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Mères des disparus : Entre combat et mémoire
Publié dans El Watan le 26 - 05 - 2017

«Libérez nos enfants et nous rentrerons chez nous», ou «Justice endormie, hogra continue» sont là deux slogans scandés depuis près de 20 ans par les mères et les familles des disparus. A Alger, leurs cris retentissent encore dans les rues de la capitale. Comme chaque mercredi, elles se regroupent toutes près de l'instance de Farouk Ksentini (place Addis-Abeba), visages de leurs enfants et dates de leur disparition bien en évidence sur des pancartes qu'elles gardent encore minutieusement chez elles ; elle font entendre leur colère pour quelques heures avant de rentrer chez elles le cœur lourd.
Pour ces mères, manifester est devenu une nécessité car cela les aide à extérioriser leur douleur et rencontrer d'autres familles qui partagent la même peine. Mais depuis, beaucoup d'entre elles sont hospitalisées ou alitées chez elles. D'autres ne sont plus de ce monde. Désormais, certaines ne peuvent plus sortir et participer aux actions de rue. Pour les membres de ce mouvement, le combat de ces mères pour la vérité est devenu une histoire de mémoire dont les familles se souviendront le reste de leur vie. «Si mon fils a fait quelque chose, pourquoi l'Etat ne l'a-t-il pas jugé tout simplement ?
Et s'il a été assassiné, qu'on me montre sa tombe pour que je puisse me recueillir et mourir tranquillement», confie Fatma-Zohra Boucherf, mère d'un disparu, rencontrée à Alger au siège de SOS Disparus. Mercredi, plusieurs mamans ont assisté à la cérémonie organisée par l'association SOS Disparus dans le cadre de la célébration de la Fête des mères. Au programme, un court métrage intitulé Où sont-ils ?, qui résume le combat des familles des disparus, réalisé par Hacene Ferhati, l'un des anciens du mouvement et frère d'un disparu.
Alzheimer
Cette année, la Fête des mères a eu lieu sans la présence de Fatma, mère de Hacene Ferhati. Cette dernière, qui est âgée aujourd'hui de 84 ans, est alitée depuis plus de quatre ans. «Ma mère souffre d'un début d'Alzheimer, d'une hypertension et de complications cardiaques», indique-t-il. Hacene, avec qui nous sommes allés à la rencontre des mères des disparus, craint désormais pour la situation de sa mère.
En cours de route, il se confie et avoue qu'il ne sait plus comment faire sans sa mère avec qui il a partagé non seulement la vie, mais aussi le combat pour la vérité sur la disparition de son frère Mustapha, accusé à l'époque «d'appartenance au Front islamique du djihad armé (Fida)». Embarqué par «la police» le 28 mai 1998 alors qu'il était âgé de 26 ans, Mustapha n'a plus donné signe de vie depuis cette date. «Encore malade, ma mère me demande parfois d'aller chercher mon frère Mustapha.
Elle se concentre un moment, et puis me lance: ‘‘Hacene, il se fait tard et Mustapha n'est pas encore rentré. Où est-il ?''», témoigne-t-il les larmes aux yeux. Ses amis et ses camarades de combat se souviennent encore de Fatma, cette femme qui garde toujours ses habitudes. Elle arrive au lieu de l'action, s'assoit sur la bordure de la rue, pancarte à la main, et tente de scander avec sa voix affaiblie des mots qui lui rappellent sa souffrance : «Vous ne pouvez pas imaginer la souffrance des mères de disparus. La mienne ne parle que de Mustapha. Elle me dit souvent : ‘‘Je lui ai donné la vie, je l'ai nourri et l'ai fait grandir et ils me l'ont pris sans que je puisse le revoir''», se rappelle-t-il.
Manifestation
Alzheimer est aussi la maladie dont souffre Ouardia Gherzoul, 82 ans, une autre mère d'un disparu que nous avons rencontrée chez elle, à la cité Jolie Vue de Kouba. En notre présence, elle murmure des mots inaudibles et parfois dénués de sens. Elle était toute contente de revoir Hacene Ferhati. Mais l'a-t-elle réellement reconnu ? Personne ne le saura, car elle n'a même pas réagi à la vue de la photo de son propre fils, Salim, disparu le 19 septembre 1995 à l'âge de 38 ans. «Ma mère est devenue insaisissable depuis la disparition de mon frère. Elle n'écoutait personne.
Elle se réveillait très tôt le matin, elle prenait sa pancarte et quittait la maison et on ne savait plus à quelle heure elle allait revenir. La disparition de Salim l'a rendue folle», se souvient son fils Ismaïl. «Enlevé par les services secrets», comme en témoignent ses deux frères Ismaïl et Rachid qui étaient interpellés ce jour-là avec lui, «Salim s'est fait torturer avec ses frères, avant que les services ne les libèrent», selon leur récit. «Des agents en civil et des policiers sont revenus et ils l'ont interpellé une deuxième fois. Depuis, nous ne l'avons plus revu», assure Ismaïl.
