La dérive sémantique de Kouchner, insinuant que le gouvernement algérien pourrait ne pas se montrer solidaire des députés de l'Alliance présidentielle, ne signifie rien d'autre que le chef de la diplomatie française se range dans le camp de ceux qui tentent de défendre les bourreaux de centaines de milliers d'Algériens. Entre l'Algérie et la France, il règne désormais un climat de guerre froide. Un climat aggravé, depuis lundi, par la réaction intempestive aux allures d'ingérence de députés de la droite française à l'initiative de plus de 125 parlementaires algériens d'élaborer une proposition de loi criminalisant le colonialisme et une déclaration de Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères, faite le lendemain, laissant entendre que l'Exécutif algérien pourrait ne pas cautionner la démarche initiée par les partis membres de l'Alliance présidentielle. Il n'en fallait certainement pas plus pour avoir la certitude que les relations algéro-françaises se sont, effectivement, engouffrées dans une crise complexe. Il faut probablement remonter aux années 1970, précisément au temps du président Giscard, pour retrouver une atmosphère aussi délétère entre l'Algérie et la France. La tournure prise, aujourd'hui, par les relations algéro-françaises était prévisible. Depuis près d'une année, il ne se passe pratiquement plus un jour sans que des protestations fusent d'un coté comme de l'autre pour d'innombrables raisons. Fait notable toutefois : les réactions de contestations viennent beaucoup plus souvent de la partie algérienne que française. Il faut dire que la décision de la justice française d'ordonner au mois d'août 2008, dans le cadre de l'affaire de l'assassinat en 1987 à Paris de Ali Mecili, l'arrestation du responsable du protocole du ministère algérien des Affaires étrangères, Mohamed Ziane Hasseni, et son initiative récente de rouvrir le dossier des moines de Tibhirine ont été perçues à Alger comme des provocations. Si les autorités algériennes ont préféré jusque-là garder leur sang-froid et rester mesurées pour ne pas envenimer davantage la situation, il n'en demeure pas moins que de nombreux observateurs ne se sont pas empêchés d'interpréter l'intrusion inattendue dans les relations algéro-françaises de ces deux dossiers (affaires de l'assassinat de Ali Mecili et des moines de Tibhirine) comme une tentative du gouvernement français de faire pression sur Alger et de peser sur le cours des discussions engagées par les deux parties sur d'innombrables dossiers. Cela, surtout qu'avec le temps, il ressort que les griefs retenus à l'encontre de Mohamed Ziane Hasseni, tout autant que les accusations portées par le général François Buchwalter à l'encontre de l'armée algérienne dans le cadre de l'enquête ouverte sur l'assassinat des moines de Tibhirine, sont soutenus par des arguments tirés par les cheveux, voire même complètement infondés (lire l'article,paru dans notre édition d'hier, consacré à Mohammed Ziane Hasseni). Coup de poignard dans le dos La grande polémique suscitée de part et d'autre de la Méditerranée par ces deux épisodes a participé, dans une large part, à exacerber la tension déjà vive entre les deux pays, créée par l'initiative du Parlement français, d'adopter une loi glorifiant la colonisation française en Algérie. Il n'est un secret pour personne que celle-ci a été ressentie comme un coup de poignard dans le dos par les autorités algériennes surtout que les entreprises françaises commençaient à avoir un réel traitement de faveur en Algérie. Ce n'est pas tout : le président Bouteflika était également sur le point de signer un accord d'amitié avec la France. Inutile de dire que le « coup » de l'Assemblée française a été appréhendé à Alger comme une « suprême insulte » eu égard au crime colonial commis par la France en Algérie et, bien évidemment, une tentative de la droite française de vendre aux Algériens un traité d'amitié au rabais. En s'illustrant avec une « sortie » aussi provocatrice qu'inamicale, l'Assemblée française prouve non seulement que, près d'un demi-siècle après, le colonialisme et la sale guerre menée en Algérie ne sont toujours pas assumés en France, mais qu'aussi le parti qui a porté Nicolas Sarkozy au pouvoir est demeuré nostalgique de cette sombre et sinistre période de l'histoire de France. Chose d'ailleurs que le Parti communiste français (PCF) a regrettée hier. La dérive sémantique de Bernard Kouchner – qui insinue, dans ses déclarations de mardi, que le gouvernement algérien pourrait ne pas se montrer solidaire des députés de l'Alliance présidentielle – ne signifie rien d'autre que le chef de la diplomatie française se range, lui aussi, dans le camp de ceux qui tentent aujourd'hui de défendre en France les bourreaux de centaines de milliers d'Algériens assassinés par le colonialisme français. Plus grave, en rappelant avec arrogance que « le gouvernement algérien n'a pas encore pris position », Bernard Kouchner laisse entendre que l'Etat algérien se rendra complice des plus inqualifiables des reniements et que celui-ci travaille, en définitive, à la solde des nostalgiques de l'Algérie française. Pour tous les observateurs, ces déclarations sont amplement suffisantes pour accuser Bernard Kouchner de complicité de crime et constituent une raison suffisante pour lui ôter, au moins, son titre d'humanitaire.