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Amar Ezzahi : L'homme libre, l'artiste populaire
Publié dans El Watan le 02 - 12 - 2016

Amar Ezzahi n'est plus. Il a quitté ce monde bruyant et effrayant le soir du 30 novembre, mois de toutes les mélancolies. Chez lui, à la Rampe Arezki Louni, ex-Rampe Vallée, à l'ouest d'Alger, le dernier maître du chaâbi s'en est allé, emporté par une crise cardiaque. Il ne sera donc pas transféré à l'étranger pour des soins, comme le souhaitaient ses milliers de fans.
«Amimer», sobriquet sympathique, est parti, comme il a toujours vécu, loin des lumières, des micros, des discours et des paillettes. Mercerdi soir, une foule nombreuse s'est déplacée au domicile mortuaire pour un ultime hommage à l'homme modeste, à l'artiste populaire et à l'Algérien simple que fut Amar Ezzahi, surnommé ainsi par Kamel Hamadi.
Hier après-midi, ils étaient encore plus nombreux à assister à l'enterrement de l'artiste au cimentière d'El Kettar, venus de toute les régions d'Algérie. La dépouille mortelle drapée des couleurs nationales a été sortie du domicile mortuaire avec des youyous. La popularité de Amar Ezzahi est sans conteste. La rumeur qui a «tué» l'artiste avant sa mort, relayée par les réseaux sociaux, a été blessante pour son entourage, ses amis, ses voisins et ses fans.
Liberté !
Natif de la région de Aïn El Hammam en 1941, Amar Aït Zaï de son vrai nom, s'est établi à Alger très jeune, dans les années 1950. «Un soir de 1963, il a été invité au mariage de Abderrazak, fils de Mohamed Brahimi ou Cheikh Kebaïli. Le mariage était animé par Boudjemâa El Ankis et Omar Mekraza.
Pendant le dîner, il a été demandé à Amar Ezzahi, alors âgé de 22 ans, de chanter pour meubler le vide. Après beaucoup d'hésitation, il a decide de chanter mais n'avait pas de mandole. Mekraza ayant refusé de le lui prêter alors El Ankis lui a passé l'instrument pour qu'il ne se décourage pas. Ezzahi a interprété Amen tloumni kef louma, suscitant l'admiration de tous les présents. Depuis cette date, El Ankis a pris sous son aîle Ezzahi.
Le jeune prodige a toujours laissé une place particulière dans son cœur pour El Ankis, plus que pour les autres chioukh», raconte Mahdi Berrached, journaliste et chercheur en culture populaire. Amar Ezzahi a beaucoup appris du cheikh Kebaili, comme il adorait Hadj M'hamed El Anka. Mais, il a refusé de marcher sur les pas du Cardinale tant sur les plans de l'interprétation que de la mélodie ou du choix des textes. Il a voulu, à sa manière, rafraîchir le style du châabi, suivant sa sensibilité et son désir d'avoir une personnalité musicale véritable.
Dans les années 1960-1970, il a interprété une quinzaine de chansons composées et écrites par Mahboub Bati. D'autres interprètes ont travaillé avec ce parolier du melhoun hors pair, comme El Hachemi Guerrouabi, Boudjemâa El Ankis, Amar El Achab… Ezzahi a, entre autres, interprété Dik Chma'a, Mali hadja, Ya lbia mani seyad, Ya al aadra, Sali trach, Win n'sibou, Alef kiya ou kiya, Ach aâdebni, Ya bechari…
Des chansons qui rompaient avec la tradition des qcid, assez longs du châabi. Ezzahi montrait déjà des signes de rébellion artistique. Après quelques enregistrements à la télévision et la radio (moins de dix), l'artiste a décidé de se retirer dans son univers, se contentant de fêtes familliales et de petits concerts privés gagnant en cours de route le titre, largement mérité, de «Roi du khelwi». Il refusait de percevoir ses droits d'auteur.
A sa mort, il n'avait même pas de passeport ! Ezzahi était comme ça, detestait d'être enchaîné tant dans sa vie privée que dans son parcours musical. Ezzahi se permettait des improvisations, des changements de mode, des variations vocales et mélodiques. Il ne prenait parfois du texte que ce qui arrangait l'air interprété sur le moment. C'était d'une telle liberté ! Une liberté entièrement assumée.
Ezzahi a adopté ses propres règles qui ont fini par plaire à un vaste auditoire et à déplaire, parfois, aux puristes et aux traditionnalistes. Ezzahi et ses fidèles musiciens ne croyaient pas trop à l'idée du «chaabi pur», partant de la conviction que le châabi est lui même le fruit d'une «révolte» contre les rigidités de l'andalou, du hawzi et du âaroubi. Il fallait donc s'inspirer d'autres sources harmoniques.
En 1987, Amar Ezzahi remontait sur scène pour un concert mémorable à la salle Ibn Khaloun à Alger. Ezaahi a été soutenu dans ses choix artistiques par le grand pianiste Mustapha Skandrani et par le parolier et interprète Mohamed Badji. Aucun livre ni documentaire n'ont été consacrés à l'œuvre immense de Amar Ezzahi.
Son style d'interprétation musicale n'a fait l'objet d'aucune étude par l'université algérienne. Où sont donc passés les chercheurs en culture populaire, en musicologie, en anthropologie culturelle, en poétique ? Et pourquoi la musique châabie et ses maîtres ne sont pas enseignés à l'Institut national supérieur de musique (INSM) d'Alger ? Autre question : pourquoi le Festival national de musique châabie n'est plus organisé à Alger ? A-t-il été abandonné alors qu'il était la seule manifestation consacrée à ce genre de musique algérienne ?
Il existe peu de photos de Amar Ezzahi. La plupart des vidéos portées par les plateformes Youtube ou Dailymotion sont des enregistrements puisés dans des archives privées. A peine une dizaine d'articles ont été consacrés à l'artiste. Ezzahi est parti emportant avec lui des secrets de son génie musical, des souvenirs, des anecdotes et beaucoup d'autres choses. Son refus de s'adresser aux médias serait lié à un accueil froid et méprisant qu'il aurait eu au siège de l'ex-RTA au début des années 1980.
Depuis mercerdi soir, les amoureux du chaâbi et les fans de Ezzahi se sentent orphelins… «Allah yerhamou Chikhna Amar Ezzahi. Je suis triste ce soir. Je caressais l'espoir de le revoir et de le réécouter sur scène. Je dois me contenter de mes souvenirs. C'était un Monsieur d'une sensibilité et d'une générosité immenses… immenses…C'était un vrai soufi à l'amour mystique. Nous avons aimé, rêvé, veillé et dansé au son de ses chansons… Tu nous manqueras Cheikh», a témoigné Abdelkrim Boudra, grand fan de Ezzahi, sur facebook.
Le président Abdelaziz Bouteflika a qualifié Ezzahi, dans un message de condoléances, repris par l'APS, d'îcone de la chanson chaâbie et «un talentueux créateur qui a passé sa vie au service du patrimoine musical national». «Un artiste virtuose dont l'œuvre alliant modernité et authenticité inspirera à jamais les créateurs… Ses fans continueront pendant très longtemps à fredonner ses chansons», a ajouté le chef de l'Etat. Puisqu'il est question de patrimoine musical national, il faudra peut-être penser à créer le «musée national du châabi» pour sauvegarder la mémoire de ce style musical inégalable…


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