Qu'avons-nous retenu de notre histoire, d'un passé récent sombre avec son lot de désolation, de stigmatisation, de déportations… ? Pas grand-chose ! Au moment où notre vivre-ensemble est en péril à l'aune d'une actualité mortifère, la France a plus que jamais besoin de cohésion et non de division.. L'islamopsychose est en train de gangrener tous les secteurs de la société française et met en péril notre cohésion nationale : depuis les attentats de 2015 des personnels de santé dans les hôpitaux, des élèves et professeurs dans l'éducation nationale, des cadres dans la fonction publique territoriale, des bagagistes dans les aéroports, des ouvriers, des fidèles barbus pratiquants, des femmes voilées… au patronyme à consonance arabe ou d'obédience musulmane ou supposée, ont été inquiétés professionnellement ou dans le cadre de visites musclées de la police, parfois en présence de leurs enfants choqués par ce qu'ils avaient coutume de voir jusque-là sur les tubes cathodiques. Ce contexte anxiogène a même généré des mécanismes pavloviens de délation de «voisins» parlant arabe et devenus soudain «bizarres» dans leurs tenues vestimentaires, leurs allées et venues à la mosquée, leurs «regroupements suspects» le week-end en famille… Ce phénomène qu'on croyait révolu depuis Vichy est aujourd'hui attesté par de nombreux témoignages et communiqués d'organisations des droits de l'homme, lesquels tirent tous la sonnette d'alarme et interpellent les pouvoirs publics de ces dérives. Le pacte de sécurité a encore délié les langues un peu plus et cautionné bien des dérives : perquisitions avec saccages inutiles par les forces de l'ordre, fermeture de mosquées (sanctionnant ainsi des centaines de fidèles), fouilles au faciès appuyées, projet de déchéance de nationalité des personnes considérées «radicales»… L'état d'urgence, comme on l'a vu, autorise tout, n'importe comment, sans les élémentaires règles de l'art et sans questionnement sur le respect des droits fondamentaux. Il y a peu, lors de la séance des questions au gouvernement, un certain député du Bas-Rhin interpellait le ministre de l'Intérieur sur le danger d'une cinquième colonne musulmane dans la police, l'armée… On n'a pas tiré les enseignements de l'histoire. Pourtant Alfred Dreyfus n'est pas si loin de nous. Le mythe du complot a lui aussi la dent dure. Seuls les acteurs ont changé. Hier le juif ; aujourd'hui le musulman. Demain qui sait ? Demain qui c'est ? L'islamophobie est désormais assumée pleinement par certains médiacrates ou responsables politiques qui promeuvent la banalisation d'une haine ordinaire qui écorche, taille en pièces nos valeurs républicaines. La nouveauté est le passage progressif d'une islamophobie conjoncturelle à une islamophobie structurelle, confortée par la crise économique, la guerre et le chaos au Moyen-Orient et la tragédie humanitaire des réfugiés, en qui on voit avant tout des musulmans. C'est bien en France que certains élus ont pu dire sans rougir : «Oui à l'accueil des réfugiés, mais non à l'accueil des musulmans !» Revendiquant ainsi un choix assumé, une liberté de conscience, une compassion à géométrie variable en fonction d'une certaine vision humaniste étriquée. Comme si la détresse des réfugiés syriens, irakiens, libyens…, majoritairement musulmans, était indexée à leur religion ! Fini, obsolète Arthur de Gobineau et son Essai sur l'inégalité des races (1853) : le racisme biologique a cédé le pas au racisme culturel. Et c'est au nom de la préservation de la culture et de l'identité qu'on stigmatique aujourd'hui impunément en France. On est passé de la «phobie» aux actes, de l'idéologie à la posture raciste : multiplication des insultes publiques proférées par des responsables politiques (le traditionnel «sale arabe» ou «bougnoul» est contourné), des agressions physiques de femmes voilées, des incendies de mosquées, des licenciements abusifs, des fichages d'élèves… Il y a bien longtemps que la ligne des représentations tronquées, fantasmées de la deuxième religion de France a été franchie dans notre pays. Il ne s'agit plus seulement de «malentendus» de préjugés, d'incompréhension, basés sur l'ignorance ou puisant leur source dans un passé médiéval ou colonial. Le spectre d'une nouvelle islamophobie institutionnelle, totalement décomplexée progresse en France, sur fond de régressions identitaires. Le dénoncer et le combattre, c'est l'affaire de tous. N'en déplaise à Houellebecq, Zemmour, Finkielkraut et leurs admirateurs, l'islamophobie est bel et bien une réalité ancrée en France, un racisme