Au cinquième jour de la protestation, la marche des travailleurs de la zone industrielle, qui manifestent depuis dimanche dernier contre les décisions prises par le gouvernement dans le cadre de la tripartite de décembre 2009, a été violemment réprimée jeudi dernier. Des milliers d'éléments des forces antiémeute, de la gendarmerie et de la police ont été mobilisés pour étouffer ce mouvement de contestation qui n'a cessé de prendre de l'ampleur et de faire tache d'huile durant toute la semaine. En effet, de quelques centaines parmi les 5000 travailleurs de la SNVI en grève dès le début du mouvement dimanche dernier, sortis se rassembler le deuxième jour de la protestation devant le portail de ladite usine, le nombre de manifestants est passé à plus de 5000 jeudi dernier, et ce, malgré le blocus exercé avec l'installation de barrages des brigades antiémeute de la Gendarmerie nationale devant toutes les grandes unités de la zone industrielle. Les employés de Anabib (Réghaïa) ont été empêchés de rejoindre les manifestants qui voulaient marcher sur la ville de Rouiba pour tenir un rassemblement devant le siège de l'union locale de l 'UGTA, car les travailleurs considèrent que leur syndicat, « Sidi Saïd en particulier », insistent-ils, les a trahis. « Cela fait des années qu'on nous promet des augmentations conséquentes de salaires. L'Algérie engrange des centaines de milliards de dollars de recettes pétrolières par année, mais le citoyen se débat toujours dans une misère indescriptible. Où va cet argent ? Nous nous considérons trahis parce qu'au lieu d'une augmentation réelle, le gouvernement a jeté un os à l'UGTA qu'il qualifie de butin de guerre à l'issue de la tripartite de décembre 2009. C'est un salaire net de 15 000 DA (qu'ils appellent d'ailleurs SNMG), soit l'équivalent de 130 euros, que Sidi Saïd qualifie de victoire historique des travailleurs. C'est aberrant. Qu'il ait au moins le courage de venir s'expliquer ici, devant nous », nous a déclaré un travailleur qui se dit « beaucoup plus choqué par cette trahison que par la répression qui s'abat sur le mouvement ». Les forces de sécurité ont tout fait pour empêcher les travailleurs des différentes usines de converger vers un seul endroit, craignant d'être débordées par le nombre. Il leur était plus aisé de maîtriser des groupes plus ou moins grands, isolés les uns des autres. Comme la veille, les travailleurs tentaient de forcer les barrages des forces antiémeute dressés sur toutes les artères principales de la zone industrielle. Le plus important mur humain a été dressé face à la foule partie de la SNVI à hauteur de l'usine Mobsco. Des centaines de gendarmes armés de matraques en bois, plutôt des manches de pioche, et de boucliers, barraient la route devant les manifestants. « Regardez ce que les pouvoirs publics mobilisent en guise de réponse aux cris de détresse des pères de famille. Près d'un millier d'hommes, peut-être plus, qui sont nos enfants en quelque sorte, pour nous bastonner », réagit un manifestant. Il y avait beaucoup de démesure dans la mobilisation des forces de sécurité, jeudi dernier. Des centaines de véhicules de la gendarmerie et de la police étaient stationnés à différents endroits de la zone industrielle. « Ils font une démonstration de force, mais cela ne nous impressionne pas. Nous organisons un mouvement de protestation pacifique pour réclamer nos droits. C'est légal et c'est même garanti par la Constitution », commente un travailleur. Un autre barrage a été dressé sur la route menant vers l'autoroute, non loin de Cammo, pour empêcher les travailleurs des unités de ce secteur de rejoindre la masse bloquée sur la RN5 reliant Réghaïa à Rouiba. Là, un autre travailleur réitère les revendications des manifestants : une augmentation de salaire permettant de vivre dignement et le droit de partir à la retraite sans condition d'âge pour ceux qui ont exercé suffisamment pour y prétendre. La masse d'employés de la SNVI qui s'est ébranlée la première est immobilisée lorsque son premier rang tombe nez à nez avec les gendarmes. Mais les manifestants s'impatientent lorsque les négociations des syndicalistes avec les officiers auxquels ils demandent de leur céder le passage échouent. Commencent alors des tentatives répétées de forcer cette barrière. Mais à chaque fois, les gendarmes chargent et des coups de matraque pleuvent sur les premiers rangs. Lorsqu'on sentait que la barrière risquait de céder, il suffisait aux officiers de faire un signe pour que des renforts parviennent des rues adjacentes, car un nombre impressionnant de gendarmes a été mobilisé. On déplore trois blessés légers parmi les manifestants suite à ces affrontements, dont une femme qui s'en est sortie avec une entorse à la main. Quelques travailleurs passeront par les champs mitoyens pour arriver là où ils avaient été bloqués la veille : l'entrée de la ville de Rouiba où ils seront stoppés par un autre barrage de police. Et ce sont toujours les syndicalistes qui interviennent pour éviter que la manifestation ne sorte de son cadre pacifique. « Non ! Non ! », crient-ils aux manifestants qui commencent à lancer des pierres vers les barrages de gendarmerie. « Il y a des gens manipulés qui font tout pour faire déborder la situation. Mais nous n'allons pas céder aux provocations. Nous continuerons à manifester pacifiquement, jusqu'à ce que le gouvernement nous entende », nous a déclaré un encadreur de la manifestation. « Ce décor me rappelle les événement de 2001 en Kabylie », nous dit un manifestant. En effet, des véhicules tout-terrain, des fourgons de transport de troupes, des bombes lacrymogènes, des camions arroseurs et des camions balayeurs occupent les carrefours stratégiques de la zone. « Tout ça pour mater un mouvement des travailleurs. Et dire que c'est nous qui fabriquons ces camions à la SNVI. L'Algérie recule beaucoup », s'indigne un manifestant. En début d'après-midi, les travailleurs se sont dispersés dans le calme réitérant leur détermination à aller jusqu'au bout : « Nous reviendrons dimanche si aucune réponse n'est apportée à nos revendications. Nous avons manifesté durant une semaine et aucun responsable n'a jugé utile de venir nous écouter. On nous ferme toutes les portes du dialogue, il ne nous reste que la rue », nous dit un encadreur de la manifestation.