« Les hommes passent la moitié de leur temps à se forger des chaînes et l'autre moitié à les porter. » Octave Mirbeau téléphone et à la question « portrait ? », il répond : « Oui, mais de quoi vais-je parler, en tout cas pas de ma petite personne. » Son prénom ne vous évoquera probablement rien. Son nom si, même s'il est moins connu que son frère cadet Ali, sociologue célèbre qui dispense ses cours dans les universités françaises et Youcef, ancien entraîneur national de football à la fin des années soixante. Lui, c'est Hocine, résistant face à l'oppresseur français, poète à ses heures. Arrêté à 22 ans à Metz C'est simple, ça lui collait à la peau tant et si bien que lorsqu'il a été arrêté en 1956 en Lorraine, que pensez-vous que les policiers découvrirent en sa possession ? Des armes ? Non. Une forte somme d'argent, fruit de la collecte au profit du fln et... des poèmes écrits par lui. Dans son édition du 9 mai 1956 L'Est républicain écrivait :« Avec l'arrestation d'un Nord-Africain, du nom de Hocine El Kenz, qui déambulait dans les rues de Metz depuis quatre jours, la police messine a réussi un véritable coup de maître en mettant fin à l'activité d'un élément de choix dans les milieux du fln. Il fut trouvé porteur d'une somme de 400 000 franccs, ainsi que de divers documents fort intéressants sur l'organisation du fln. » il n'en fallait pas plus pour que cet homme, qui semblait être sans aucun doute un collecteur de fonds, subisse un interrogatoire plus approfondi. Outre les collectes dont il était chargé, son rôle consistait en la mise en place de tracts et à faire la liaison entre les différentes sections. Titulaire du baccalauréat, ce responsable fln est sans conteste un personnage assez curieux dans son genre car sur les bancs des gares, où il couchait afin d'éviter les hôtels, il écrivait des poèmes dont les quelques exemplaires saisis par les policiers sont d'une qualité indéniable. Il est certain que les missions que remplissait El Kenz étaient bien précises et même dangereuses sur le moral des Nord-Africains qu'il contactait et qui, jusqu'à présent, se refusaient à suivre les directives des mouvements rebelles. Les policiers procédèrent à deux autres arrestations, celle de Djerrah Moussa, cafetier à la rue Boucherie Saint Georges, à Metz, chez lequel El Kenz avait laissé ses affaires et celle de Kendoudi Belkacem, également domicilié à la même rue. Au cours d'une double perquisition, on retrouva chez eux divers documents établissant leur qualité de militants locaux importants, des brochures, carnets à souche destinés aux cotisations, etc. Tous trois ont été présentés au parquet et écroués sous l'inculpation d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat. Apprécions l'un de ses poèmes : Et l'Algérie trembla d'un tremblement soudain qui ébranla le monde de certains En vérité je suis né le Premier Novembre 1954 année pour beaucoup sombre Avant cette date d'origine je n'étais qu'un fœtus Dans un ventre en gésine Et en crises intestines Le Khames que j'étais Il ne l'est plus Vêtu d'une autre tenue Il abandonne les moissons d'été Il abandonne jusqu'à la faucille Pour prendre un autre outil Qu'on appelle fusil Mes mots sont peut-être simplets C'est un choix délibéré La cruauté m'a libéré De la phraséologie et ses couplets L'imper, sombre, contraste avec ses cheveux blancs négligés. En évoquant sa saga familiale, il est traversé par l'émotion, mais aucun signe extérieur ne trahit une quelconque perturbation. Hocine pourra vous parler indéfiniment de Skikda, de son quartier. Le Faubourg de l'Espérance où il est né le 11 juillet 1934. Il a fait l'école indigène avec, comme directeur un homme généreux et d'une grande probité, qui s'appelait Djadoun. « Une main de fer dans un gant de velours. » Hocine fera le secondaire au lycée Luciani. Il était l'un des rares algériens avec les Harbi à fréquenter cet établissement qui avait accueilli Belahouane, Ferhat Abbas, Lamine Khène, etc. Pour avoir appelé à la libération de Messali Hadj, Hocine est sanctionné. Son bilinguisme parfait, il le tient de sa fréquentation des medersas libres dirigées par Ali Kafi, « où l'enseignement de l'arabe se faisait d'une manière stricte et rigoureuse ». Hocine se revendique comme activiste à la base, et agitateur dans la cellule des lycéens en compagnie de ses amis Khalis Lamrani, mort aux côtés de Ben Boulaïd, Kouicem Abdelhak devenu chef de la zone 4, décédé trois jours avant le cessez-le-feu. « J'étais aussi un grand sportif, boxeur dans un club européen le Racing Club Philipevillois et puis dans un club sous autorité du mtld, le WAp, dont j'étais le secrétaire général à l'âge de 16 ans. Ce club a été créé pour contrecarrer les desseins de l'Union des jeunesses de l'udma et de l'ujda. Kateb Yacine était à Skikda et c'est lui qui m'a fait adhérer au parti. » Hocine reconnaît n'avoir pas eu une carrière florissante dans le noble art, se contentant d'avoir atteint le challenge Bastos. « En vérité, mon activité dépassait le cadre du ring. J'étais dans un groupe de choc chargé de ‘‘corriger'' avec rudesse les montagnards qui venaient voter pour le deuxième collège non nationaliste. » Issu de la grande tribu des Beni Oulbane, basée non loin de Skikda, Hocine s'imprégnera des vertus léguées par ses