Le dossier d'ArcelorMittal Algérie, Sider El Hadjar en 2016, ne semble pas encore livrer tous ses secrets. En août 2016, ArcelorMittal a cédé à Imétal, au dinar symbolique, la totalité de ses parts sociales détenues à 49% par ArcelorMittal Algérie (AMA), 49% de ArcelorMittal Pipes and Tubes Algeria (Ampta) et 70% à ArcelorMittal Tébessa (AMT). Cependant, avant de quitter définitivement l'Algérie, la filiale algérienne du groupe indien a laissé derrière elle une dette de plus de 8,28 milliards de dinars. Datant d'avant 2016, cette importante «ardoise» représente 35% du passif courant du complexe sidérurgique d'El Hadjar. C'est ce qu'indique un rapport officiel dont les chiffres sont arrêtés au 30 septembre 2016. Selon ce document confidentiel, dont El Watan détient une copie, cette dette représente des arriérés de fournisseurs du complexe sidérurgique d'El Hadjar ayant trait aux services, stock et investissement. Qui assume ces dettes ? Seront-elles assurées par le Trésor public algérien en contrepartie de la cession des actifs d'ArcelorMittal à Imétal, annoncée «gracieuse» ? Jusqu'à quand l'Algérie supportera financièrement l'incompétence de ceux qui ont la charge de redémarrer le complexe d'El Hadjar, à l'arrêt depuis plus d'une année ? Des interrogations qui ne trouvent toujours pas de réponses logiques à cette situation, devenue gênante. Cela est perceptible déjà dans la forme du contrat de cession et d'achat des actions des trois unités de la filiale algérienne d'ArcelorMittal. Constitué de 12 articles en 12 pages, ce document confidentiel, dont une copie exclusive est en possession d'El Watan, est cosigné par Ramesh Kothari, le représentant d'ArcelorMittal Holding AG, et Ahmed Yazid Touati, le représentant du groupe Imétal. D'une légèreté insolite, ce contrat renseigne on ne peut mieux sur le manque de considération du signataire algérien, à un des fleurons de la sidérurgie algérienne, bradé puis récupéré avec fracas, sans bilan. En effet, point mot sur la clause de l'accord d'octobre 2013, élaboré par des experts sous la conduite de l'ex-ministre de l'Industrie, Cherif Rahmani, prévoyant qu'ArcelorMittal s'engage à rester dans le capital de sa filiale algérienne pour une durée minimum de 7 ans (2020). Il y était prévu : «En cas de désengagement, la cession des actifs (49%) se ferait sur la base d'un prix prédéfini dans l'accord. Ce prix est conditionné à la réalisation de bénéfices durant les trois années qui précèdent la sortie.» Déficit et cessation de paiement Or, AMA n'a pas résisté à cette longue période, encore moins réalisé des bénéfices depuis. Elle a eu le feu vert de partir sans débourser un sou. Une année après, le complexe sidérurgique Sider El Hadjar est en cessation de paiement et sa trésorerie enregistre, à fin novembre 2016, un déficit de 12,7 milliards de dinars. Selon le suivi mensuel des principaux agrégats financiers, aucune réalisation n'a été enregistrée depuis novembre 2015, date de l'arrêt de l'usine. «Les agrégats présentés du mois de novembre 2016 se basent sur des valeurs économiques et financières intermédiaires qui ne sont pas encore régulièrement arrêtées. Pis, les valeurs affichées sont de ce fait bien loin des résultats réels négatifs que devrait afficher la société en fin d'exercice 2016. Toutefois, ces agrégats restent suffisamment significatifs et éloquents pour démontrer les situations de faillite et de cessation de paiement qu'enregistre Sider El Hadjar en référence aux dispositions du code du commerce en ses articles 715 alinéa 20 et 215», analyse un commissaire aux comptes. A la lecture de ce document, la production totale est de 0% et le haut fourneau est toujours à l'arrêt. Paradoxalement, le chiffre d'affaires a atteint 4% des prévisions, alors que la production est nulle. Curieusement aussi, seuls les frais du personnel ont enregistré une augmentation de 7% dans une société qui a établi, selon les chiffres présentés, 0% de taux de réalisation. «Ceci est dû au fait que la société vend essentiellement des stocks produits durant les années antérieures», expliquent des cadres commerciaux de l'entreprise. Même l'excédent brut