Révision de la constitution : comment Bouteflika a su gagner du temps La montagne de spéculations et de projections autour de la révision constitutionnelle a fini par accoucher d'une souris. Deux séries de consultations, une riche littérature spéculative sur le poste de vice-président ou de changement de statut de l'armée, des synthèses de rapports faisant la navette entre plusieurs bureaux en hauts lieux, des déclarations intempestives, des démentis rigoureux, pour arriver en fin de compte à réaliser que le projet politique-phare de Bouteflika n'est qu'un retour au verrouillage des mandats et une série de déclarations de principes générales. Pour la professeure de droit public, Fatiha Benabbou, toute cette animation obéissait à l'une des deux hypothèses : «Premièrement, longtemps éloigné des changements intervenus dans le pays, le président Bouteflika, homme politique des années 70', n'a pas prévu l'écho négatif que la révision de 2008 a eu au sein de l'opinion publique. Quoi de mieux alors qu'une autre révision pour redorer son image ternie et ressortir par la grande porte ? Deuxième hypothèse : à l'heure de la démocratie d'opinion, beaucoup de dirigeants sont tentés d'utiliser la Constitution comme outil de communication politique. Sans doute cela permet d'instiller l'idée qu'ils sont dans l'action.» Une troisième piste est exposée par un conseiller à la présidence de la République : «Depuis le début, la révision de la Constitution n'est pas une urgence. Et le long et sinueux processus de réforme de la Constitution n'est qu'une tactique employée par le chef de l'Etat, affaibli par la maladie, pour gagner du temps sur son plus difficile des mandats. Il peut tenir des mois et des mois ainsi, mettant sur pied commission sur commission, consultation après consultation, mouture sur mouture.» D'ailleurs, des proches du clan présidentiel, Amar Saâdani, patron du FLN, et Amar Ghoul, président du parti Taj et ministre des Transports, ont déclaré ces derniers mois que même après la clôture des consultations drivées par Ouyahia, la «porte reste toujours ouverte pour d'autres consultations» ! Le feuilleton peut continuer.
Ecole : la copie difficile de la ministre Une femme à la tête d'un département aussi sensible que celui de l'Education, qui essaie de tenir tête aux syndicats lancés dans des grèves répétitives : c'est presque le seul changement osé par le président Bouteflika. Si Nouria Benghebrit est très critiquée par certains cercles, notamment les syndicats, c'est surtout sa volonté de réformer l'éducation et les tentatives de faire oublier à certains, dont les élèves, les «mauvaises habitudes» héritées de ses prédécesseurs, qui est contestée. Depuis une année, le secteur est en pleine effervescence (programmes, livres, organisation des examens, etc.) sans que les résultats ne soient visibles, car, explique une source proche du ministère, «aucun ministre n'est capable d'appliquer le programme du Président. Le programme est beaucoup plus ambitieux que les personnes nommées. On avait espéré que l'actuelle ministre apporterait un changement, malheureusement elle est mal entourée. Ses compétences s'avèrent limitées face à des bras cassés ; surtout que le ministre précédent avait réellement saccagé le secteur.» Une enseignante de français dans le secondaire à Alger nuance : «Ce n'est pas en une année qu'un secteur malade peut se remettre…». Mais pour Bachir Hakem, pédagogue et enseignant dans le secondaire à Oran, «75% des promesses ne sont pas tenues, que ce soit au niveau des injustices ou des erreurs administratives lors des concours. Par exemple, certains enseignants qui ont réussi le concours et commencé leur formation ont été recalés après plusieurs mois d'exercice, des contractuels non payés depuis des années et qui attendent leur dû malgré toutes les promesses.» D'autres enseignants affirment que «même les toutes petites décisions, comme la suppression du seuil des cours pour les candidats au bac, les dates des vacances, ou encore l'exigence de résultats et de qualité aux enseignants sont mal prises de la part de la corporation qui n'arrête pas de critiquer.» «Le ministère de l'Education n'a aucun pouvoir de décision et vit par des déclarations qui ont un seul but : celui de discréditer les syndicalistes et les enseignants par des déclarations insultantes, faisant passer les enseignants pour des terroristes vis-à-vis de la société», affirme un syndicaliste. Un avis contredit par d'autres qui affirment que désormais ces derniers ont une «obligation de résultats». Résultat de ce bras de fer : l'école ne s'en porte pas mieux.
