Ne craignant pas l'homonymie, elles portaient souvent les mêmes noms : Rex, Roxy, Colysée, Vogue… Pas une ville d'Algérie qui ne possédait sa ou ses petites salles de cinéma. A Alger seulement, on en comptait une bonne quarantaine, disseminées à travers toute la ville. Le Plazza, le Marignan, le Marivaux, le Camera, le Musset, le Mondial, le microscopique Midi-Minuit, l'Odéon où, au fond de la salle, on grillait des brochettes de viande et des merguez, si bien que la fumée du barbecue rendait terriblement crédibles les scènes de guerre ! Tant d'autres encore, délabrées, détruites, louées, vendues, revendues, détournées, accaparées, oubliées, qui formaient un chapelet de rêves dans les quartiers, un éxutoire coloré à la jeunesse. Elles ne craignaient pas plus la concurrence puissante des cinémas-monuments, tel le Majestic (aujourd'hui L'Atlas) qui fut longtemps une des salles les plus modernes au monde avec ses 4500 places, son toit ouvrant, ses loges et ses cages pour fauves, car on y avait prévu aussi des spectacles de cirque, ou l'Empire (auj. L'Afrique) avec ses 3200 places et les parfums de femmes qui s'y mêlaient car il fallait alors être sur son trente-et-un pour accéder au septième art, ou encore le Versailles (auj. Algeria), aux décors somptueux. Longtemps, ces « majors » furent réservées aux Européens avant que, parcimonieusement, quelques Algériens n'y accèdent. Mais ce fut surtout dans les petites salles que l'écran s'ouvrit à la multitude autochtone. Plusieurs salles aujourd'hui sont en rénovation, leurs publics se rongeant d'impatience en attendant leur réouverture. Le Sierra-Maestra, près du marché Ferhat Boussad, se voit enfin restitué aux citoyens dont certains se souviennent encore de sa rebaptisation en 1964 par Che Guevara himself, histoire de narguer Hollywood, puisque la salle se nommait ainsi. Mais, ce qui nous enthousiasme, c'est la deuxième vie du Rex d'El Biar que l'établissement Arts & Culture utilise depuis quelque temps comme salle de spectacles, avec une programmation soutenue qui a redonné vie au quartier. Les concerts et autres animations s'y succèdent avec une belle diversité, chaâbi, rock, andalou, raï, jazz, etc. attirant des publics de toutes obédiences musicales et culturelles. Et chaque manifestation connaît une affluence remarquable qui met du baume au cœur de tous ceux qui pensent que le pétrole est loin d'être notre gage d'avenir. C'est assurément une expérience à suivre car elle peut être riche d'enseignements pour la culture de proximité. Les grandes villes ont certes besoin d'infrastuctures culturelles importantes, mais notre conviction est qu'elles ne peuvent se passer de petites unités proches, conviviales et liées aux réseaux de voisinage. De ce point de vue, il faut améliorer et multiplier l'expérience du Rex d'El Biar, sans oublier le cinéma, art populaire par excellence, et en prenant en considération les nouvelles périphéries anxiogènes, qui n'ont bénéficié d'aucune infrastructure culturelle. Si l'ouverture d'un opéra géant, offert à Alger par la Chine, nous réjouit grandement, elle ne peut avoir de sens et d'impact qu'avec une myriade de Rex, de Roxy et Compagnie.