dirigé contre les musulmans. Nos politiques, attachés paraît-il à la République, ont le discours bien rôdé (avec tout de même parfois des ratés), mais n'ont plus de vision à long terme, ont perdu le sens du bien commun, de l'intérêt de la nation, creusent la division nationale depuis qu'ils ont oublié le sens du mot «cohésion nationale». Certains chantres d'un nationalisme mortifère ont trouvé la solution : les musulmans de France doivent montrer patte blanche et prouver leur attachement indéfectible aux valeurs républicaines. Les musulmans doivent être «plus républicains que républicains». Selon les thuriféraires de la haine, lorsqu'ils auront prouvé leur attachement aux valeurs de la France, alors seulement ils pourront épouser Marianne et prétendre à la «vraie» citoyenneté, «pas celle des papiers» ! C'est ainsi seulement que la France pourra régler tous ses problèmes, du terrorisme, du chômage, de l'insécurité et tous les autres maux qui la rongent. A quand l'octroi de certificats de «Bonne conduite citoyenne», avec pourquoi pas dans le cas des musulmans un système à points (à l'instar du permis de conduire) ? Dans un scénario futuriste «à la Goebbels», on pourrait peut-être aussi imaginer, après l'étoile jaune du juif, le croissant vert porté par le musulman… sous la Sixième République. Ces quelques millions de concitoyens de référence musulmane se sentant attaqués, offensés en ont ras la casquette de se voir perpétuellement classés dans la rubrique «obscurantistes, fanatiques, extrémistes et autres périls pour la République» ! Musulmans de France et de Navarre, réveillez-vous ! Le banquet de la haine est ouvert et vous en êtes le plat d'entrée avant d'autres qui pourraient suivre. Décidément, on n'a pas tiré les leçons de l'histoire. L'identité, la guerre des religions, la confrontation des civilisations… autant de «sujets» prompts à sonner le glas de la démocratie et des valeurs humanistes. Mais ce type de discours est avant tout symptomatique d'une république aux abois, qui ne tolère plus seulement, mais cautionne les déclarations stigmatisantes d'une certaine classe politique qui transcende le seul Front national. Les événements tragiques vécus par la nation en 2015 n'ont pas généré la fusion attendue, mais ont accéléré la scission de la société française grâce aux assassins et aux souffleurs de braise dans une alliance objective funeste. Aujourd'hui, les clivages politiques s'effacent devant l'ennemi commun, cet islam bouc émissaire coupable de tous les maux ! On l'aura compris, la mode politico-médiatique n'est pas à la conjuration des démons de la haine avec la banalisation d'une islamophobie décomplexée et publiquement assumée. Incontestablement, les musulmans de France ne sauraient être pris en otages par une poignée d'obscurantistes emmurés dans «leurs» lectures ultra rigoristes qui interrogent notre vivre-ensemble ou quelques assassins, adeptes d'un islam bricolé et souillé par leurs crimes. Pour autant, nos responsables politiques, comme nos médias, ne peuvent plus se complaire dans une stratégie globale du tout sécuritaire qui jette l'anathème sur l'ensemble de la communauté musulmane et la deuxième religion de l'Hexagone. Et c'est exactement ce qui est se passe sous nos yeux. La «bête humaine» a ceci de commun, indépendamment du temps et du lieu, qu'elle s'approprie la haine de l'autre, sous des registres divers et variés : xénophobie, racisme, antisémitisme, islamophobie… Le terrorisme questionne avec acuité notre capacité de résilience, le problème de l'intolérance ambiante, latente, voire banalisée à laquelle nous assistons depuis plusieurs années. La lutte légitime pour éradiquer ce fléau ne doit pas céder le pas à une nouvelle chasse aux sorcières dont les musulmans feraient les frais. Ces derniers au même titre que tous leurs concitoyens sont meurtris lorsque leur pays est touché par un drame national ; ils portent le deuil lorsque des centaines de leurs concitoyens sont touchés dans leur chair ; ils sont solidaires de la nation dans l'adversité ; ils ont conscience de cette appartenance à une grande communauté de destin. En même temps, ils sont heurtés lorsque médias et politiques nourrissent les amalgames et les préjugés. Ils sont «gavés» de répéter à qui veut l'entendre qu'ils ne sont pas comptables des crimes commis par de vulgaires terroristes. Ils ont beau crier : «Pas en mon nom !», la présomption de culpabilité a la dent dure. L'intolérance et la peur de «l'autre», en l'occurrence l'Homo-islamicus, constituent un cocktail Molotov pour notre