– Vous avez passé six mois en prison. Qu'est-ce cela a changé en vous ? Ma conviction. La souffrance et le sentiment de la hogra que j'ai ressentis en prison durant ces derniers six mois ont nourri ma conviction. Le pouvoir veut des Algériens soumis et ignorants de leurs droits. Nous nous sommes battus pour notre droit à la citoyenneté. Pour nos droits civiques et vous avez vu la réponse du pouvoir ? Il nous a tous jetés en prison. C'est une preuve que nous vivons encore sous une dictature. Les autorités voulaient même nous enfoncer dans le trou, si ce n'est la solidarité qui s'est constituée autour de notre cas. Sans elle, on aurait pu pourrir en prison, je vous l'assure. – Justement, parlez-nous de cette solidarité… Alors que nous étions au tribunal, nous avons entendu les cris des gens qui scandaient nos noms à l'extérieur. Ces actions de solidarité nous ont donné le courage d'affronter l'injustice que nous subissions. L'écho de notre incarcération a dépassé nos frontières, car nous avons même eu le soutien du Parlement européen. Cela veut dire que l'humanisme n'a ni couleur, ni religion, ni frontière, ni passeport ni même de visa. Cet élan de solidarité nous a fait comprendre que nous n'étions pas seuls. C'était important pour nous sur le plan moral. – Mais concrètement, comment cette solidarité s'est-elle traduite sur le terrain ? D'abord par la présence imposante des militants qui ont toujours été là pour nous et pour nos familles. Une cotisation a été lancée afin de venir en aide à nos familles qui n'ont manqué de rien pendant toute la durée de notre incarcération. C'était déjà un lourd fardeau de moins. Car nous pensions beaucoup à elles et à leur sort. Moi-même, je suis marié et j'ai quatre enfants à nourrir. Je ne peux leur oublier ce geste noble. La presse aussi a joué un grand rôle dans la médiatisation de notre cas. Les ONG internationales et les associations de défense des droits de l'homme algériennes nous ont été d'un grand appui à travers leurs communiqués et leurs actions de solidarité. Et puis, nous avons même eu l'appui des partis politiques, comme le MDS, dont le président, Hamid Ferhi, n'a pas quitté Laghouat depuis le début de l'affaire et le FFS qui a même envoyé ses avocats et ses députés, etc. Nous avons eu même des soutiens improbables, comme celui de Louiza Hanoun avec qui nous avons un différend politique et que je remercie d'ailleurs pour l'occasion. Mais le grand travail a été fait surtout par nos avocats qui se sont constitués gratuitement pour nous défendre. Au contraire, ils ont même dépensé de leur propre proche. – En parlant d'avocats, vous leur avez demandé, deux jours avant le jugement final, de ne plus vous défendre. Que s'est-il passé exactement ? Alors que nous étions en prison, la justice et la direction de la prison ont exercé des pressions terribles sur nous. Le juge d'instruction et le procureur de la République ont tout fait pour nous convaincre de reconnaître publiquement les accusations sur la base desquelles nous avons été poursuivis. En échange, ils nous ont promis la libération. Puis est venu le rôle joué par le directeur de la prison qui a réussi à nous monter les uns contre les autres en convainquant mes camarades, en temps de faiblesse, que, moi et les avocats, représentons la «main étrangère», travaillons pour des agendas occidentaux. Il voulait à la fois créer la zizanie et convaincre mes camarades d'abandonner la défense. Heureusement qu'ils se sont ressaisis à la dernière minute. C'était très difficile pour moi qui avais la responsabilité de veiller sur la cohésion du groupe. Enfin, nous avons demandé la présence de tous les avocats. J'avoue que certains n'ont pas répondu à l'appel. Je leur ai tout expliqué à ma sortie. Et les choses sont rentrées aujourd'hui dans l'ordre, Dieu merci. – Quelle était l'attitude des gardiens de prison envers vous ? Je ne vous cache pas. Nous étions respectés par tous. Nous n'étions pas traités comme les autres prisonniers. C'était l'enfer pour eux. Les gardiens s'en prenaient à ceux qui se bagarraient ou qui réclamaient l'amélioration de leurs conditions de détention. Ils tiennent le prisonnier, la tête suspendue, du bout des pieds par une ceinture. Au moment où les uns le coincent des épaules, les autres le frappent sur le plat des pieds pour ne laisser aucune trace. C'était leur façon de punir. J'ai eu des témoignages de gens qui se sont fait menotter pour se voir gifler par les gardiens à tour de rôle. – Vous avez déclaré que vous étiez, vous et vos camarades, interdits d'hospitalisation. Nous concernant, ils avaient adopté une autre méthode de restriction. En prison, nous avons des gens, abonnés, qui reçoivent chaque jour les journaux nationaux. La direction ne laisse passer aucun journal qui publie des articles sur nous. Ce sont certains gardiens qui connaissaient notre dossier et croient en notre combat qui nous informaient de tout ce qui se dit et de tout ce qui s'écrit sur nous. Nous avons organisé deux grèves de la faim, de neuf et de sept jours, où nous étions privés de sucre, aliment essentiel pour les grévistes. J'ai été même abandonné dans le couloir de la prison pendant toute une journée. J'ai souffert quelques jours plus tard d'une diarrhée causée par une intoxication alimentaire et d'une hernie que j'avais sur mes parties génitales. La direction a refusé de nous hospitaliser dix prisonniers et moi. Il a fallu que je conteste et que je refuse de regagner ma cellule pour qu'elle abdique. Une fois sorti, les médecins et les habitants de Laghouat se sont déplacés pour me voir à l'hôpital. L'information sur l'intoxication a été médiatisée et, depuis, la direction n'a autorisé aucune personne à quitter les murs de la prison. Son directeur n'a aucun humanisme. – Que représentent pour vous le militantisme et le militant après toute cette expérience ? Vous ne pouvez pas perdre vos convictions en prison mais vous allez sûrement y laisser votre santé et votre dignité. Je souffre encore. Je dors peu et je ne mange plus. Ces six mois passés en prison m'ont fait réfléchir sur nos méthodes de lutte. Dans le Tiers-Monde et dans les Etats dictatoriaux comme le nôtre, le militantisme est un sacrifice. Il faut même s'attendre à mourir. Quant au militant que je suis, avant je portais des revendications d'ordre social qui se sont transformées aujourd'hui en des revendications politiques. Je pensais que le pouvoir pouvait s'adoucir et réfléchir à s'investir dans l'humain, mais j'ai fini par perdre espoir. Aujourd'hui, je revendique le changement du pouvoir. – Quel type de changement revendiquez-vous ? Cette expérience m'a fait comprendre l'importance capitale de la justice dans la construction d'un Etat moderne. Sans elle, il n'y aura ni démocratie ni liberté. Je souhaite qu'on puisse avoir un Président démocrate qui gouverne l'Algérie avec justice. Qu'importe ses origines ou ses convictions religieuses, le plus important est qu'il soit juste, qu'il rende la légitimité au peuple et qu'il partage équitablement les richesses du pays au peuple algérien. Je reste solidaire avec mes camardes qui sont encore en prison, dont Mohamed Ereg. Et si j'ai un appel à lancer aux Algériens et aux militants d'une manière générale, ce sera celui-là : soyez humanistes ! Car si ce n'est pas la religion qui vous réunira, ce sera sûrement notre pays. Et si nos pays sont différents, c'est l'humanisme qui pourra nous rassembler, c'est le plus noble des stades que peut atteindre la personne humaine.