Il y a quelques jours, le président américain Donald Trump a annoncé sur Twitter le retrait des troupes américaines présentes dans le nord-est de la Syrie, avançant que le groupe Etat islamique est en grande partie «vaincu». quelques heures après, la décision a été signée et confirmée. Trump a-t-il raison ? L'EI est-il vaincu ? Quel sera le sort des Kurdes ? Le professeur en sciences politiques et relations internationales, le Dr Sofiane Sekhri, nous livre son analyse. Une promesse électorale respectée Sur le plan politique, le Dr Sekhri assure que la décision du retrait des troupes Américaines de Syrie n'est que la concrétisation de l'une des promesses électorales de Trump qui s'inscrit dans sa logique de «America First». Autrement dit, retirer les troupes américaines des zones de conflit et éviter toute protection au Moyen-Orient sans rémunération. Dans ce contexte, il convient de souligner que l'administration américaine a dépensé environ 70 milliards de dollars pour mener sa mission militaire en Syrie. «Le problème majeur avec la décision de retrait est un problème sécuritaire et géostratégique car les objectifs de la présence américaine en Syrie n'ont pas été totalement achevés, et contrairement aux déclarations du président Trump, certains éléments des forces de Daech sont toujours actifs en Syrie et en Irak et la pénétration iranienne est toujours forte dans la région», souligne le Dr Sofiane Sekhri. Et d'ajouter : «D'autre part, la confusion des alliés de Trump en Syrie suite à l'annonce du retrait et la démission du Secrétaire américain à la Défense, James Mattis, et celle de l'émissaire des Etats-Unis pour la coalition internationale antidjihadiste, Brett McGurk, démontre que la décision de Trump n'a pas été précédée d'une large coordination et concertation avec ses partenaires militaires à l'étranger et ses associés dans le dossier à la Maison-Blanche.» Daech vaincu ? On n'en est pas sûr ! Concernant les déclarations de Donald Trump indiquant que les groupes djihadistes de Daech sont «en grande partie vaincus», le Dr Sofiane Sekhri explique que la stratégie de la coalition internationale pour combattre Daech en Syrie est basée sur la reprise des territoires occupés par l'Etat islamique et la préservation des zones libérées. «Sans aucun doute, les forces de la coalition ont remporté de grands succès sur le terrain, mais cela ne suffit pas car Daech a été largement affaibli mais n'est pas complètement vaincu», avance-t-il. Par ailleurs, l'expert souligne que le retrait de 2000 militaires américains de Syrie pourrait créer un vide qui aiderait le redéploiement des troupes de Daech dans le nord-est de la Syrie. «C'est pourquoi le calendrier de retrait n'est pas encore fixé, afin que les forces de la coalition ne perdent pas leur avancée dans la région». L'Amérique toujours aussi intéressée par le Moyen-Orient… Ce qui est sûr, selon le Dr Sekhri, c'est qu'il est faux de croire certaines thèses qui parlent du déclin de l'intérêt américain pour le Moyen-Orient qui est toujours considéré comme une zone vitale dans la stratégie américaine pour plusieurs raisons, entre autres sa situation géostratégique, son importance énergétique et son statut symbolique de berceau des religions célestes qui en font le centre des conflits de civilisations ou de religions qui se produiront à l'avenir. «Au Moyen-Orient, l'administration américaine fait face à des rivaux, notamment la Russie et la Chine. D'autre part, la stratégie américaine considère certains pays comme des pays amis, à l'instar d'Israël, qui bénéficie d'un soutien absolu et inconditionnel de la part des Etats-Unis. Pour l'administration Trump, le plus grand ennemi qui menace la stabilité du Moyen-Orient est l'Iran et ses alliés dans la région, comme le Hezbollah», explique-t-il. Dans la même optique, avance l'expert, les Etats-Unis considèrent «certains Etats du Moyen-Orient comme des Etats pivots, à l'exemple de la Turquie et l'Egypte, ou des équilibreurs offshores (Offshore Balancers), comme l'Arabie Saoudite et la Turquie aussi. Ces Etats peuvent se livrer à des guerres par procuration, comme le fait l'Arabie Saoudite au Yémen». Premier bénéficiaire de ce retrait : le régime de Bachar al Assad La Syrie est transformée depuis des années en une arène où s'affrontent des forces locales, régionales et internationales. Pour