D'habitude calme et réservé, Salim affirme qu'il n'en peut plus, car «le vase a complètement débordé». Durant 48 ans de carrière, ce maître reconnu et incontesté du malouf en Algérie et à l'étranger, digne fils et héritier du grand maître El Hadj Mohamed-Tahar Fergani, n'a jamais connu une sale période d'ingratitude et de mépris envers les artistes que celle qu'il est en train de vivre actuellement dans sa ville natale. Salim, qui en a gros sur le cœur, a tenu à s'exprimer sur les colonnes d'El Watan pour vider un sac plein de déceptions, de dépit et d'exaspération. Il n'y est pas allé par trente-six chemins pour dénoncer «des institutions culturelles qui ne font pas leur travail». Il parle avec franchise pour fustiger la mainmise sur l'activité culturelle en Algérie et à Constantine de l'ONCI de Lakhdar Bentorki, devenu, dit-il, une machine à broyer les hommes de culture sincères, sérieux et refusant toutes sortes de manipulation. «Nous sommes complètement marginalisés dans notre propre pays, cela me fait de la peine de le dire, surtout que des artistes étrangers qui sont très gâtés chez nous y viennent pour bénéficier de tous les égards et se voir payer à la devise forte, avant qu'ils ne rentrent chez eux pour nous dénigrer, c'est devenu insupportable», regrette-t-il. Salim Fergani revient longuement sur la situation «déplorable», de la culture à Constantine, sans ménager l'ONCI, qui s'est installé au Vieux Rocher, où il s'est vu accorder un «cadeau» inespéré, en se voyant confier la gestion de la salle Ahmed Bey, plus connue sous le nom de Zénith, et où il fait la pluie et le beau temps, depuis la manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe 2015», au détriment des artistes et des associations locales. «Je ne suis pas d'accord que l'ONCI gère le Zénith, cet ONCI fait du n'importe quoi, il ne fait qu'encourager la médiocrité sur notre dos, alors que nous les vrais artistes de la ville qui détenons un patrimoine important, nous ne sommes jamais sollicités», révèle Salim qui a eu le courage de dire haut ce que de nombreux Constantinois jaloux de leur patrimoine et de leur culture pensent tout bas. Depuis, les choses se sont gâtées pour les artistes de la ville. Nombreux parmi eux ont été carrément mis aux oubliettes, d'autres sont invités comme figurants lors de certaines manifestations organisées à la hussarde, comme ce fut le cas lors de la semaine de Constantine en mars 2016, et aussi pour la cérémonie de clôture de l'année «Constantine capitale de la culture arabe ». Des artistes mis au placard «Je suis navré de le dire, mais cette année de la culture arabe a été un vide pour nous. Comment se fait-il que les artistes Constantinois aient été mis au placard, nous avons travaillé moins que durant les années écoulées où nous étions mieux considérés, moi personnellement je n'ai animé que deux soirées durant le Ramadhan, puis plus rien», poursuit-il. Et de s'interroger : «De quoi les artistes de Constantine ont-ils bénéficié de cette manifestation ? Et puis moi je refuse que l'ONCI m'appelle trois jours avant pour y participer, moi je ne monte pas sur scène pour faire un couplet et partir, c'est du mépris pour l'artiste», déplore-t-il. Salim Fergani évoque surtout ce travail titanesque qu'il a accompli récemment en réalisant une magistrale anthologie de la musique andalouse, la seconde du genre après celle produite par le regretté maïtre Ahmed Serri à Alger. «J'ai enregistré l'anthologie de la musique andalouse en 40 CD, englobant 12 noubas et des chansons du répertoire haouzi, zedjel et madih, à l'initiative du ministère de la Culture, avec la précieuse collaboration d'Ahmed Benkelfat, mais après tout ces efforts, il n'y a pas eu de contrepartie, car personne ne sait qu'un tel travail a été accompli. Il n'a pas été mis en valeur, malgré toutes les promesses du ministère de la Culture», se désole-t-il. En ces temps de vaches maigres et de mesures d'austérité, l'avenir de la culture paraît incertain pour le maître du malouf à Constantine. «Réduire le budget de la culture touchera au plus profond les artistes, nous les connaissons parce qu'ils ont travaillé avec nous, ils souffrent en silence. Qu'est-ce qui va nous rester si on nous enlève le malouf à Constantine ? Rien. Alors que nous avons œuvré durant des générations pour le préserver et le diffuser à travers le monde, nous avons toujours fait de la culture et pas de l'animation culturelle», lance-t-il. «C'est un appel pressant et urgent que j'adresse au président de la République que j'estime beaucoup, car il nous a toujours estimés et reconnu notre valeur, mais je suis sûr qu'il n'est pas au courant de ce marasme qui frappe la culture à Constantine, et la gestion catastrophique de la chose culturelle dans cette ville par des gens qui lui sont étrangers, ainsi que le sort qui nous a été réservé. Nous avons été marginalisés parce que nous avons servi la culture algérienne», clame Salim Fergani. Voilà un SOS qui tranche nettement avec le «tout s'est bien passé» des promoteurs de Constantine 2015…