Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, Marcel Jurien de la Gravière rappelle que des informations sont échangées, des réunions régulières sont tenues pour répondre à la demande algérienne de connaissance de l'état des lieux et de la situation radiologique des sites d'essai. L'inventaire est en cours. Les travaux du groupe franco-algérien, constitué après la visite d'Etat du président Sarkozy en Algérie en décembre 2007, sont, à la demande de l'Algérie, confidentiels, ajoute-t-il. Le ministre des Moudjahidine a réclamé hier (lundi, ndlr) la levée du secret-défense, l'ouverture des archives sur les essais nucléaires français au Sahara. Qu'en pensez-vous ? J'ai lu cela dans la presse algérienne de ce matin (mardi, ndlr) à propos du 2e colloque d'Alger. Il y a un groupe franco-algérien dont les travaux, à la demande de la partie algérienne, sont pour le moment confidentiels. S'il y a une demande de levée du secret-défense, n'est-ce pas que les Algériens n'en sont pas à réclamer la confidentialité ? Il m'apparaît qu'il y a deux démarches parallèles. Suite à la visite d'Etat du président Sarkozy en Algérie, en décembre 2007, une démarche officielle par laquelle des informations sont échangées, des réunions régulières sont tenues pour répondre à la demande algérienne de connaissance de l'état des lieux et de la connaissance de la situation radiologique des sites d'essai. A la demande de l'Algérie, et la France est d'accord, ces travaux sont dits confidentiels, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne seront jamais rendus publics. Mais ils avancent. Il y a une autre voie du type du premier colloque d'Alger de février 2007 et du deuxième colloque d'Alger de février 2010 dans lesquels des Algériens, des associations françaises, des mouvements comme l'Observatoire de l'armement se réunissent et réclament un certain nombre de choses. Moi je ne peux pas travailler avec cette partie, qui n'est pas celle dans laquelle le président de la République a défini son orientation politique. Je constate qu'il y a deux voies différentes, une qui est très médiatisée et une autre qui est beaucoup plus confidentielle et qui travaille au fond, qui nous amène à revisiter des archives qui sont déclassifiées. Il y a des archives qui ne le sont pas. La loi française veut que ces archives ne soient pas déclassifiées. Comment les Algériens pourraient-ils nettoyer les lieux où ont eu lieu les essais français s'ils ne peuvent pas localiser les sites contaminés avec précision ? Avec les Algériens, dans le groupe de travail, nous sommes en train d'établir un état des lieux aussi complet que possible. Un plan de mesure pour avoir la vision radiologique de l'état des différents sites en toute connaissance est également prévu. quand tout cela aura abouti, avec les délais qui conviennent pour le mettre en œuvre, il sera fait un certain nombre de recommandations par rapport aux bonnes pratiques nucléaires d'aujourd'hui et pas celles de 1960, pour décontaminer les sites qui doivent l'être, fermer les zones s'il y a lieu ou s'il faut simplement veiller à ce qu'il n'y ait pas de travaux d'infrastructures et d'implantation. Il y aura probablement tous les scenarii suivant les zones. Ce travail-là se fait conformément à ce qu'ont convenu les présidents Bouteflika et Sarkozy en 2007. Ce qui se dit ou s'exprime à côté, dans les colloques et autres, n'entre pas pour le moment dans cette approche-là. De quoi les deux chefs d'état ont-ils convenu ? Ils ont convenu que la France s'engageait à répondre aux interrogations sur l'état des lieux, les enfouissements, la cartographie, les différents lieux géographiques où ont eu lieu ces essais, ce qu'on y a fait, quelles sont les structures qui ont pu être construites pour ces essais, qu'est-ce qu'on a déconstruit, qu'est-ce qu'on a fait des déconstructions… Où en est-on ? L'inventaire est en cours. Un plan d'analyse va être préparé et d'ici l'été on arrivera à une convergence sur ce qu'il conviendra de faire et à partir de là, il faudra une campagne de mesure qu'il conviendra de planifier. L'objectif étant que fin 2010 ou début 2011, il y aura un véritable état des lieux associé à des mesures de radioactivité exhaustives. A quand remonte la dernière réunion de travail ? Il y en a eu une en octobre 2009 à Alger, une autre est planifiée dans les temps qui viennent assez proches. A Paris ? Peut-être. Quelle est la composition de ce groupe ? Des experts ? C'est plus diversifié que cela. Il y a les deux ministères des Affaires étrangères, un certain nombre d'experts français et algériens. La composition n'a pas été rendue publique à ce jour, mais le