Par deux fois, il avait contrarié sa mère, pour ne pas dire qu'il fut d'un esprit désobéissant à son égard. Pourtant, lui, le bédouin, ne s'était jamais éloigné d'une morale terre-à-terre dont les garde-fous ne dépassaient pas l'emplacement de sa tribu-même. La première fois, c'était en refusant d'apprendre un métier pour gagner sa vie. « Je ne pouvais pas, dit-il, devenir charpentier, car je n'étais pas et je ne suis pas en mesure de soulever des planches. » La deuxième fois, c'était en faisant de l'écriture littéraire son cheval de bataille, plutôt que d'aller enseigner les sciences politiques à l'université. Il s'agit du romancier saoudien, Abdo Khal, lauréat du prestigieux Booker Prize 2010, dans sa version arabe, pour son roman, L'Enfer jette ses étincelles. Ce bout d'homme (qui répète dans ses déclarations à la presse : « un souffle de rien du tout peut avoir raison de moi ») tient du prodige dans le monde littéraire de l'Arabie Saoudite, en ce sens qu'il a réussi à renverser la vapeur dans un milieu connu pour n'admettre aucun changement dans ses habitudes. En effet, l'expression poétique qui tient encore le haut du pavé dans son pays vient de trouver, en la personne d'Abdo Khal, un concurrent de taille, propulsé du jour au lendemain sur la scène mondiale. Son roman sera traduit dans plusieurs langues universelles, conformément aux recommandations du jury. Grâce aux maisons d'édition libanaises, les quelques romanciers saoudiens — et romancières surtout —, ayant émergé ces dernières années, sont parvenus à changer profondément la configuration littéraire autour d'eux et à choquer certaines bienséances, provoquant ainsi quelque remous dans le monde politique. On parle encore du roman La Ceinture, d'Ahmed Dahmane, publié, il y a quelques années, en langue française, à Paris, et dans lequel il est question d'un dialogue d'une grande retenue entre l'Orient et l'Occident. Son auteur donne l'impression de suivre de près ses deux prédécesseurs : l'Egyptien Tawfiq Al-Hakim, dans son roman autobiographique, L'Oiseau oriental, et le Soudanais Tayeb Salih, dans son chef d'œuvre, Saison de la migration vers le Nord. Abdo Khal vient donc, à l'unanimité du jury, figurer en tête de liste, devançant de loin les 116 romanciers arabes qui avaient brigué le Booker Prize pour l'année 2010. Quant à la presse littéraire, surtout celle des pays du Golfe, elle est unanime à voir dans cet évènement une espèce de « glissement continental », à même de donner à la littérature saoudienne une place aussi importante que celle des pays voisins ayant, jusqu'ici, imposé une approche bien définie de la poésie comme du roman. En conteur bien né, Abdo Khal s'est penché sur la vie des citadins de la ville de Djeddah, principalement celle des riches qui mènent, selon lui, une vie à la limite de la dépravation. En effet, les châteaux et les belles villas, matière première de son roman, sont le lieu de comportements immoraux qui caractérisent ses protagonistes. C'est pourquoi le côté métaphysique et moralisateur à la fois est fortement présent dans la manière de narrer de cet écrivain et son talent à mettre en relief certains détails. Le titre du roman lui même est tiré d'un verset coranique. Il est donc permis d'espérer un bel avenir pour le Booker Prize dans sa version arabe, même si ses débuts ont été entachés par une certaine mainmise de la part de certains cénacles littéraires égyptiens.