« Sonatrach, et après ? », a dit Ahmed Ouyahia, Premier ministre, à propos du scandale qui secoue la première entreprise du pays. S'agit-il d'une volonté de banaliser une affaire sans précédent dans l'histoire du pays ? Ou plutôt de rassurer des partenaires étrangers inquiets par la tournure que prend la désormais « affaire Sonatrach » ? Ahmed Ouyahia rejoint à un certain niveau les dires de Yazid Zerhouni, ministre de l'Intérieur, qui déclaré qu'il n'y a pas d'« opération mains propres » en Algérie. Il a également soutenu que les affaires de corruption « existent dans tous les pays ». Ahmed Ouyahia, ancien garde des Sceaux, a soutenu qu'il ne fallait pas se substituer à la justice pour statuer sur la culpabilité des cadres inculpés dans l'affaire Sonatrach et celle du projet de l'autoroute Est-Ouest. « N'attendez pas du gouvernement qu'il juge les gens », a-t-il lancé. C'est une évidence. Mais dans la foulée, le Premier ministre a annoncé qu'entre 2006 et 2009, 4000 affaires de corruption ont été traitées par les tribunaux. Ce n'est certes pas une opération « mains propres » comme celle menée par des juges indépendants en Italie, mais ça a tout l'air d'y ressembler, du moins dans les grands traits. Au milieu des années 1990, Ahmed Ouyahia, alors chef du gouvernement, avait engagé une immense opération de « moralisation de la vie publique » qui avait, entre autres, emporté plusieurs responsables de Sider en prison. Bouguerra Soltani, président du MSP, est, lui aussi, entré sur la ligne pour souligner que la justice doit suivre son cours en cas d'existence de preuves. Le chef du MSP a même pris la défense, sans le citer, du ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, cadre de l'ex-Hamas, sur le scandale de l'autoroute Est-Ouest. « Rien n'a été prouvé encore. Il n'y a que des soupçons. Des personnes ont été convoquées et les enquêtes sont en cours. Tant que leur culpabilité n'a pas été prouvée, ces personnes sont innocentes. A la justice de trancher », a-t-il déclaré hier, sur la Chaîne I de la Radio nationale. La société doit, selon lui, lutter contre la culture de la tchipa. « On doit protéger les gens honnêtes », a-t-il appuyé, accusant la presse de porter atteinte, parfois, à la dignité des personnes sans réparer en cas de relaxe. Amar Ghoul a, pour sa part, tenté d'atténuer des accusations et des soupçons évoqués par les médias sur sa gestion du projet de l'autoroute Est-Ouest. « Il n'y a rien. Des nuages de poussière », a-t-il lancé lors d'une visite à Tipasa. Chakib Khelil, ministre de l'Energie et des Mines, va presque dans le même sens : « Vous ne voyez pas la fumée qui se dégage ailleurs ? », a-t-il lancé à l'adresse des journalistes. Mais quelle « fumée » ? Quels « nuages » ? Ni Ghoul ni Khelil n'ont donné d'explications. Comme si l'opinion publique n'était pas en droit de tout savoir sur la gestion de l'argent public. A moins que Chakib Khelil, qui a brusquement adopté un ton agressif, sait que le scandale de Sonatrach cache des intrigues de palais et il invite tout le monde à s'y intéresser de près. Les politiques se comportent comme si l'action engagée en justice contre les malversations et la corruption n'étaient qu'un acte accessoire lié à des calculs politiques plus profonds. Tenter, comme ils le font tous, d'atténuer l'ampleur du scandale Sonatrach ressemble à une fuite en avant qui remet en cause la crédibilité d'une réelle volonté de lutter contre la corruption. Le Premier ministre a laissé entendre que des consultants, du rang de magistrats, seront nommés pour suivre de près les conclusions des contrats à tous les niveaux. Est-ce à dire que les mécanismes de contrôle n'ont pas fonctionné ? Maintes fois amendé, le code de marchés publics a été presque vidé de sa substance au point d'étendre l'étude des marchés de gré à gré. La loi sur la monnaie et le crédit est devenue invisible. Autant que la Cour des comptes, réduite à un corps sans âme. Le gouvernement n'a toujours pas adopté, comme il l'a plusieurs fois promis, la loi sur le règlement budgétaire, celle-là même qui autorise un contrôle des dépenses publiques permis par la loi de finances. Karim Djoudi, ministre des Finances, a annoncé qu'un bilan se fait actuellement pour élaborer une loi de règlement budgétaire. Mais pas plus. Abdelaziz Ziari, président de l'APN, a déclaré cette semaine que les prérogatives du Parlement sur la lutte contre la corruption sont limitées. Cependant, il n'a rien fait pour mettre sur pied une commission d'enquête sur la gestion de Sonatrach ou sur la conduite du projet de l'autoroute Est-Ouest. Rien ne l'empêche de le faire ni lui ni les députés. Ni l'APN ni le Sénat n'ont pensé à inviter, à défaut de convoquer, les membres de l'Exécutif à des débats publics sur la manière de renforcer la transparence dans la gestion des dépenses publiques. Il est question de créer un Observatoire de lutte contre la corruption. Mais quel rôle aura-t-il ? Il ne suffit pas de dire publiquement, « je ne démissionne pas », comme l'a fait Chakib Khelil, pour tourner la page. La responsabilité politique est bel et bien établie lorsqu'il est question de gérer des fonds qui appartiennent à la communauté nationale..