vivre-ensemble. Comme toujours en période d'incertitude, la quête du bouc émissaire revient à la charge, portée par des cycles de régression de l'histoire. Nos démocraties ne sont pas immunisées contre de telles dérives. L'Amérique a connu sa chasse aux sorcières avec le Maccarthysme ; la Cinquième République sous Sarkozy et un peu plus sous Hollande voit la consolidation d'un phénomène similaire à l'endroit des musulmans, devenus ces «mal-aimés» de Marianne. L'anthropologue René Girard, disparu récemment, analyse les mécanismes menant à la fabrication du bouc émissaire dont le sacrifice est censé résoudre la violence sociale en la ritualisant pour apaiser ainsi les foules. Le bouc émissaire, choisi en fonction des conjonctures, est bien pratique, car il endosse, à titre individuel, une responsabilité ou une faute collective. Les temps et les personnes changent, mais les procédés sont les mêmes. Les juifs, les roms, les musulmans, les réfugiés… tout est bon pour faire diversion et fuir ses responsabilités. Nos responsables politiques sont aussi comptables devant l'histoire à l'aune de leur action ou inaction dans ce registre. Certains d'entre eux ont fait le choix du pyromane en attisant les flammes de la haine. Quand une ministre compare les musulmanes portant le voile aux «nègres qui étaient pour l'esclavage», c'est un verrou de plus qui a sauté dans le registre de la stigmatisation. Quand cette dernière est en charge du portefeuille des familles, de l'enfance et des droits des femmes, c'est la démocratie et la République qui sont pilonnées. Quand les dérapages contrôlés de cette ministre sont cautionnés par le chef du gouvernement, c'est un message exécrable envoyé à la communauté musulmane et cela ne présage rien de bon pour notre vivre- ensemble et notre cohésion. Les fausses notes du chant du rossignol accompagnent les valses islamophobes et risquent d'être rejointes par le croassement des corbeaux. Les musulmans sont devenus l'obsession d'une certaine classe politique, comme les juifs l'étaient au XIXe siècle et au début du XXe siècle. Le musulman aujourd'hui est devenu le souffre-douleur, le punshingball de responsables politiques, irresponsables pyromanes, en quête de reconnaissance. Taper sur les musulmans s'inscrit dorénavant dans une stratégie politicienne des plus indignes, pavant les plans de carrière et les ambitions personnelles qui ne s'embarrassent plus de scrupules ou d'éthique. Ainsi en va-t-il de Nadine Morano, multirécidiviste avec ses logorrhées haineuses à l'endroit des musulmans de France. On connaissait Donald Trump et ses vilaines sorties médiatiques aux USA… proposant la déportation des musulmans. On a désormais Morano et ses acolytes au pays des Marvels, dans le rôle du vilain bouffon vert aux grimaces menaçantes, dégoulinant de haine visqueuse… Après son apologie de la «race blanche», «l'invasion arabo-musulmane» et bien d'autres dérives contrôlées, cette député européenne a franchi la ligne rouge de l'abjection en soutenant la «déportation» de femmes voilées et en les assimilant aux nazis ! La prochaine étape sera-t-elle le croissant jaune ? Une élue LR, candidate à la fonction suprême en 2017 qui déverse sa haine d'une manière si décomplexée sur les plateaux radios et TV constitue une perversion et une insulte aux valeurs républicaines. On savait Morano pathétique même quand ses sorties médiatiques amusaient la galerie, on lui reconnaît aujourd'hui un côté pathologique empreint de dangerosité pour notre cohésion nationale et notre bon vivre-ensemble. La trouvaille du bouc émissaire de l'heure (le musulman) s'inscrit dans des petits calculs mesquins qui ne présagent rien de bon pour le pays, surtout dans le contexte sécuritaire actuel et à la veille d'échéances électorales majeures. «Les musulmans doivent se désolidariser du terrorisme» (comme s'ils ne condamnaient pas ce fléau, eux qui en sont souvent les premières victimes au sens propre comme au sens figuré) ! Et si nos politiques faisaient preuve de responsabilité en condamnant fermement les dérives périlleuses de leurs pairs ? Cela, à coup sûr, leur donnerait un peu plus de crédibilité et contribuerait à redorer le blason de la politique, synonyme trop souvent de magouilles, de mensonges, d'arrangements entre soi… forts éloignés de l'intérêt général. Morano, potentiellement grande lectrice du Prince de Machiavel, a-t-elle seulement parcouru le Petit Prince de Saint Exupéry qui lui laisserait quelques espoirs de rédemption, de réhabilitation humaniste, de renaissance intellectuelle ? On