Le secrétaire d'Etat français, chargé des anciens combattants et de la mémoire, Jean-Marc Todeschini, effectuera aujourd'hui une courte visite à Sétif, l'épicentre des massacres du 8 Mai 1945. Le dépôt d'une gerbe de fleurs devant la stèle du premier martyr du carnage, Saâl Bouzid, sera le fait marquant d'une visite controversée ne dépassant guère les 3 heures et 15 minutes. Devant rallier Sétif à bord d'un avion spécial, l'officiel français, qui sera nous dit-on accompagné par de nombreux journalistes, fera une virée à la célèbre fontaine de Aïn El Fouara, visitera le musée national et puis s'arrêtera devant le mur byzantin situé à quelques mètres du parc d'attraction, érigé en lieu et place de l'ex-caserne où des centaines d'Algériens ont été internés, torturés et liquidés sommairement. Une visite au cimetière Sidi Saïd, où reposent 85 victimes dans deux fosses communes, n'est pas à l'ordre du jour. D'après le programme remis à la presse, aucun contact n'est prévu avec les rares survivants des massacres, leurs proches et descendants. Approchés par nos soins, des parents et enfants des victimes de la tuerie n'ayant pas, 70 ans après, divulgué tous ses secrets, s'expliquent mal le choix d'une telle date : «La visite du secrétaire d'Etat français ne tombe pas à point nommé. On n'effectue pas un ‘‘voyage mémorial'' par anticipation. La boucherie n'a pas été commise un 19 avril mais le mardi 8 mai 1945. On peut avancer tous les arguments mais une telle démarche ne plaide pas pour une véritable mémoire apaisée. Peut-on célébrer le carnage d'Oradour-sur-Glane, qui a été totalement rasée le 10 juin 1944 par l'unité de Waffen SS de la division Das Reich, au mois de mai ? La réponse coule de source», tonne Salim, fils du défunt Mohamed Bouguessa (dit Laskouri, un des organisateurs de la marche). «Pour on ne sait quelle raison, la France évite de prendre part à la cérémonie officielle, marquée chaque 8 mai, par l'imposante marche perpétuant une étape importante dans la lutte du peuple algérien. Le moment est venu pour que la France officielle reconnaisse les abominables crimes commis en son nom. Pour que les choses soient claires, on ne veut pas de compensation financière. On n'a ni l'intention, ni la volonté, ni le désir de souiller nos martyrs avec des billets de banque. On ne parle pas de repentance, mais d'excuses officielles. Le combat de nos pères et proches qui ne sont plus de ce monde continue», martèle notre interlocuteur. «Pour une juste transmission de la mémoire aux futures générations des deux peuples, la France doit regarder en face son passé colonial. Il faut qu'elle emboîte le pas à l'Allemagne et à l'Italie qui ont non seulement présenté des excuses, mais accordé des réparations financières à Israël et à la Libye. La France, qui a reconnu, dans les années 1990, la responsabilité du régime de Vichy dans la persécution des juifs français, est interpellée pour mettre un terme à la hiérarchisation des crimes commis en son nom. La hiérarchisation des souffrances est injuste et méprisable à la fois», déclare Kamel, fils du défunt Smaïl Rateb de Aïn Roua, localité située à 25 km au nord de Sétif où d'innombrables crimes ont été commis à huis clos. Le président de la fondation du 8 Mai 1945, Abdelhamid Salakdji, qui est en même temps fils de chahid et ancien moudjahid, n'y va pas par quatre chemins : «Les déclarations et les bonnes intentions de circonstance ont montré leur limite. Elles doivent désormais céder la place à des excuses officielles. C'est une exigence de vérité et de justice pour les victimes et leurs descendants. Sans excuses officielles, dûment approuvées par des institutions constitutionnelles françaises, on ne peut parler de réconciliation entre les deux pays. Ni le temps ni les esquives des politiques français ne peuvent corroder notre requête, une exigence de tout un peuple. Il est donc temps que la France reconnaisse sa propre histoire et traite de manière équitable toutes les mémoires. On ne veut plus d'une histoire dominée par une vision colonialiste. Il faut avoir le courage d'appeler les choses par leur nom. Pour se tourner vers un avenir apaisé, une prise en charge sérieuse de la question mémorielle, qui pèse beaucoup sur les relations des deux pays, est indispensable. L'intense activité menée ces dernières années par la société civile française, des personnalités et de nombreuses associations qui militent pour la reconnaissance des crimes commis le 8 Mai 1945, aboutira tôt ou tard. Je profite de l'opportunité pour saluer tous nos amis français, notamment les membres de l'association Les Oranges à l'origine de la pétition lancée dernièrement pour obliger l'Etat français à reconnaître les crimes commis en son nom.» Notons que le ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, accueillera son homologue français qui serait porteur d'un important message de son gouvernement, qui ne veut toujours pas franchir le pas…