Cette relation étroite se raconte sur le mode de la nostalgie, de la recherche des ancêtres et du retour aux sources. Les liens entre les deux continents se sont construits sur une tragédie, celle de la Traite des esclaves avec des millions d'hommes et de femmes déportés pour être exploités, maltraités, humiliés, rejetés, voire tués à cause de la couleur de leur peau. Si l'élection de Barack Obama, il y a huit ans, fut une revanche sur l'histoire tragique, les traumas sont toujours perceptibles, présents et transcrits dans des récits de vie et des textes de fiction. Les Afro-Américains des années 1940-1950 ont revendiqué leurs droits civiques mais la lutte pour l'égalité raciale est restée d'actualité malgré l'ampleur des luttes menées par Martin Luther King, Malcolm X, Rosa Parks et tant d'anonymes. Parmi ces pionniers de la revendication des sources africaines et des droits civiques, le romancier, poète, dramaturge, nouvelliste et essayiste, James Baldwin, occupe une place intéressante. Sa forte personnalité et son sens de la justice ont fait de lui un militant de tous les instants grâce à sa plume acerbe. Né en 1924 à Harlem, à New York, il n'a jamais connu son père biologique et il fut très sensible à la misère de sa famille comme de quasiment tous les habitants de ce quartier noir, prototype de ghetto. Il a perçu très tôt leur isolement dans la mégapole américaine car, dans ces années-là, les Noirs n'avaient pas le droit de se mêler aux Blancs. Aîné de neuf enfants, on imagine bien les manques et les frustrations de James Baldwin. Son intérêt pour les livres et la lecture l'a sauvé d'une certaine manière. Une fois affranchi de son père d'adoption qui ne voulait pas qu'il devienne artiste, il a commencé à écrire pour devenir un auteur prolifique. Au vu de ses talents littéraires évidents, un de ses professeurs l'encouragea à s'installer à Greenwich, quartier des artistes, où sa vie personnelle et littéraire a pu s'épanouir. Il a alors publié des nouvelles, des poèmes et des essais. Il a partagé un temps son appartement avec l'immense acteur Marlon Brando. Ses convictions politiques se sont affirmées, d'autant plus qu'il ressentait toujours un rejet latent de la part des Blancs. Il s'est rapproché de Martin Luther King et de Malcolm X afin de militer auprès d'autres personnalités de la cause noire, comme la chanteuse et musicienne Nina Simone et les acteurs Sidney Poitier et Harry Belafonte. Malgré son engagement dans la lutte, à titre personnel, il ne supportait plus le rejet dont il était victime. Il décida alors en 1948 de quitter les Etats-Unis pour la France. Il vécut à Paris jusqu'en 1987 et décéda à Saint-Paul de Vence, à l'âge de 63 ans. Son premier roman fut publié en 1953 sous le titre Go tell it the mountain, traduit en français par Conversion. Son essai le plus remarquable, avec Nous les Nègres, fut The fire next time, traduit par Le feu la prochaine fois et publié en 1963. Ses écrits abordent la question brûlante de la discrimination raciale sur tous les plans. Il a laissé un essai inachevé intitulé Remember this house où il avait comme projet d'écrire l'histoire de la lutte des Noirs pour s'accepter et pour être libre. En 1961, il disait avec une perspicacité à toute épreuve l'ampleur des préjugés des Blancs et leur impact sur les Afro-Américains : «J'avais honte d'où je venais. J'avais honte de la vie dans l'église, honte de mon père, honte du blues, honte du jazz, et bien sûr, honte de la pastèque. Tout ça, étaient les stéréotypes que ce pays inflige aux Noirs : que nous mangeons tous de la pastèque et que nous passons notre temps à ne rien faire et à chanter le blues, et tout le reste, j'étais vraiment parvenu à m'enfouir derrière une image totalement fantastique de moi qui n'était pas la mienne, mais l'image que les Blancs avaient de moi.» Ce qui ressort des écrits de James Baldwin est la pertinence de ses propos et malheureusement leur actualité. Aujourd'hui, avec le regain du communautarisme et du racisme, certains propos de James Baldwin semblent avoir être écrits par un militant afro-américain du XXIe siècle. Même si beaucoup de choses ont évolué dans le bon sens, la violence reste spectaculaire lorsqu'elle s'exprime et les ghettos noirs sont toujours présents. C'est pourquoi les écrits de James Baldwin résonnent aujourd'hui encore aux oreilles des Afro-Américains. Ainsi, pour les Oscars 2017, un film documentaire construit à partir de son essai a été sélectionné. C'est le réalisateur haïtien, Raoul Peck, qui a décidé en quelque sorte de porter à l'écran le texte posthume de James Baldwin. Ses mots accompagnent en voix-off le film monté à partir d'images et de documents historiques de la période de lutte pour les droits civiques. Récemment, Raoul Peck a rappelé la réflexion de James Baldwin sur l'avènement éventuel d'un président Noir aux Etats-Unis : «La question n'est pas quand il y aura un Président nègre dans ce pays, mais la question essentielle est de quel pays il sera Président.» A propos des deux mandats de Barack Obama, désormais remplacé par Donald Trump, le réalisateur conclut en disant : «Nous venons d'en avoir la réponse.»