travail se fait en bonne intelligence même s'il y a des débats, des questionnements ou des critiques, jamais le dialogue n'a été rompu. Le rapport qui a été médiatisé ces derniers jours donne quelques indications de ce qu'ont été les essais au Sahara... La France a une position légale qui a été réaffirmée dans une loi sur les archives relatives aux essais nucléaires. La loi stipule que ces archives ne sont pas déclassifiables. L'interprétation qui a été faite de ce document ne correspond pas aux faits. On évacue très rapidement certaines données, en particulier sur la dosimétrie des personnes. On dit qu'on a exposé des gens. C'est une réalité... C'est une interprétation tendancieuse, qu'on connaît bien, d'ailleurs. On crée des angoisses, des peurs... Pourquoi ce silence, ces mensonges et ces non-dits des autorités françaises pendant cinquante ans ? Pourquoi ce manque de transparence ? S'il y a un sujet sur lequel je suis d'accord c'est bien sur les conséquences du silence et du secret mal utilisé de l'époque. Et d'aujourd'hui aussi ? Non, pas aujourd'hui. A l'époque le secret-défense ou le secret était la règle et on ne disait même pas aux appelés ou à un certain nombre de personnes qui étaient envoyées sur les sites ce qu'ils allaient y faire. Ils l'ont découvert, ils ont vécu des conditions climatiques difficiles, on les a ensuite décontaminés et quand ils ont fini leur service militaire, ils sont repartis dans la vie civile et on ne s'est plus occupés d'eux. L'environnement n'a pas été contaminé ? L'enfouissement a été superficiel aussi ? Je ne dis pas cela. A l'époque, il y a eu des contrôles, j'ai le souvenir de documents sur Beryl, le 1er mai 1962, où la coulée de lave est sortie et que des projections à plusieurs kilomètres, la route – la Nationale 1 – a été fermée à la circulation pendant plusieurs jours et ce n'est que lorsque le niveau de radioactivité est redevenu correct qu'on a rouvert la circulation. Un nettoyage a été fait. Aujourd'hui, il reste de la radioactivité dans les laves, dans des matériels visibles, dans des câbles électriques brûlés par les gens qui ont cherché à récupérer du cuivre. Le décret d'application (prévu pour fin mars, début avril) de la loi du 5 janvier 2010 portant sur l'indemnisation des victimes des effets des essais nucléaires en Polynésie et en Algérie n'est-il pas restrictif ? Ne fait-il pas du ministre juge et partie ? Les associations de vétérans défendent la présomption d'origine, c'est-à-dire qu'il suffit d'avoir mis un pied sur ce un site nucléaire d'essais et d'avoir une pathologie qui entre dans la liste des pathologies radio-induites pour être indemnisé. Cette position est irréaliste et injuste. Parce qu'entre celui qui a pris une dose radioactive et celui qui n'en a pas pris, le traitement est le même. En plus, cela peut avoir des effets collatéraux sur toute l'industrie nucléaire civile et donc c'était totalement impossible d'accepter cette revendication. C'est le premier point sur lequel les associations n'ont pas eu satisfaction. Les zones géographiques de radioactivité sont clairement identifiées. Pour engager les dépenses, il faut un ordonnateur. Pour que les payeurs de l'Etat puissent verser une indemnisation, il faut qu'il y ait une personne qui a une responsabilité identifiée, qui puisse signer. Cette personne ne peut être que le ministre de la Défense. Il est créé par la loi un comité d'indemnisation composé de médecins civils spécialisés, proposés par le haut comité de la santé publique. Plus des spécialistes du calcul des indemnisations. Les uns et les autres vont émettre un avis étayé. Il est de fait qu'il y a eu des versions dans lesquelles on disait c'est le ministre de la Défense qui propose, cela a totalement évolué. Les revendications sont légitimes... Bien sûr. Mais il faut faire attention à ne pas manipuler les personnes malades en leur faisant croire qu'elles sont malades à cause des essais, alors que ce n'est pas vrai. A combien estimez-vous le nombre de personnes indemnisables ? Environ 3000. Et les Algériens ? Je ne saurai vous le dire. Il y a très peu de personnes concernées. Les dossiers des Algériens concernés seront traités par l'ambassade de France à Alger. Le nucléaire est-il un sujet tabou ? Le nucléaire n'est pas tabou, mais c'est tout de suite exacerbé, c'est tout de suite l'horreur. C'est vrai qu'il y a eu des retombées nucléaires négatives. Il y a des finalités qui ne sont pas forcément d'obtenir l'indemnisation des personnes. Il y a des finalités de militantisme anti-nucléaires qui sont bien connues. Ou de reconnaissance tout simplement... C'est quelque chose qui reste à solder.