L'industrie toujours à la traîne Lors de la campagne électorale, Abdelmalek Sellal annonce l'objectif : «Bâtir une économie émergente». Pour relancer l'industrie, le programme du président Bouteflika promet la révision de la loi relative à l'investissement. «Les ministres ont répété que la bureaucratie était un frein à la diversification de l'économie, mais, parallèlement, ils ont augmenté le nombre de contraintes sous couvert de la nécessité d'une meilleure régulation», regrette Slim Othmani, PDG de NCA-Rouiba. Un chercheur acquiesce : «Il n'y pas de politique de relance industrielle de la part du gouvernement actuel.» Le 19 septembre, le ministre de l'Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb, annonce la promulgation prochainement d'une nouvelle loi d'orientation de la PME. «Il y a eu des ébauches de texte pour favoriser les investissements, assouplir les formalités administratives, mais le choc pétrolier a tout arrêté», explique l'économiste Abdelhak Lamiri. «Rien n'a été remis ni à l'APN, ni à la Commission des affaires économiques. Un projet de réforme du code de l'investissement devrait arriver au printemps», nuance Smaïl Kouadria, député du PT. Des dizaines de projets industriels sont toujours bloqués, en attente de l'aval du Conseil national de l'investissement. Seul progrès cette année, la cimenterie de M'sila, construite en partenariat avec l'Afrique du Sud, en souffrance depuis trois ans, sera bien lancée. En novembre dernier, lors de la conférence nationale sur le développement économique et social, Abdeslam Bouchouareb confirme ses intentions : «Nous voulons libérer l'initiative, redonner toute sa dignité à l'acte d'entreprendre.» Le ministre promet que ce ne sera pas «une énième rencontre». «Aucune nouvelle concrète ou officielle n'a été donnée concernant les résultats ou les suites de cette conférence», constate aujourd'hui Ali Kahlane, vice-président du think tank CARE. Le 23 février, le ministre donne un chiffre : le plan de relance de l'industrie publique sera de 13 milliards de dollars. «Encore un plan pour le secteur public, un secteur très en retard, déplore le journaliste Ihsane El Kadi. Il faut donner sa place au secteur privé.»
Chômeurs, préemploi, Ansej : le statu quo Dans les couloirs du Salon de l'emploi à Alger, les ateliers pour rédiger un CV et une lettre de motivation sont pris d'assaut. Le programme du président Abdelaziz Bouteflika promettait de renforcer l'aide à l'emploi, la création d'entreprise et l'accès aux microcrédits pour les jeunes. «Il n'y a eu aucune avancée dans les titularisations des préemplois», rétorque Idriss Mekideche, chargé de communication du Snapap. Les annonces faites en décembre 2014, liées à la baisse des prix du pétrole, ont fait déchanter plus d'un million de jeunes diplômés, payés entre 10 000 et 15 000 DA par mois dans le public. «Les recrutements dans la Fonction publique vont être gelés. On parlait de priorité pour le préemploi, pour les jeunes, mais il n'y aura pas de concours et pas de postes, y compris dans l'éducation. La ministre avait annoncé un concours pour le mois de mars, mais jusqu'à aujourd'hui il n'y a toujours rien», ajoute un jeune diplômé en psychologie. A Ouargla, sur une centaine de jeunes chômeurs passés par le centre de formation aux métiers du pétrole, créé après les manifestations de 2013, seule une douzaine a désormais un emploi, car Sonatrach, qui paye cette formation, refuse de les embaucher. En meeting à Tizi Ouzou, lors de la campagne électorale, Abdelamek Sellal affirmait : «Nous allons aider les jeunes avec la Cnac, l'Angem, l'Ansej, sans limite.» Le programme du Président promettait «l'amélioration» des mécanismes de création d'entreprise. Chems Eddine Bezzitouni, directeur de l'incubateur de start-up de Sidi Abdellah (Alger), explique : «Aucune modification dans les dispositifs n'a été annoncée cette année. Ces cadres sont suffisants. Le problème n'est pas le cadre institutionnel.» Les experts estiment que la faiblesse des dispositifs comme l'Ansej, c'est que les autorités ne planifient pas les domaines dans lesquels le développement économique est nécessaire, ce qui provoque la saturation de divers secteurs et l'endettement de certains jeunes. Côté législatif, pas de signe d'un coup de pouce pour résorber le chômage : «L'avant-projet du nouveau code du droit de travail précarisera encore plus les emplois et diminuera les libertés syndicales», constate Idriss Mekideche.