cela, le Dr Sekhri affirme que le premier bénéficiaire du retrait américain est le régime de Bachar Al Assad, soutenu par la Russie, «car il renforcera sa zone d'influence en Syrie et son pouvoir politique, tout en promouvant des solutions politiques plutôt que militaires», explique-t-il. D'autre part, il est fort probable que la Syrie réintègre la Ligue arabe et que les relations diplomatiques entre le régime de Bachar Al Assad et la communauté internationale se normalisent. Pour cette raison, le président Poutine a salué la décision de Trump et l'a qualifiée de correcte, estimant que la présence des forces américaines en Syrie n'était ni légitime ni légale, car ni le gouvernement syrien ni le Conseil de sécurité de l'ONU n'avaient demandé l'intervention militaire des Etats-Unis. La France et la Turquie pas prêts à se retirer «Les alliés des Etats-Unis en Syrie, tels que la France, la Grande-Bretagne et le Canada n'étaient pas enthousiastes suite à la décision du retrait des troupes américaines de Syrie, parce que le vide stratégique créé par ce retrait pourrait rendre ces pays en position de vulnérabilité», assure M. Sekhri. Les nombreuses déclarations officielles françaises ont confirmé que la France ne quittera pas la Syrie avant l'éradication totale de Daech dans la région. Par contre, la Turquie est le principal bénéficiaire du départ des Etats-Unis. «Après avoir renforcé son rapprochement avec l'administration américaine en concluant d'importants contrats militaires avec Washington, le président turc Tayyip Erdogan a réussi à convaincre le président Trump de retirer ses troupes de Syrie, ce qui entrîne implicitement la fin de la protection américaine des Kurdes en Syrie et un feu vert, ou du moins un feu orange, donné à Ankara pour lancer des frappes militaires contre les Kurdes au nord-est de la Syrie, bien que l'administration Trump essaie d'écarter un tel scénario», analyse-t-il. Coup dur pour les Kurdes Pour l'expert, dans toute cette affaire, les Kurdes de Syrie ont été les dindons de la farce. Les forces de la coalition ont réussi à affaiblir considérablement Daech en Syrie grâce aux Forces démocratiques syriennes, composées principalement de milices kurdes. «Les Etats-Unis fournissaient les armes, la formation et le soutien logistique aux Forces démocratiques syriennes pour combattre Daech et l'armée gouvernementale syrienne et, en retour, le rêve des forces kurdes était l'autonomie de leur région fédérale». En conséquence, la décision de retirer les forces américaines de Syrie a laissé les milices kurdes entre deux feux : les représailles du régime syrien ou d'éventuelles frappes turques. Le Dr Sofiane Sekhri souligne : «Cela reflète l'histoire des Kurdes, qui sont souvent utilisés par des forces extérieures pendant les guerres, puis poignardés dans le dos. Cela reflète également la nature de la politique étrangère des Etats-Unis, qui n'ont pas d'amis ni d'ennemis permanents au Moyen-Orient, à l'exception de leur fidèle allié, Israël», ajoute-il. Et de poursuivre : «C'est pourquoi l'opinion publique aux Etats-Unis et de nombreux politiciens américains ont considéré la décision de Trump de se retirer de Syrie comme immorale en raison des engagements des USA envers les Kurdes en Syrie. Ainsi, les Kurdes de Syrie ont deux solutions : rester en Syrie dans le cadre d'un accord politique avec le régime de Bachar Al Assad, ou s'enfuir vers le Kurdistan irakien voisin en cas d'attaques de la Turquie». Que conclure ? En conclusion, il convient de noter que l'intérêt actuel des Etats-Unis et d'Israël se concentre sur l'Iran plutôt que sur la Syrie car, selon l'administration Trump, le pays de Hassan Rohani a un projet de pénétration économique, religieuse et idéologique au Moyen-Orient qui menace la sécurité d'Israël et les intérêts des Etats-Unis. La décision de retirer les troupes américaines de Syrie coïncide avec une autre décision du président Trump de retirer 7000 soldats américains d'Afghanistan et une grande volonté des Etats-Unis de renforcer leurs bases militaires en Irak, sans négliger les fortes déclarations du Premier ministre Israélien, Benjamin Netanyahu, contre l'Iran et ses alliés dans la région. Alors, il est probable que ces données signifient que les USA et Israël se préparent à une guerre contre l'Iran et ses alliés dans la région.