peut en douter tant son horizon semble se résumer à la confrontation, la stigmatisation et l'offense. Et si les éléments de langage soigneusement utilisés par Nadine et ses acolytes révélaient une psyché tourmentée qui appelle de ses vœux un univers tyrannique et morose, lui-même puisant ses sources dans des références «nazies» transposées au bouc émissaire conjoncturel du moment ? Madame Morano, comme d'autres, a opté pour la formule «musulmans = paillasson de la République». A quand la tolérance zéro pour les diatribes et l'incitation à la haine ? La justice doit être intransigeante, notamment à l'égard des responsables politiques censés incarner l'exemplarité ! Ils doivent être sanctionnés au nom du droit et de l'éthique. Poursuivre Nadine Morano et la déchoir de ses fonctions politiques devient dès lors une œuvre de salubrité publique. Mais il y a aujourd'hui en France des Nadine, Marine, Manuel et bien d'autres thuriféraires de la haine, souffleurs de braises, pyromanes de notre vivre-ensemble et notre cohésion. Les attaques contre les musulmans sont drapées des plus belles toges républicaines, de la défense de l'égalité homme-femme, en passant à celle de la laïcité ou encore la défense des «petits blancs» dans les banlieues victimes de vol de leur pain au chocolat en plein Ramadhan, de polémiques stériles et blessantes autour du burkini, d'appels aux musulmans de France à la «discrétion»… Ces subterfuges ne sauraient dissimuler l'essentiel, à savoir une lente, mais sûre dégénérescence de la critique de l'islam vers une stigmatisation des musulmans ou «apparentés musulmans». La responsabilité de certains médias et d'une certaine classe politique irresponsable est engagée. Les musulmans ne peuvent plus assumer le rôle de l'épouvantail qu'on leur assigne, de l'arbre qui cache la forêt des problèmes sociétaux d'une France de tradition accueillante, solidaire et humaniste. Les musulmans revendiquent une intégration, qui respecte leur intégrité, c'est-à-dire qui ne soit ni assimilation ni ghettoïsation. Leurs grands-parents, leurs parents, eux-mêmes, de par leurs sacrifices et leur patience, ont prouvé leur attachement aux valeurs républicaines et revendiquent le droit à être considérés avec respect et dignité. Ils savent qu'ils sont capables d'assumer la marche du temps, mais que la République ne «joue» pas le jeu, parfois les trahit en leur renvoyant en plein visage l'image d'un CDD, Citoyen durablement dénié. À quand l'adoption d'un pacte de responsabilité par nos dirigeants politiques ? Les musulmans ne sont pas responsables des dérives et crimes que d'autres commettent en invoquant l'islam. Ils sont excédés de répéter à qui veut l'entendre que Daesch, Boko Haram, les nébuleuses terroristes… ne sont pas représentatifs de cette religion de paix qui a fécondé une grande civilisation d'humanisme universel des rivages nord-africains de l'Atlantique aux frontières de la Chine, de l'Andalousie à Baghdad. Ils sont aujourd'hui une composante importante de l'identité française et européenne et la diversité fait partie d'un paysage sociologique, de facto, multiculturel. Ils déplorent de se voir qualifier de «franco-musulmans» par ceux-là mêmes qui ont érigé la laïcité en cheval de bataille. Qui aurait l'audace d'évoquer des «franco-catholiques», «franco-protestants», «franco-juifs»…? La France et l'Europe dans son ensemble doivent reconnaître tous leurs enfants, car tous, dans leur altérité et leur diversité, sont légitimes. Apporter des réponses politiques aux inquiétudes de tous nos concitoyens français et européens (emploi, insécurité, précarité…), promouvoir le vivre-ensemble, la citoyenneté, voire la fraternité qui fait tant défaut aujourd'hui, voilà les priorités auxquelles, dirigeants politiques, médias, responsables associatifs doivent s'atteler. La globalisation d'une haine décomplexée du musulman nous questionne sur la place de l'islam et son acceptation comme élément constitutif d'une société en pleine mutation, respectueuse des valeurs démocratiques. Il est urgent de renouer un vrai dialogue, risquer l'aventure de l'écoute, de la confiance et de l'échange rationnel en essayant d'alléger les souffrances des hommes, et de jeter les bases d'un vivre-ensemble harmonieux aux antipodes d'un vivre-à-côté, de l'indifférence et du mépris. Tel le Sisyphe de la mythologie grecque, nous sommes tous acculés à pousser perpétuellement le rocher du vivre-ensemble et de la fraternité alliés à la justice. A défaut, notre bateau France risque d'entamer un long voyage au bout de la nuit.