Ouyahia a mis pour la première fois les pieds dans le plat en reconnaissant publiquement à rebours que les élections municipales de 2002 au niveau de la Kabylie sont illégitimes. Et de rappeler avec une certaine dérision les taux de participation insignifiants enregistrés au niveau des Assemblées locales de la Kabylie. Cet aveu forcé du chef du gouvernement contraste avec les déclarations qu'Ouyahia faisait au lendemain du scrutin en tant que chef du RND avec une force de conviction que l'on croyait non feinte. Ne soutenait-il pas alors mordicus que le taux de participation n'était pas un critère au plan légal pour apprécier la légitimité ou non d'un vote ? Le ministre de l'Intérieur, M. Zerhouni, se faisait fort, lui aussi, de rappeler doctement avec un certain souci de la pédagogie électorale que la loi ne fixe pas de seuil minimum pour valider un scrutin. Ce qui est tout à fait juste. Ce qui l'est moins, en revanche, c'est cette aberration qui voudrait imposer des représentants à une population qui a majoritairement boudé les urnes ; une démarche foncièrement politique qui s'est traduite par un déficit de représentativité admis aujourd'hui par le Premier ministre en personne. Cette absence de représentativité ou de légitimité des Assemblées élues ou « indûment élues », c'est selon, a creusé un fossé profond entre la population et ses représentants ou supposés comme tels dans ces Assemblées. Les blocages auxquels se sont heurtées les APC et les APW de la Kabylie depuis leur installation proviennent pour une très grande partie des conditions particulières dans lesquelles ces Assemblées ont vu le jour en imposant le diktat de la minorité sans que personne dans les milieux officiels ne s'en offusquât à l'époque. Il faut reconnaître au Pouvoir algérien un sacré don de la persuasion politique avec cette capacité qu'il a de faire admettre à sa clientèle politique une chose et son contraire sans que personne ne crie au scandale. C'est le cas pour ce feuilleton de mauvais goût que furent les élections locales en Kabylie. Lorsque les représentants des archs avaient soulevé en leur temps le problème de la légitimité ou de la représentativité de ces Assemblées élues avec une majorité issue de la minorité en termes du taux de participation, la réaction du Pouvoir fut de jeter les délégués en prison. Aujourd'hui, on leur rend justice en reprenant, ironie de l'histoire, les mêmes arguments que les archs, c'est-à-dire la non-représentativité de ces Assemblées, pour conclure à la caducité de ces instances. Un vide juridique Pour sauver au moins les apparences, les pouvoirs publics auraient bien pu faire preuve d'un peu d'imagination en se ménageant une autre porte de sortie qui leur permet de ne pas apparaître comme un Etat qui viole sans vergogne ses propres lois. Car, faut-il le rappeler, les élections locales y compris en Kabylie n'ont-elles pas été validées par le Conseil constitutionnel ? Dans sa quête éperdue pour trouver une solution à ce casse-tête des « indus élus », l'Etat n'hésite pas à tordre le cou aux lois et à la Constitution du pays. A ce stade des événements, l'Exécutif n'a aucun droit constitutionnel de remettre en cause les résultats du scrutin quelle que soit l'appréciation que l'on puisse avoir sur ces élections à un niveau ou à un autre. Le fait est en effet gravissime au plan de l'éthique politique et du droit que l'Exécutif en vienne à découvrir trois ans plus tard que des élections, dont il a cautionné les résultats, ne sont pas légitimes ou représentatives. Les conséquences politiques d'une telle remise en cause institutionnelle et constitutionnelle sur la crédibilité de l'Etat sont tout simplement incalculables. Ces Assemblées élues auxquelles l'Etat dénie aujourd'hui toute représentativité et légitimité ont délibéré et engagé leurs responsabilités et celles de l'Etat dans leurs actes quotidiens de gestion durant ces trois années de leur mandat. Leurs décisions seront-elles frappées de nullité ? Difficile à croire et à faire. Et de plus, il est connu que la loi n'a pas un effet rétroactif même lorsqu'il s'agit de réparer une injustice comme c'est le cas du dossier des « indus élus » qui rallie désormais même l'Exécutif. L'Etat aurait gagné pour préserver sa crédibilité à traiter politiquement ce dossier et non d'un point de vue du droit qui implique une remise en cause de tout l'ordre institutionnel mis en place depuis la tenue de ces élections. En effet, si l'on se situe dans cette logique même, le Sénat doit lui aussi partir, car une partie des sénateurs a été élue par le collège des élus. Cela suppose donc que ces sénateurs ont été également élus par des voix d'indus élus. Il est plus facile pour Ouyahia, qui agit dans la gestion du dossier des archs au nom de l'Etat et du chef de l'Etat, de convaincre un élu du RND, du FLN et du MSP qu'il a été mal élu même si les directions politiques de ces deux derniers partis font durer le suspense pour des raisons tactiques qu'un élu FFS ou celui du PT qui n'obéissent pas à la même logique de parti.