C'est la mairie du 12e arrondissement de Paris qui a entériné cet hommage historique, en janvier dernier. Jusqu'en 1953, les célébrations annuelles de la Fête nationale française, le 14 juillet, étaient marquées par un défilé syndical. Une façon de rendre hommage aux principes premiers de la Révolution française du 14 juillet 1789, qui réclamait un meilleur partage des richesses et la fin des inégalités. Dans le cortège du 14 juillet 1953, les militants algériens du PPA-MTLD se sont joints à la marche avec des portraits du dirigeant nationaliste Messali Hadj, alors assigné à résidence, comme il le fut une grande partie de sa vie. Les slogans réclamaient sa libération. «A la fin de la manifestation, les premières échauffourées voient s'affronter des Algériens et des parachutistes de retour d'Indochine. La police est sur les dents. C'est au moment où les militants du MTLD rangent leurs drapeaux et les portraits de Messali Hadj que la police intervient. Il est 17h20 quand les premiers coups de feu claquent. Sept hommes tombent, six Algériens membres du mouvement indépendantiste : Amar Tabjadi, 26 ans, Abdallah Bacha, 25 ans, Larbi Daoui, 27 ans, Abdelkader Dranis, 31 ans, Mohammed Illoul, 20 ans, Medjen Tahar et un syndicalisme de la CGT, membre du Parti communiste, militant du 18e arrondissement de Paris, Maurice Lurot, 40 ans, qui s'était interposé entre les manifestants et les forces de l'ordre», expliqua le jour du vote Nicolas Bonnet Oulaldj, président du groupe communiste Front de Gauche, à la mairie du 12e. Cet événement de juillet 1953, à un peu plus d'un an du déclenchement de la lutte de Libération nationale en Algérie, ne fut jamais replacé dans son contexte historique. Du côté algérien, après le mois de novembre 1954, le FLN n'avait aucun intérêt à éclairer les actes de bravoure des Messalistes, regroupés désormais dans le MNA, avec lequel la bataille pour le leadership de la Révolution était engagée. Le FLN l'emporta au prix de nouvelles victimes dans les rangs des cadres algériens de part et d'autre. Du côté français, alors que le massacre d'octobre 1961 était tenu sous silence ou presque, cette première tuerie passait pour pertes et profits. Seuls quelques historiens relevaient que ce 14 juillet 1953, le sang algérien avait commencé à couler sur l'asphalte parisien. Personne pour autant ne se décida à étudier de près cet événement, jusqu'à ce que Daniel Kupferstein le fasse. Documentariste, il s'obstina à enquêter sur ce «drame terrible quasiment inconnu». Il en résulta le livre Les balles du 14 juillet 1953, publié aux éditions La Découverte, en 2014 et surtout un long film documentaire (85') sous le même titre. La parole y est donnée aux témoins : manifestants et policiers. Ce que la justice n'a jamais fait, ce travail (dans lequel le contradictoire est précieux) le réalise avec une patience exemplaire. Le documentariste rappelle aussi qu'après ce 1953 sanglant, les défilés syndicaux furent interdits les 14 juillet. Grâce à ce documentaire aujourd'hui vu dans des réseaux de plus en plus larges, cette page de la libération algérienne qui aboutit au 5 juillet 1962 est désormais connue.