d'exploitation (EBE) non définitif enregistre un déficit de 9,5 milliards de dinars. Le résultat net serait autrement plus important en y incorporant toutes les provisions réglementaires. Ainsi Sider El Hadjar consolide son état de faillite, conformément à la réglementation en vigueur. «La société aurait, de ce fait, besoin d'un assainissement complémentaire à hauteur de 3,5 milliards de dinars pour absorber les déficits et recapitaliser aussi cette entreprise, soit 350 millions de dollars environ», tranchent-ils. Renationalisation du gouffre financier Détenu auparavant par le groupe ArcelorMittal à hauteur de 49% pour ArcelorMittal Algérie (AMA) et ArcelorMittal Tébessa (AMT), et de 70% pour ArcelorMittal Pipes &Tubes Algérie (Ampta), la totalité du capital de ces trois entreprises est revenu officiellement dans le giron du groupe public algérien Industries métallurgiques et sidérurgiques (Imétal). Mais à quel prix ? En effet, l'accord signé officiellement, en août dernier, entre les deux parties au niveau du ministère de tutelle ne fait qu'entériner les dix résolutions du Conseil de participation économique (CPE), validées le 25 juillet 2016. Selon le document portant la résolution du CPE, dont El Watan détient une copie, le conseil a décidé dans sa 7e résolution d'«accompagner les sociétés reprises — AMA, AMT et Ampta — en attendant la présentation de leurs plans de redressement et de développement actualisés, par des facilités de caisse pour assurer l'exploitation durant les six mois à venir, moyennant présentation des plans de trésorerie de chacune des entités pour cette période à la banque domiciliataire BEA et charge, à cet effet, cette dernière de la mise en œuvre de cette décision dans les meilleurs délais». Jusqu'à hier, le haut fourneau était toujours à l'arrêt et le complexe n'a rien produit. Pis, la direction générale arrive difficilement à assurer la masse salariale des travailleurs, estimée à 500 millions de dinars. Un gouffre financier, creusé par les décisions irréfléchies du ministre de l'Industrie et soutenu, en plein crise économique, par le CPE qui vient encore une fois racler la trésorerie de l'Etat en ordonnant à la BEA d'assister financièrement le complexe d'El Hadjar jusqu'au début de 2017. Le Premier ministre semble ignorer que la solution à ce problème ne réside pas dans les moyens, mais dans les ressources humaines. Pour des raisons qu'on ignore, le groupe Imétal, qui a acquis les actions des trois filiales d'ArcelorMittal en Algérie, a toujours été géré, depuis sa création, par des cadres dont la compétence relève exclusivement du bâtiment. Tout a commencé par Boudjema Talaï, avant qu'il n'accède au poste de ministre des Transports et celui des Travaux publics. Sa promotion a permis à Kamel Djoudi de le remplacer mais sans efficacité. Parti pour engagements non tenus, ce dernier est remplacé par le retraité Ahmed Yazid Touati. Paradoxalement, ces trois PDG du groupe Imétal sont issus de Batimétal avec une insuffisance flagrante de maîtrise du monde de la sidérurgie. Pour preuve, depuis le 7 octobre 2015, l'usine n'a réalisé aucune production, encore moins commercialisé un quelconque produit. Parallèlement, l'Etat continue à pomper l'argent du contribuable dans un investissement à l'avenir incertain. Devant cette intenable situation, des cadres de Sider El Hadjar crient et interpellent le Premier ministre pour diligenter une expertise légale qui sera assurée par l'Inspection générale des finances (IGF). «Elle portera sur l'utilisation des fonds publics au complexe d'El Hadjar, ainsi que sur l'efficience et la légalité de la restructuration du secteur de l'industrie», précisent-ils. Et de s'interroger : «Quand est-ce que l'usine d'El Hadjar entrera en production et alimentera le marché national en produits sidérurgiques, tel que le proclame à chaque fois Abdessalem Bouchouareb, ministre de l'Industrie et des Mines. Les promesses se succèdent et se ressemblent sans qu'elles soient honorées. N'ont-ils pas honte de mentir encore ? Faut-il renouer avec l'instabilité sociale au sein de l'usine, où la colère couve déjà pour prendre le problème au sérieux ?»