Selon la commission électorale, Mme Tsai, du Parti démocratique progressiste (PDP), a remporté 56,12% des voix contre 31,04% pour Eric Chu, dont le KMT enregistre une déroute historique, qui se traduit aussi par la perte de sa majorité au Parlement. Il s'agit de la victoire la plus écrasante du principal parti d'opposition. Dans sa première déclaration à la presse, Mme Tsai a tenu à appeler Pékin à respecter le «système démocratique, l'identité nationale et l'intégrité territoriale» de Taïwan. «Toute forme de violation affectera la stabilité des relations entre les deux rives du détroit», a-t-elle averti. En votant massivement pour la candidate du PDP, les Taiwanais ont clairement exprimé leur souhait de tourner le dos au rapprochement que le KMT menait depuis huit ans avec le régime communiste chinois, sous l'égide de Ma Jing-jeou, le président sortant. Et cette victoire va inévitablement compliquer, voire dégrader, les relations entre Taïwan et la Chine, selon des experts. Pékin a répondu à l'élection de la candidate de l'opposition en censurant son nom sur Weibo, le principal réseau social chinois, afin de limiter le traitement médiatique de son élection. Le KMT a rapidement reconnu sa défaite hier soir. «Je suis désolé… Nous avons perdu. Nous n'avons pas travaillé assez dur et nous avons déçu les attentes des électeurs», a déclaré, au siège du Kuomintang, Eric Chu, qui a annoncé sa démission comme chef du parti. Le PDP a remporté pour la première fois la majorité des 113 sièges au Parlement monocaméral aux législatives qui se déroulaient hier également. Mme Tsai va offrir à son parti sa troisième présidence depuis les deux mandats de Chen Shui-bian, élu en 2000, puis réélu en 2004 jusqu'en 2008. L'ancienne universitaire de 59 ans a bénéficié du malaise croissant suscité par les relations bilatérales avec Pékin mais aussi de la frustration d'une partie des 18 millions d'électeurs face à la stagnation économique. Le dégel des relations avec Pékin avait culminé fin novembre avec le premier sommet depuis la séparation de la Chine continentale et de l'île de Taïwan il y a plus de 60 ans. Mise en garde de Pékin Malgré la signature d'accords commerciaux et un boom touristique à Taïwan, nombre d'habitants estiment qu'en étant devenue dépendante économiquement de Pékin, l'île a perdu de son identité et de sa souveraineté. Beaucoup estiment que cette politique n'a profité qu'aux grandes entreprises. Le territoire vit sa propre destinée depuis 1949, lorsque les nationalistes du KMT s'y étaient réfugiés après avoir été vaincus par les communistes. Mais la Chine considère toujours Taïwan comme une partie intégrante de son territoire qu'elle peut reprendre par la force le cas échéant. Mme Tsai a expliqué que Taipei devait mettre fin à la dépendance économique envers Pékin. Mais elle a pris soin de souligner que le «statu quo» serait maintenu, modérant le discours traditionnellement indépendantiste du PDP. Un consensus tacite conclu en 1992 entre Pékin et Taipei veut qu'il n'y ait qu'«une seule Chine» et laisse à chaque partie le loisir d'interpréter cela comme elle l'entend. Il s'agit de tranquilliser Pékin mais aussi les Etats-Unis, principal allié de Taipei, qui craignent pour la stabilité de la région. Washington, qui a félicité «le peuple de Taïwan pour (…) la démonstration de la force de son système démocratique», a d'ailleurs souligné la nécessité de «continuer à promouvoir la paix (…) dans la région». Mme Tsai sait que la grande majorité des électeurs veulent aussi la paix alors que le PDP n'a jamais reconnu ce consensus. Pékin a d'ores et déjà averti qu'il ne traiterait pas avec un dirigeant qui ne reconnaîtrait pas que Taïwan fait partie d'«une seule Chine». La plupart des experts estiment inévitable une certaine dégradation des relations, mais pensent que s'aliéner Taïwan irait à l'encontre du but ultime de Pékin, la réunification. «L'intérêt de Pékin c'est de maintenir Taïwan dans la dépendance économique», estime ainsi Jean-Pierre Cabestan, de l'université baptiste de Hong Kong.