aïeux : courage et bravoure et une sorte de stoïcisme face à l'adversité et aux vicissitudes de la vie. Militant et boxeur « Les conditions de l'époque étaient déplorables et calamiteuses. Ce qui l'était davantage, ce sont les inégalités criantes entre, d'une part, une population minoritaire prospère et, d'autre part, une majorité laissée pour compte. Le parti était censé mettre fin à cette situation. Mais la crise qui le secoua nous a tous démoralisés. Moi, j'ai été pris en charge par une cellule du crUa constituée, notamment, des chahids boxeurs Namous Mohamed et Salah Laoudia, ainsi que de Ali Abdenour, un gars de Béjaïa mort aux côtés de Didouche Mourad. » Il faut dire que quelques mois plut tôt, à la fin de 1953, Hocine était appelé sous les drapeaux où il servait chez les parachutistes. Il est mobilisé à Blida. Il déserte grâce à l'aide « d'un sergent-chef algérien dont je soupçonnais ses sympathies pour le soulèvement. Je rentre à Skikda où il n'y avait rien du tout. L'armée avait complètement verrouillé la ville. Comme je ne pouvais rien faire, j'ai pris le bateau pour Marseille où je fus pris en charge par le chef de la wilaya Lyon Sud, Gharbi Chaâbane, dit Cheikh. Il m'a emmené à Lyon et m'a mis en contact direct avec Guerras Abderahmane et Boudiaf Moussa, lesquels m'envoyèrent à Paris pour prendre attache en tant que régional avec Mohamed Mechati, mon responsable direct avec le regretté Abdelkrim Souici. Et là, je fus chargé de m'occuper de la région Est de la France. Je me considérais comme résistant, militant d'un parti. Ma mission consistait à structurer toute la région de la Moselle. Malheureusement, je fus arrêté très tôt, le 2 mai 1956, et libéré le 15 avril 1962. J'étais une graine inemployée. Cette graine a quand même éclos dans les camps et les prisons où beaucoup de choses ont été faites ». De prison en prison Hocine fera la prison militaire du Cambo de Metz, Fresnes, Reims, Les Baumettes puis le camp de Vadenay à Mourmelont, transféré en Algérie au camps des Salines à Annaba. Hocine revient sur ces « graines », en tentant d'en expliquer les contours : « Par là, j'entends l'ensemble des détenus qui, malgré leur engagement, n'ont pu prendre les armes et qui semblent, dans le contexte de l'écriture de l'histoire, être marginalisés, alors qu'ils ont constitué, là où ils se sont trouvés, de véritables bases de combat face à la guerre des services psychologiques dans des activités clandestines, notamment dans le cadre de l'enseignement, et qui firent d'eux, dès la proclamation de l'Indépendance, les premiers cadres de l'administration algérienne. Je tiens à réitérer ce que j'ai toujours déclaré : dans le cadre de l'écriture de l'histoire, il faut que les chercheurs évitent de tomber dans la mythification, le mysticisme et la mystification. Cela crée trop de problèmes et détourne le cours de l'histoire. On ne doit pas se fixer sur x ou y au détriment du sens de la révolution qui est populaire et appartient en conséquence à tout le peuple. » Hocine, avec des compagnons de lutte, a créé dès 1962 l'union générale des anciens détenus pour faits de résistance, le mouvement national de la jeunesse. Il a exercé à Skikda en tant que secrétaire administratif de la daïra, puis attaché de préfecture à Constantine et chargé de mission au cabinet du ministère des Affaires sociales. Il a été Directeur des affaires sociales du même ministère et cadre supérieur dans plusieurs entreprises publiques jusqu'à sa retraite en 1987. Dans les années 1980, Hocine a renoué avec ses premières amours, la boxe, en faisant partie du staff dirigeant de la fédération. L'ancien pugiliste qu'il était regrette la régression ‘‘féconde'' du « noble art qui n'est plus ce qu'il était, mais je crois que la crise profonde est universelle et que le sport d'une manière générale est sous l'emprise de l'argent. C'est devenu un business et les valeurs qui faisaient sa grandeur se sont piteusement estompées. Même les mentalités ont changé ». Hocine a des mots assez durs envers l'Algérie actuelle dans laquelle il a de la peine à se reconnaître. « Je ne me considère pas chez moi parce que nous avons été expropriés. La Révolution a été confisquée par un groupe qui se l'est appropriée. Je ne considère pas cette génération comme étant la mienne. Ma génération acceptait la mort pour libérer le pays du colonialisme et non pour retourner chez l'ancien occupant à la moindre occasion. » [email protected] Parcours : Enfant de Skikda, Hocine El Kenz y est né le 11 juillet 1934. Il a poussé ses études jusqu'au secondaire et maîtrise aussi bien l'arabe que le français. Poète à ses heures, Hocine était déjà un révolté au sein du lycée où son sentiment nationaliste s'affirma. Il milita au sein du ppa/mtld, puis partit en France en activant au sein du fln dans la région Est de l'Hexagone. Il est arrêté en mai 1956 et incarcéré jusqu'au recouvrement de l'indépendance. En 1962, il occupa diverses fonctions au sein de l'administration algérienne, avant de prendre sa retraite en 1987. Ancien boxeur, Hocine renoua avec cette discipline en qualité de membre fédéral. Outre Youcef et Ali, Hocine compte d'autres frères, Haoues, membre de l'aln et sociologue, Saâd chargé d'études et Hsouni (décédé). Hocine est marié et père d'un enfant.