Vous souvenez-vous de la devinette qui consistait à découvrir comment faire traverser une rivière à une chèvre, un loup et une salade, avec un seul passager par traversée, en évitant que l'un des deux restants dévore l'autre ? Elle avait amusé notre enfance et, parvenus à l'âge adulte, elle est devenue une sorte d'allégorie de l'histoire ou de l'actualité, comme pourraient l'illustrer bien des crises politiques internes et des conflits internationaux. Depuis les temps les plus reculés, les animaux ont servi de symboles aux expressions culturelles humaines. Au Moyen-âge sont apparus les bestiaires, recueils de contes animaliers porteurs de morales diverses. Plus tard, ils ont permis de faire passer des messages que la censure et l'oppression n'auraient jamais tolérés. L'école coloniale nous a fait découvrir La Fontaine dont les fables furent à la fois des contes édifiants et des critiques de la société et du pouvoir. Puis, nous apprîmes que le grand fabuliste français s'était inspiré en partie des écrits du Grec Esope ainsi que du monumental ouvrage Qalila oua Dimna d'Ibn al-Mouqafaâ. Enfin, d'autres recherches révélèrent que ce dernier avait adapté à son époque des fables indiennes tirées du Pantchatantra. Le formidable croisement de ces histoires animalières à travers les civilisations et les langues indique un long attachement à ce type d'expression qui a sans doute perdu de sa valeur à l'ère du poulet aux hormones, peu compatible avec l'imaginaire et le merveilleux. Pourtant subsistent encore des contes populaires, transmis par l'oralité, de moins en moins entendus dans les familles (phagocytées par la télévision et les nouvelles technologies) mais que l'on peut encore lire dans leurs versions éditées ou découvrir à la faveur de manifestations comme le Festival du Conte d'Oran dont la dixième édition se déroule en ce moment. On retrouve aussi «nos amies les bêtes» dans l'univers poétique du melhoun et les textes de certaines chansons du chaâbi. Si la «littérature animalière» se fait moins présente, elle perd rarement de sa force symbolique. Le journaliste algérien, Mohand-Saïd Ziad, décédé en 2014, en savait quelque chose, lui qui au début des années 80' avait été suspendu pour avoir publié dans sa chronique Sagesse du Terroir, qui paraissait dans Algérie-Actualité, un conte intitulé L'Ane devenu lionceau où les censeurs avaient cru percevoir la satire d'un dirigeant politique. Tout cela nous est venu de l'histoire, lue sur Internet, d'un lion, d'un tigre du Bengale et d'un ours noir, élevés ensemble dans un centre pour animaux abandonnés aux Etats-Unis et qui, en dépit de leur supposée «animosité» réciproque, sont inséparables et se manifestent en permanence des marques d'affection. Un conte animalier moderne dont la morale vient donner une leçon à tous ceux qui acceptent encore les discriminations de sexes, de races, de religions ou de nationalités. Eh oui, la bêtise n'est jamais le fait des bêtes !