Du Maroc à l'Indonésie et de l'Allemagne à la Mauritanie, c'est un véritable melting-pot d'artistes qui s'y croisait joyeusement, échangeant critiques, conseils et numéros de téléphone ou immortalisant le moment en photos-souvenirs auprès de leurs nouveaux amis des quatre coins du monde. Résultat de la politique de restriction budgétaire, le Festival de la miniature et celui de la calligraphie et de l'enluminure ont été fusionnés cette année en un seul événement qui s'est déroulé du 22 au 27 septembre dernier à Alger. Les commissaires du festival, Mustapha Belkahla et Moussa Kechach, s'accordent à affirmer que cette fusion s'est déroulée sans accrocs. Certes, la liste des participants pour chaque discipline a été revue à la baisse, mais la sélection n'en a été que plus exigeante. La qualité et la variété des œuvres en témoignaient amplement. Plus de deux cents œuvres de 161 artistes issus de 23 pays étaient exposées au Palais de la culture représentant différents courants dans les trois disciplines. La calligraphie et l'enluminure étaient fortement présentes avec les styles d'écriture arabe les plus représentatifs tels que le naskhi, le thuluth, le djeli ou encore le nastaliq, caractéristique de l'Iran. On regrettera la présence timide du maghribi propre à l'Afrique du Nord. Développer ce style typiquement maghrébin, c'est le souhait formulé par M. Belkahla assurant que l'objectif de ce festival est de promouvoir le savoir-faire et les artistes algériens en la matière. Un hommage a d'ailleurs été rendu au grand calligraphe algérien Mohamed Cherifi. En outre, le festival fut l'occasion de saluer les jeunes calligraphes algériens qui arrachent de plus en plus de prix et de distinctions à l'échelle internationale. Abderrahim Moulay est un bel exemple de parcours de calligraphe. Initialement artisan dans sa ville de Bouira, le jeune homme a décidé de mettre toute son énergie et ses modestes moyens au service de cet art. Cherchant un maître pour l'initier aux secrets de la calligraphie arabe, il a suivi une formation de deux ans chez Mohamed Safar Bati, un des meilleurs calligraphes algériens. Il est ensuite parti en Turquie, grande école de cet art délicat, pour suivre une formation de quatre ans et obtenir enfin sa ijaza (diplôme attribué de maître à élève). Il est enfin parti en Syrie pour profiter des enseignements du grand artiste Ahmed Amine Chamta. Aujourd'hui, Abderrahim Moulay se spécialise dans l'écriture du Coran dans les styles naskhi et thuluth.
L a obtenu plusieurs prix dans le monde (notamment du centre Eriska en Turquie, présent durant le festival) et s'oriente actuellement vers l'enseignement en Algérie. Parmi ses projets, l'écriture du Coran en warch maghrébin ainsi que l'édition d'une méthode pour apprendre la calligraphie. «Notre art consiste à transmettre de belles paroles (issues du Coran ou de la sagesse humaine) dans une forme qui soit la plus attrayante possible. Les formes, techniques et couleurs sont autant d'outils pour faire parvenir, nous l'espérons, un message positif et avoir un impact bénéfique sur notre société», résume-t-il. L'encouragement des jeunes talents algériens passe également par un concours qui permet de déceler les meilleurs artistes en les mettant en concurrence avec leurs pairs du monde entier. Comme chaque année, les Algériens ont décroché de nombreux prix. Le premier prix dans la catégorie de la calligraphie a été remporté par l'Iranien Sibzeh Mejtebi, alors que le deuxième et troisième prix sont revenus respectivement aux Algériens Djamel Eddine Kara et Benbouabdallah Mohamed Belkacem pour leurs oeuvres dans les styles naskhi et tuluth. Le troisième Algérien Daoudi Abdelkader a remporté un prix d'encouragement. Dans la catégorie de la miniature, la jeune Selma Anfif a remporté le prix d'encouragement. Le premier prix est, quant à lui, revenu à l'Iranien Ishaq Rohallah, le deuxième à la Turque Aiché Ouissal pour son œuvre inspirée de l'histoire et de la culture de son pays et le troisième à l'Indien Mahendra Sing Sisodia. Ce dernier est intarissable sur cet art particulièrement présent et pratiqué dans sa région de Jaïpur (capitale de l'Etat indien du Rajasthan). La miniature indienne a connu un grand essor sous le règne moghol. «Cela remonte à cinq siècles mais sa pratique est toujours vivante, nous apprend le miniaturiste. On utilise toujours les mêmes couleurs, le même papier et les mêmes techniques. Cet art se transmet de maître à élève et j'en apprends toujours depuis l'âge de treize ans. Aujourd'hui, la miniature est mon art et mon gagne-pain, je vends mes œuvres et j'enseigne chez moi.» Les deux œuvres exposées de Sisodia représentent respectivement une scène de la vie quotidienne rurale autour du métier de ferronnier et une image de la cour du roi Jahangir, quatrième roi moghol (1569-1627) connu pour son intérêt pour les arts, dont la biographie nourrit de nombreuses légendes. «La miniature est un art de la patience. Une œuvre prend de deux à trois mois en moyenne», témoigne le miniaturiste indien. La Turquie n'est pas en reste en la matière : «Les arts traditionnels ont longtemps été marginalisés dans un processus d'occidentalisation du pays. Mais depuis une dizaine d'années, les écoles se multiplient et l'intérêt pour les arts traditionnels est grandissant. Il y a une renaissance de la