L'affaiblissement de la justice
Le programme du président Abdelaziz Bouteflika assurait que le 4e mandat permettrait de «renforcer l'indépendance de la justice». «Depuis un an, il y a une régression et un affaissement des valeurs morales de notre justice», estime Belkacem Naït Salah, avocat à Oran. Depuis l'élection, les chômeurs de Laghouat sont condamnés pour «attroupement non armé» et pour avoir tenté d'«influencer les décisions du juge» et plusieurs journalistes sont sous contrôle judiciaire. Plusieurs grands scandales d'Etat ont commencé à être jugés en ce début d'année : les affaires de l'autoroute Est-ouest, Khalifa et Sonatrach. Pourtant, Khaled Bourayou, avocat, dénonce une précipitation qui a pour but d'«instrumentaliser la justice» pour «liquider» les affaires liées aux trois derniers mandats du Président. «Depuis 2014, la justice est en état comateux. Concernant l'application des normes internationales pour le procès équitable, il n'y a rien», conclut Belkacem Naït Salah. «Tout devrait commencer par le Haut Conseil de la magistrature qui doit être indépendant, alors qu'il est présidé par le président de la République, assisté du ministre de la Justice en tant qu'adjoint», dénonce Salah Dabbouz, président de la Ligue de défense des droits de l'homme et avocat, qui souligne que l'indépendance de la justice est une promesse politique très ancienne. «Les dispositions législatives prises en général sont contraires au principe d'indépendance», ajoute-t-il.
Santé : le «constat d'échec» des syndicats Une semaine après la réélection de Abdelaziz Bouteflika, le ministre de la Santé avait annoncé la mise en œuvre de trois plans visant le développement du secteur et l'amélioration de ses prestations. Une année plus tard, devant l'APN, Abdelmalek Boudiaf a rappelé que depuis 2013 «une opération de recensement exhaustive a touché tous les hôpitaux et structures de santé pour relever les dysfonctionnements contre lesquels le secteur bute en dépit des moyens importants mobilisés par les autorités publiques». Il a également expliqué que «les nouveaux besoins de la santé nécessitent la création d'un nouveau cadre législatif adapté aux mutations socioéconomiques». Du côté des syndicats, «le constat d'échec» est «total». Lyès Merabet, du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), se désole que «la situation n'ait pas vraiment évolué», même s'il reconnaît que «le secteur est tellement déstructuré qu'il faudrait plus de temps pour espérer voir la situation redressée». La corporation espérait pourtant un changement avec l'arrivée de la nouvelle loi sanitaire sur le bureau du gouvernement pour étude. Au final, Lyès Merabet annonce que les différents corps de médecins comptent saisir les groupes parlementaires, les partis politiques, les associations de malades pour qu'un véritable débat soit lancé sur ce projet. «Le projet remis au gouvernement n'a pas été soumis aux partenaires avant son envoi, bien que nous ayons contribué à son élaboration. Nous appréhendons ce qui va être consacré dans la pratique», affirme-t-il. Dix ans après le début des réformes dans le secteur, où en est-on ? Huit ministres sont passés et plusieurs chantiers d'hôpitaux, de centres anticancer ont été abandonnés. Pour les professionnels de la santé, les conditions de travail, de formation et de prise en charge ne se sont pas améliorées. S'ils notent une meilleure disponibilité du médicament et des vaccins, cela n'est pas à mettre sur le compte des réformes. Les rendez-vous pour des séances de radiothérapie restent encore longs à obtenir, même s'ils ont été ramenés à six mois au lieu de deux ans pour certaines pathologies cancéreuses. Les professionnels relèvent aussi que Abdelmalek Boudiaf «est plus présent sur le terrain que d'autres qui l'ont précédé».
Le redécoupage administratif ne sera pas finalisé dans les délais Annoncé depuis fin janvier, le découpage administratif reste un défi pour le gouvernement qui doit tenir son engagement, en mettant en place les nouvelles wilayas déléguées avant la fin du premier semestre, comme annoncé par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal. Selon une source proche du dossier, «cet engagement pourra être tenu, mais la définition des prérogatives ne pourra pas être finalisée dans les délais. La commission chargée du dossier a établi les prérogatives de ces super-daïras, mais elles peuvent être complétées par la suite. Les nouvelles wilayas auront plus de prérogatives que celles existantes à Alger, notamment dans le rapprochement de l'administration du citoyen, mais il n'est pas question pour l'instant de l'indépendance budgétaire, car les nouvelles wilayas vont toujours dépendre des wilayas mères.» La crise qui a frappé les wilayas du Sud a imposé le lancement «en urgence» du programme du découpage administratif dans ces wilayas. Le ministre de l'Intérieur, Tayeb Belaïz, a présenté le dossier du découpage administratif lors de la réunion au Conseil du gouvernement il y a plus de deux semaines. Mais les citoyens des zones concernées par le nouveau découpage se posent encore des questions : les daïras deviendront-elles des wilayas avec des prérogatives qui facilitent le quotidien, ou des relais administratifs entre l'ancienne daïra et la wilaya ?