Ce dernier se rappelle que sa mère était parmi les premières à participer à la toute première manifestation organisée par les familles des disparus en 1998. Mais depuis quatre ans, Ouardia qui a perdu carrément sa mémoire ne se souvient de rien. D'ailleurs, quand elle a pris la photo de Salim entre ses mains, elle nous a dit que c'était le fils de son frère Mohamed, alors qu'en réalité ce dernier est son mari, décédé au début des années 1990. «Ma mère a d'abord perdu un frère trois ans avant la disparition de Salim. Ce n'était pas facile pour elle», raconte Ismaïl.
Police
La mère d'un autre disparu, également très malade, c'est Fatima Takheroubt, 78 ans, rencontrée chez elle à Kouba, où elle vit en compagnie de sa fille. Fatima a perdu l'usage de ses pieds à cause de sa maladie. «C'est la disparition de mon fils qui m'a rendue malade», fulmine-t-elle, les larmes aux yeux. Mais ce qu'elle regrette au-dessus tout, c'est son incapacité à participer aux actions qu'organisent ses camarades de lutte. Elle qui était femme au foyer et qui ne sortait jamais avant la décès de son mari Mohamed en 1993 et la disparition de son fils Ismaïl interpellé le 2 février 1998 à l'âge de 21 ans, a vu sa vie se transformer.
Aujourd'hui, elle connaît tous les commissariats, les organisations des droits de l'homme et les institutions étatiques. «Je vois encore le visage de mon fils. Il vient parfois me rendre visite. Il y a des moments où je désespère. Mais je finis vite par me ressaisir, car je crois au fond de moi qu'il est encore vivant», confie-t-elle. En plus de ses graves problèmes aux pieds, Fatima souffre également de complications au niveau du foie. Sa fille raconte que son frère Ismaïl «a d'abord été interpellé et torturé non loin de Beni Messous».
Elle assure aussi qu'«il a été libéré plus tard, mais la police a fini par l'embarquer une deuxième fois, et à partir de ce moment-là elle ne l'a plus revu.» Retour au siège de SOS Disparus. Fatma-Zohra Boucherf, présente lors de la diffusion du court métrage de Hacene Ferhati, ne pouvait retenir ses larmes, comme la plupart des autres mamans. Couturière de métier avant la disparition de son fils Réda, le 25 juillet 1995 à l'âge de 21 ans et veuve depuis 1976, Fatma-Zohra pense, contrairement aux autres mères de disparus, que son fils est «décédé». Mais si elle en est convaincue, c'est parce qu'elle dit détenir «les témoignes de personnes qui ont été interpellées avec Réda».
Juge
Fatma-Zohra est sûre et certaine, «Réda a été assassiné par la police». «C'est la police qui l'a interpellé avec deux autres personnes. Ces dernières ont été libérées, mais elles avaient assisté auparavant aux tortures qu'avait subies mon fils. Ils l'ont vu allongé ‘‘mort'' devant sa cellule. D'ailleurs, l'une des deux personnes a même témoigné devant le juge d'instruction, mais ses déclarations sont restées sans suite», s'indigne-t-elle.
Fatma-Zohra assure qu'elle a déposé une cinquantaine de plaintes «contre la police», en vain, selon ses dires. «Le procureur de la cour d'Alger m'a avoué qu'il ne pouvait rien faire tant que l'Etat n'a rien décidé», dénonce-t-elle. Fatma-Zohra passe une partie de son temps au cimetière de Garidi, à Kouba, à la recherche de la tombe de son fils. Ici, certaines tombes sont classées x, mais Fatma-Zohra tente désespérément de trouver celle de Réda en se basant sur la date de son décès communiquée par les témoins qu'elle a évoqués. «Je ne revendique que la vérité sur l'assassinat de mon fils et je veux savoir où se trouve sa tombe», insiste-t-elle.
Difficile de parler avec les mères sans qu'elles ne rapportent tout à leurs enfants disparus. Si l'Etat reconnaît à travers l'instance de Ksentini la disparition, durant la décennie noire, de plus de 7000 personnes, les familles des disparus, elles, parlent d'un chiffre plus important. Si les autorités justifiaient les interpellations par «l'appartenance des disparus à des groupes terroristes ou au Front islamique du salut», les mères, elles, se demandent pourquoi leurs enfants n'ont pas été jugés ? Au final, ce dossier reste épineux et fait tache d'huile. Après près de vingt ans, il n'est toujours pas clos.


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