miniature en Turquie», assure Öykü Terzioğlu Özer, qui affiche une certaine maîtrise de cet art malgré sa formation relativement récente. Il y a deux ans, cette trentenaire ankariote travaillait encore dans la traduction et l'édition. C'est par curiosité qu'elle s'est inscrite à un cours de miniature suivant une annonce affichée dans une mosquée voisine. Elle tombe rapidement amoureuse de cet art aux possibilités infinies et abandonne sa carrière pour se consacrer à la miniature. «Au bout d'une année d'enseignement intensif, j'ai commencé à dessiner des miniatures pour des revues, des illustrations et même des livres pour enfants. J'essaie de concilier le côté commercial et artistique», explique la jeune artiste. Formée dans un institut culturel islamique, Öykü affirme que l'enseignement de la miniature en Turquie est un mélange de transmission traditionnelle et de pédagogie moderne : «Il est nécessaire d'avoir un rapport spirituel au maître. Mon enseignante était comme une mère et comme une sœur. J'ai essayé de suivre des cours chez un autre maître, pourtant plus expérimenté, mais cela ne marchait pas. Le rapport entre maître et élève est crucial, comme il l'a toujours été dans la tradition. Mais l'enseignement est également moderne, car nous suivons des cours en classe et utilisons tous les outils modernes qui peuvent nous faciliter la tâche.» La formation est un des volets les plus importants de ce Festival de la miniature, de l'enluminure et de la calligraphie. Des ateliers ont été organisés quotidiennement à l'hôtel Soltane, à Hussein Dey, où étaient logés les participants. Des conférences ont également été données par des spécialistes de renommée internationale. Si le grand public n'a pas été largement informé de ces activités, chose que l'on ne peut que regretter, c'est aussi parce que le contenu des communications est plutôt technique et spécialisé. Les participants, algériens et étrangers, témoignent à l'unisson de l'intérêt de telles rencontres. L'enlumineuse marocaine, Nadia Abili, diplômée de l'Ecole supérieure des beaux-arts de Casablanca, déclare : «J'ai beaucoup appris des ateliers de ce festival auprès d'artistes iraniens, turcs, pakistanais, ouzbeks… Je repartirai au Maroc avec un bagage culturel riche et je compte bien l'investir dans mon pays.» Rappelons qu'il existe depuis six ans une Académie marocaine des arts traditionnels à Casablanca, près de la mosquée Hassan II, qui assure notamment des formations de calligraphie et d'enluminure. Toujours dans le volet formation, le festival a invité le Centre koweitien des arts islamiques afin de profiter de ses bonnes pratiques éprouvées sur le terrain. Situé depuis dix ans dans la Grande Mosquée de Koweït, ce centre œuvre à repérer et accompagner les jeunes talents jusqu'à ce qu'ils s'affirment et obtiennent des diplômes. Le centre noue également des partenariats avec les institutions intéressées par les arts islamiques. La bibliothèque du centre regroupe, en outre, informations, ouvrages ou thèses ayant trait à ce domaine. «Nous travaillons à rendre ces informations accessibles au plus grand nombre, notamment par l'usage des nouvelles technologies», affirme Farid El Ali, son président. Le centre dispense évidemment des cours de calligraphie et d'enluminure et organise un concours international annuel ainsi qu'un colloque bisannuel consacré, à chaque édition, à une des applications des arts islamiques. Interrogé sur la définition des arts islamiques, Farid El Ali nous répond : «En deux mots, les arts islamiques sont pour nous la calligraphie et l'enluminure. La calligraphie possède différents styles et l'enluminure peut être végétale ou géométrique. Les applications de ces deux disciplines peuvent être sur papier, sur bois, sur céramique ou encore dans l'architecture, et cela fait toute la richesse des arts islamiques.» Un des points forts du centre est son travail sur l'éveil et l'initiation à la calligraphie auprès des enfants. Il organise notamment, pour les élèves du cycle moyen, des ateliers et concours en collaboration avec le ministère de l'Education koweitien. «On a beaucoup travaillé sur la vulgarisation et les ouvrages de découverte destinés au jeune public. On s'oriente actuellement vers la publication d'ouvrages scientifiques de recherche sur les arts islamiques. Tous nos services sont évidemment gratuits puisque nous dépendons du ministère des Affaires religieuses et du Waqf», explique Farid El Ali. Le centre affiche un rayonnement international et une ambition de modernité. «Nous recevons des élèves de plusieurs pays et invitons régulièrement des spécialistes de différentes techniques allant de l'Ebru (ndlr technique de peinture sur l'eau développée en Turquie) au design et arts graphiques», ajoute le directeur. L'usage des nouvelles technologies est en effet le nouveau défi que doivent relever les artistes et spécialistes des arts islamiques. Comment rendre la richesse de la calligraphie arabe sur les supports numériques en alliant lisibilité et valeur esthétique ? Comment projeter l'univers de la miniature ou de l'enluminure dans le graphisme et l'art contemporain ? En somme, comment trouver sa place dans le monde. Une place qui ne devrait pas être négligeable, dont témoigne la large participation à ce festival qui mérite amplement le qualificatif d'international.