Coproduit avec Arte qui a eu l'ingénieuse idée de le diffuser en ligne durant trois jours (jusqu'au 3 mai), ce documentaire des plus touchants de 87 mn est un document d'actualité aussi douloureux qu'essentiel, à voir absolument! Robert Kenney avait déclaré un jour: «Dans 40 ans, un Noir pourrait devenir président de la République.» En effet, il y eut Barack Obama avant la poupée peroxydée d'aujourd'hui. Ceci dit, le racisme n'est pas seulement une ségrégation envers une Autre couleur de peau, c'est aussi le dénigrement de l'autre, l'oppression, la «hogra», voire du machisme. Et chez nous, ils sont légion. Voilà pourquoi il est aussi impératif de regarder le nouveau film de Raoul Peck. Le réalisateur du long-métrage «Patrice Lulumba» pour ne citer que celui-là revient en force avec un documentaire poignant sur la question raciale aux Etats-Unis à travers les souffrances et les humiliations d'un peuple dont le reste de l'Amérique, blanche de son état, ignorait sciemment et tentait de le réduire au néant même en le considérant comme sous-humain. «les Blancs, devenus des monstres moraux» dira Baldwin. Un phénomène qui perdure et continue à faire couler beaucoup d'encre. Le racisme de la police américaine n'en finit pas de vomir ses scandales année après année. Tout démarre de «Remember this house» (souviens-toi de cette maison) titre d'un ensemble de notes ou manuscrit inachevé écrit par le poète James Baldwin(1924-1987).Des textes que ce dernier a dédiés à trois leaders des droits civiques aux Etats-Unis, tous assassinés dans les années 1960, à savoir Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King. Aucun des trois n'a survécu jusqu'à ses 40 ans dit la voix off. Raoul Peck reprend en quelque sorte ce travail en un document filmique et aborde la question raciale sous le prisme de la caméra. Raoul Peck prendra ainsi ces trois figures comme modèles dans la lutte contre le racisme, trois figures emblématiques qui par les mots et l'action, mais avec des façons différentes ont pris farouchement position contre le système blanc fasciste. Outre les archives iconiques montrant ces héros assassinés durant leur lutte, dans leur vie quotidienne, avec leur famille ou durant leurs meetings, ce film fait entendre aussi leurs propos lors de différents reportages télévisés qui nous renseignent sur l'utilité de la télé à l'époque pour faire passer le message à une époque où les moyens de communications n'étaient pas aussi nombreux qu'aujourd'hui. Outre Malcom X, Martin Luther King, nous apercevons Baldwin à plusieurs reprises. Altier et toujours classe dans ses réflexions, il avait le don de l'allocution ponctuant toujours ses propos par des mots cinglants qui font mouche. Baldwin avait conscience de ne pas être un Noir américain comme les autres, ni un Black muslim. Il ne faisait pas partie du mouvement des Black Panther, car il était convaincu, fera-t-il savoir dans les commentaires que tous les Blancs n'étaient pas tous les mêmes, de vils méchants. En se déplaçant de ville en ville, entendons-nous: «Ma responsabilité en tant que témoin était d'écrire l'Histoire et la faire paraître.» Il appartenait encore moins à l'église catholique qui ne respectait pas dit-il «l'un des préceptes fondamentaux: aimez-vous les uns les autres». Aussi utile que soit ce film, car atemporel, en faisant écho à l'actualité non seulement américaine, mais mondiale (car le racisme nous concerne tous) Je ne suis pas votre nègre a la particularité de ne pas surfer sur le manichéisme (Noir anti-Blanc).Pour autant, il se veut radical dans sa façon de voir les choses. Parlant d'un film western opposant Gary Cooper aux Indiens, il fera remarquer devant une assistance qui va rire aux éclats, comment, en grandissant, il se rendra compte qu'au final après avoir aimé ce film, que «les Indiens ce ne sont pas l'ennemi car ce sont les Noirs eux-mêmes dans la vie». Il abordera la question raciale sous le prisme du miroir déformant ou comment un enfant qui jusque-là se pensant Blanc, prend conscience soudainement de la couleur de sa peau et sa différence par le traitement violent qu'il va subir dans la rue et encore plus flagrant, à l'école. Et de nous montrer cette fillette noire affrontant ce torrent de regards moqueurs, celui de ces enfants blancs tout autour d'elle. Ce film qui illustre aussi la situation des Noirs américains y compris dans le 7e art, raconte l'histoire avec un grand H, le tout sous la coupe de la confidence, rendant encore plus vrai et intéressant ce récit car l'intime nous est restitué presque comme un secret enfin dévoilé au grand jour. Baldwin dans ces lettres à un ami, raconte en effet comment à cette époque-là, il ne manquait de rien à Paris, il dit sa sidérante envie soudaine de rentrer chez lui pour retrouver les siens, même en étant quasiment un étranger chez lui, mais aspirant à jouir de l' amour des siens, à regarder ces gens sonder leur regard inquiet mais fiers et sa volonté déterminée de tout raconter, dénoncer jusqu'au moindre coup que subissaient ces hommes et femmes. Aussi, en regardant ces images d'archives, nous sommes interloqués en découvrant ces propos abjects et surréalistes émanant de femmes et d'hommes blancs déclarant leur haine envers les Noirs jusqu'à parler de la colère de Dieu à la seule vue de ces enfants noirs dont le simple tort a été de «vouloir «s'intégrer» en quête de connaissance et de savoir à l'école. Que dit ce film et pourquoi est- il si important à voir pour se rappeler ce passé pas si loin et ne jamais l'oublier? Et c'est le journal Libération du 25 avril 2017 qui le dit si bien: «Qu'en maltraitant les siens, un pays tout entier s'avilit et se condamne à la catastrophe.» A méditer! Notons que le documentaire est narré en anglais par Samuel L. Jackson, et en VF, par Joey Starr. Un film aussi bien douloureux qu'essentiel à voir absolument!