Presque tout le pouvoir s'est déplacé, hier, au cimetière de Ben Aknoun, pour rendre un dernier hommage à celui dont tout Alger susurrait qu'il était le « faiseur de rois ». Ses amis comme ses adversaires politiques au sein même du régime – civils et militaires – se sont tous retrouvés pour l'accompagner à sa dernière demeure. Il était 13h quand la foule commence à s'amasser au cimetière. L'ancien secrétaire général du FLN, Abdelhamid Mehri, un des adversaires du général Belkheir, est l'un des premiers arrivés. Les deux hommes se connaissaient « très bien », de l'aveu même de l'ancien secrétaire général du FLN. Mais entre eux, tout ne devait pas avoir été comme cette déclaration le suggère. On retiendra que lors du célèbre conflit qui éclata au sommet de l'Etat entre Mouloud Hamrouche et Larbi Belkheir sur les réformes, A. Mehri a préféré prendre le parti de M. Hamrouche. Quelques dizaines de minutes plus tard, le défilé des hauts responsables commence par le ministre délégué à la Défense nationale, Abdelmalek Guenaïzia. Ensuite c'est au tour du Premier ministre, Ahmed Ouyahia d'arriver, suivi du général à la retraite Abdelhamid Djouadi et du chef d'état-major Gaïd Salah en civil. A une cinquantaine de mètres à l'extérieur du cimetière, on peut remarquer Yazid Zerhouni, ministre de l'Intérieur, dans sa voiture. Une heure plus tard, il fera son entrée au cimetière, juste avant l'arrivée de la dépouille mortelle. « Il n'aime pas trop causer aux enterrements », dit-on. Les inséparables généraux à la retraite, Mohamed Touati et Khaled Nezzar, arrivent à pied, quelques instants avant l'entrée de l'ex-chef d'Etat, Chadli Bendjedid. Entre ce dernier et le défunt, c'est toute une partie de l'histoire de la République parmi ses phases « les plus chahutées ». Mais leur destin est lié à plus d'un titre. Il faut remonter à 1979, année qui coïncide avec la désignation du successeur de Houari Boumediène. C'est Larbi Belkheir, qui avait le grade de commandant et dirigeait l'Ecole nationale des ingénieurs des techniques de l'armée (Enita), qui a parrainé « le plus ancien de l'armée et ayant le grade le plus élevé ». Ainsi Chadli Bendjedid sera le prochain chef de l'Etat. Les deux hommes, qui se connaissaient déjà à l'Indépendance, notamment au sein de la IIe Région militaire à Oran, ont dû à ce titre continuer le parcours ensemble. Chadli élève Belkheir au rang de colonel et dirige le fameux Haut-Conseil de sécurité. De là, il entame sa fulgurante ascension au sommet du pouvoir. En 1986, il deviendra secrétaire général de la Présidence, un poste-clé à partir duquel il arrive à garder un œil sur les affaires du pays. « Il concentre tous les pouvoirs de décision. Son rôle durant la période qui suivit les événements d'octobre 1988 jusqu'à 1991 a été central. Il a été à l'origine même de la création de certains partis politiques », commente à voix basse un ancien ministre, parmi une foule nombreuse de hauts fonctionnaires civils et militaires. Mais entre Chadli et son puissant chef de cabinet, les chemins se séparent lors de la tonitruante élection législative de 1992. Chadli est « contraint » de partir ; le général, lui, reste. Il sera ministre de l'Intérieur avant et pendant le règne de Mohamed Boudiaf. Il prendra sa retraite officiellement avec l'arrivée de Liamine Zeroual aux commandes du pays. Chadli qui paraissait, hier à l'enterrement, au mieux de sa forme, a tenu à participer à la mise en terre de la dépouille en guise de dernier hommage à son « compagnon ». Une forte rumeur a accompagné l'affluence des nombreux commis de l'Etat. L'arrivée annoncée du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du Maroc, Tayeb Fassi El Fehri, s'est confirmée juste après celle de MM. Belkhadem, Soltani, Ziari, Bensalah, Benbitour, Sifi, Ghozali, Ali Haroun, Benflis, Rahabi, Ali Tounsi, des ministres en poste ainsi que tous les « Belkheir boys ». Certains commentent l'absence remarquée du frère du Président, Saïd. Lui dont on dit qu'il ne rate jamais ce genre « d'occasion ». La rumeur « officielle » raconte qu'il est à l'origine du départ du « cardinal de Frenda » du cœur du système en 2005. Il n'est un secret pour personne que Belkheir, qui était de ceux qui étaient à l'origine du choix de Bouteflika comme candidat du régime en 1999, s'est opposé au deuxième mandat du Président. Il deviendra un homme à « abattre » aux yeux du clan présidentiel. Il n'empêche que sa désignation au poste d'ambassdeur à Rabat a été perçue comme une volonté délibérée de l'éloigner du centre de décision. Un début de fin de règne sur un pouvoir gagné par toute sorte de manœuvres et de complots qui ont d'ailleurs coûté cher au pays. L'opposition le considère comme l'un des principaux responsables de la crise politique que traverse le pays. Il est 14h quand un long cortège officiel arrive ; ce n'est pas la dépouille, mais le conseiller du roi du Maroc, Mohamed Moatassim, et du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Tayeb Fassi El Fehri, en tenue traditionnelle, accompagnés du ministre algérien des Affaires étrangères, Mourad Medelci. A peine ont-ils franchi le portail du cimetière que la dépouille mortelle, recouverte de l'emblème national, arrive. Le conseiller du roi fait une brève déclaration : « C'est Sa Majesté qui nous a dépêchés pour le représenter à l'enterrement de celui qui fut le lien solide entre les deux peuples. » Le corps du défunt est mis sous terre par les siens. Une pluie fine mouille les visages… La foule se disperse sans plus tarder.