Des milliers d'Algériens sortis pacifiquement réclamer leur droit à la liberté sont accueillis par la machine de guerre et l'appareil répressif français. Un massacre à grande échelle est commis à Sétif, Guelma et Kherrata, les corps de dizaines de milliers de victimes algériennes jonchent les rues maculées de sang de ces villes. La fin de la Deuxième Guerre mondiale a eu le goût amer de la mort, en Algérie. Soixante-dix ans après ces événements et 53 ans après l'indépendance de l'Algérie, le secrétaire d'Etat français aux Anciens combattants a exprimé le vœu de faire un «voyage mémoriel» à Sétif. Serait-ce un pas vers une reconnaissance des crimes commis par la colonisation française ? Pour Abdelhamid Salakdji, président de la Fondation du 8 Mai 1945, ce pas ne saurait en être un sans un véritable acte de reconnaissance officielle et explicite des crimes coloniaux commis contre le peuple algérien. «Il représente les anciens combattants, c'est-à-dire ces parachutistes, légionnaires et autres tortionnaires qui ont commis des atrocités contre le peuple algérien. S'il y a un pas à faire, c'est que ces gens aillent dans les cimetières où reposent nos martyrs et leur présentent leurs excuses, et que cette action soit reprise par les médias nationaux et français. Ce jour-là on pourra leur serrer la main», estime notre interlocuteur. M. Salakdji considère que toute autre manifestation ou rapprochement sans reconnaissance et excuses à nos martyrs ne pourrait refermer dans la sérénité la page de la mémoire commune. «Il y va de notre dignité et du respect du serment fait à nos chouhada», dit-il. Si l'Etat français hésite encore à faire le pas, la société civile, elle, est bien en phase avec la reconnaissance du passé colonial. Une association française, Les Oranges, a lancé une pétition demandant à l'Etat français la reconnaissance des crimes commis le 8 mai 1945 en Algérie. «Depuis 70 ans, ces crimes contre l'humanité, commis par l'Etat et ceux qui le servaient, ne sont reconnus. Une telle situation est inacceptable car elle ajoute à ces massacres l'outrage aux victimes, à leurs descendants et à leurs proches», souligne le texte de la pétition de l'association française, demandant aussi «la création d'un lieu du souvenir à la mémoire de celles et ceux qui furent assassinés et l'ouverture de toutes les archives relatives à ces terribles événements». Abdelhamid Salakdji s'est félicité de cette initiative qu'il dit soutenir et encourager : «Notre fondation a été sollicitée par cette association française et par de nombreuses personnalités et écrivains, et nous avons bien entendu signé la pétition en signe de soutien et d'appui à la démarche de reconnaissance des crimes de guerre et contre l'humanité commis par la colonisation française.» Et de qualifier la reconnaissance de «devoir moral». «Nous ne recherchons pas la repentance, ce que nous demandons c'est que la France officielle reconnaisse les massacres commis, une reconnaissance qui se traduirait par des excuses officielles exprimées par le président de la République française», indique notre interlocuteur, en notant que le devoir moral et le respect des valeurs humaines et des droits de l'homme imposent une telle démarche. Et de noter qu'en guise d'indemnisation, la Fondation exige l'assistance française pour la décontamination des sites radioactifs du fait des essais nucléaires français en Algérie. «Nous n'avons pas assez de spécialistes pour éliminer tous les effets des radiations, une implication française dans ce sens serait la bienvenue», estime M. Salakdji. Il est utile aussi de noter que du côté algérien, les victimes des massacres du 8 Mai 1945 – 45000 selon les estimations nationales – n'ont pas le statut de martyr. «Le ministre des Moudjahidine avait annoncé, lors de sa visite dans la wilaya de Bouira, qu'une commission planche sur le statut du chahid et du moudjahid avec une réflexion sur le cas des victimes du 8 Mai 1945. Nous souhaitons que ce travail aboutisse à la reconnaissance du statut de martyr pour ces victimes, une reconnaissance ne serait-ce que symbolique car il n'y aura pas d'incidence financière à l'octroi de ce statut aux victimes. Les ayants droit ne sont plus là», précise le président de la Fondation du 8 Mai 1945 en appelant à doter la législation d'un texte condamnant les crimes de guerre et contre l'humanité.