit…» Frustration Même s'ils consacrent beaucoup de leur temps à la musique, il reste néanmoins que les membres d'Amzik ne vivent pas de leur musique. A Paris, ces derniers ont choisi des univers différents pour pouvoir mettre un peu de temps à côté à consacrer au groupe. Avec son bac +5, Nonor, qui a un diplôme d'ingénieur d'affaires de l'école de commerce, a changé, par exemple, de métier pour exercer dans une agence de sécurité et de gardiennage qui lui permet, aujourd'hui, de choisir son planning et d'avoir plus de temps à consacrer à la musique. Karim qui a, lui, un bac+2 dans le domaine du génie électrique industriel, dit «ne pas aimer le patronat». C'est la raison pour laquelle il a choisi de travailler individuellement comme taxi parisien, ce qui lui permet aussi de gérer son temps et de se retrouver en groupe plus souvent pour les répétitions. Quant à Didine, qui vient de finir ses études, il a créé sa propre agence de production artistique et vit depuis avec ce qu'il produit dans le monde de l'art. Hormis les spectacles et les programmations prévues, un projet est en vue : le prochain album. Les membres d'Amzik promettent un meilleur produit. Dans cet opus en préparation, il y aura les arrangements et la participation de tout le monde. Quant aux textes, ils seront, comme dans le cas du premier, écrits par Nonor. «Nous avons produit le premier album dans l'urgence. Depuis, nous avons pris le temps de nous connaître, de jouer ensemble sur scène. Nous avons organisé beaucoup de concerts. Mais dans le deuxième album, il n'y aura pas de rôle figé. Tout le monde contribuera», assure Nonor. Malgré le succès qu'ils ont en France comme en Kabylie, une chose manque au groupe et qui constitue pour eux une profonde frustration : le fait de n'avoir encore jamais chanté en Kabylie. «Nous n'avons avons pas encore chanté au pays. Nous avons un public extraordinaire ici en France, que nous remercions et saluons à l'occasion, mais nous voulons rencontrer le nôtre en Kabylie et dans les autres régions du pays», espèrent-ils. Amzik est attendu le dimanche 6 janvier prochain à l'espace Reuilly dans le 12e arrondissement de Paris, mais pas date encore en vue pour l'Algérie. Le groupe ne perd pas espoir : «ce n'est pas de notre volonté. D'ailleurs, c'est presque une souffrance pour nous de ne pas pouvoir chanter là-bas. C'est en Kabylie ou nous avons appris à jouer de la musique, à écrire nos textes et à chanter. C'est une question d'organisation. Mais nous aimerions que cela puisse arriver un jour.»